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Dernière actualisation:   avril 2013

6 avril 2013


A mille jours de l’échéance de l’OMD sur la faim: l’Humanité sur un bateau ivre


A 1.000 jours de l’échéance des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) fixée au 31 décembre 2015, le moins que l’on puisse dire est qu’il est difficile de faire le bilan de ce qui s’est passé depuis l’adoption des OMD en septembre 2000, pour l’un des objectifs majeurs, à savoir celui de réduire de moitié la proportion de la population mondiale souffrant de la faim. Il est encore plus risqué de dire si l’objectif sera atteint, alors que les 4/5èmes du temps que l’Humanité s’était donnée pour l’atteindre sont déjà passés.


Tout se passe comme si l’Humanité était sur un bateau ivre.




Beaucoup de plans, et une boussole déficiente


Pourtant, ce ne sont pas les plans qui ont manqué. Il serait trop long de citer ici tous les documents, plans et feuilles de route qui ont été produits pour expliquer comment cet objectif sera atteint. Chacun y va de «son» plan et, à chaque grande conférence ou sommet, un semblant d’accord se fait sur un programme commun. Des engagements sont pris, la plupart sans lendemain [lire].


Une comparaison des plans montrerait qu’ils sont très différents car ils reflètent des avis divergents sur la nature même de l’objectif et donc sur la route à suivre. Cela résulte autant d’intérêts et d’objectifs spécifiques que les uns et les autres poursuivent que d’une compréhension différente de la question même de la faim. Ainsi, la confusion reste-t-elle vive du point de vue conceptuel, comme en témoigne la vigueur des idées reçues et fausses sur la faim qui sont répétées ad nauseam dans les papiers, déclarations officielles et échanges sur le Web. La principale confusion est sans nul doute celle qui veut qu’augmenter la production alimentaire pour satisfaire la demande des 9 milliards de personnes qui peupleront la terre en 2050 résoudrait la question de la faim. Comme si produire plus ferait diminuer automatiquement le nombre d’affamés. Si cela était vrai, la question serait déjà résolue, puisqu’aujourd’hui même il y a suffisamment de nourriture pour que toute la population mondiale mange à sa faim [lire]. Mais si ce n’est pas là le problème, ne faudrait-il pas trouver d’autres solutions et arrêter de laisser le «produire plus» occuper le devant de la scène?


Et qu’en est-il de la boussole? Il est quasi impossible aujourd’hui de savoir où l’humanité en est dans sa lutte contre la faim, où se trouve le bateau sur la carte et quel chemin il a suivi. Il est en effet pratiquement impossible de savoir comment le nombre de sous-alimentés a évolué depuis 2000, malgré le dispositif mis en place pour suivre son évolution. Jusqu’à la modification récente du mode de calcul utilisé par la FAO pour estimer ce chiffre, les estimations publiées montraient une augmentation du nombre de personnes sous-alimentées depuis 1996 et une stabilité relative de la proportion de la population mondiale affectée par la faim. Le re-calcul de ces estimations à partir de la nouvelle méthode utilisée par la FAO depuis 2012 donne, au contraire, un nombre en légère régression. Mais, en analysant les hypothèses faites dans ce calcul, et en modifiant l’une d’entre elles qui parait peu réaliste, on se rend compte que l’estimation résulte à nouveau en un chiffre en augmentation... [lire] Pas de boussole fiable, donc, pour l’instant du moins. On peut espérer que la nouvelle méthode pour mesurer la faim que la FAO compte adopter dans le futur proche et qui reposera sur une enquête mondiale, pourra enfin donner une image plus fidèle et plus crédible de la situation pour cet OMD. Et le bateau trouvera enfin une boussole en laquelle il pourra avoir confiance...


Des rameurs ivres et désunis


Il est d’autant plus difficile de savoir où se trouve le bateau que les rameurs rament dans tous les sens: les uns en avant, les autres en arrière. D’autres encore sont là à s’occuper de leurs petites affaires plutôt que de ramer. D’autres enfin empêchent leurs collègues de ramer... ivres de pouvoir et d’argent, ils font comme bon leur semble et selon leur bon plaisir! La confusion existe même au sein d’une même institution où l’un dit qu’il faut s’attaquer à l’extrême pauvreté et les autres qu’il faudrait plutôt développer l’agro-industrie. D’autres encore pensent qu’il faut distribuer de l’aide alimentaire ou de l’argent aux pauvres pour qu’ils puissent manger et vivre décemment, alors que certains se demandent si c’est là une solution durable au problème et qui préserve la dignité et l’autonomie des populations concernées. D’autres enfin s’activent pour s’emparer des ressources (terre, eau, ressources génétiques, forestières et halieutiques) qui pourraient permettre à ceux qui souffrent de la faim de s’en sortir et qui souvent leur appartiennent, afin d’accumuler des profits gigantesques aux dépens de ceux-là mêmes qu’il faudrait aider à sortir de la pauvreté et de la faim. Sans compter que ces derniers sont aussi, pour la plupart d’entre eux, exclus des programmes de développement, de l’éducation et même des programmes sociaux qui sont censés être conçus pour eux! [lire].


Terre enfin, peut-être...


Pourtant entre les nuages parfois perce le soleil qui pourrait permettre aux passagers du bateau de se repérer, s’ils le veulent bien. Car l’espoir existe. Une multitude d’expériences locales montrent que la faim peut être vaincue et qui suggèrent des solutions, des directions que l’on pourrait suivre pour atteindre l’objectif que l’on s’était fixé. Mais pour cela il faudrait un capitaine qui ait l’autorité nécessaire pour choisir la bonne carte et unifier les efforts des rameurs. Pour cela il faudrait que cette autorité soit respectée et des règles non seulement adoptées (il y en a déjà beaucoup qui vont dans le bon sens), mais aussi appliquées et des sanctions éventuelles infligées à ceux qui les violent. Pour cela, il faudrait que chacun donne un peu de sa «souveraineté» et de sa «liberté d’entreprendre» afin que l’objectif d’ordre supérieur puisse être atteint. Bref, une gouvernance de qualité et qui fonctionne effectivement. La réforme du Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) est un pas dans le bon sens, mais il n’est pas encore suffisant pour que le bateau redevienne enfin sobre et pleinement lucide et que toutes les énergies à bord soient orientées dans le même sens, celui qui mène vers l’éradication de la faim.


Il reste encore 1.000 jours pour arriver au moins à ce résultat indispensable, et le reste viendra par surcroît.

 

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