Les ressources naturelles :

Les ressources forestières

 

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Enjeux: les ressources naturelles





La forêt: les communautés rurales prises entre les marchés et l’objectif de préservation de la planète



La forêt et les produits forestiers ont un rôle vital dans la vie et le développement des communautés rurales. Tout au long de l’histoire, un lien étroit s’est tissé entre la forêt et le développement économique. Par la déforestation, des ressources indispensables au développement ont été libérées dans l’Europe du Moyen Age et de la Révolution industrielle. Mais la déforestation excessive et ses effets irréversibles sur l’environnement ont également été à l’origine du déclin économique de certaines civilisations comme l’illustrent les exemples emblématiques de l’Ile de Pâques et de la civilisation Maya. L'histoire nous montre donc l’importance essentielle d’une relation équilibrée entre la population et la forêt.


Les sociétés pré-agraires et les communautés vivant actuellement de la chasse et de la cueillette dépendent fortement des forêts pour leur subsistance. Au cours de l’histoire, l’apparition de l‘agriculture a profondément transformé la nature de la dépendance de l’homme envers la forêt. Elle a entraîné le déboisement, mais les forêts devaient encore pourvoir la population en terres vierges pour la mise en culture et en aliments complémentaires. Avec l’industrialisation, la forêt devient avant tout une source de matière première (bois, cultures industrielles, énergie et minéraux). Avec l’entrée dans la phase «post-industrielle» la forêt doit avant tout apporter des services écosystémiques, notamment hydriques et de stockage du carbone, et des services de récréation et d’agrément. Avec l’existence simultanée de sociétés pré-agraires, agraires, industrielles et post-industrielles, il est inévitable que surviennent des conflits entre groupes de population divers groupes de population ayant des besoins et des intérêts divergents. La question est donc d’arriver à assurer un partage équitable des ressources de la forêt qui respecte les droits des populations les plus vulnérables, notamment des peuplades autochtones.



Les produits de la forêt


On estime qu’environ 500 millions de personnes parmi les plus pauvres de la planète et qui comprennent environ 150 millions d’autochtones, dépendent pour leur survie de l’exploitation de la forêt. C'est par exemple la situation des peuples Baka du bassin du Congo, des Dayak de Bornéo ou encore des Kayako d'Amazonie. Mais c’est un nombre bien plus grand encore de personnes qui de près ou de loin tirent des ressources de la forêt.


On estime ainsi que les 4 milliards d'ha de forêt dans le monde, soit 31% de la superficie des terres émergées, généraient une valeur ajoutée totale de près de 500 milliards de dollars en 2008, soit environ 1% du PIB mondial. Les 45% de cette valeur provenait de l’industrie de la pulpe et du papier, 30% de l’industrie du bois et le reste d’autres activités forestières. Le commerce de produits de la forêt représentait plus de 300 milliards de dollars.




Pour les communautés rurales, la forêt est la source d’une grande diversité de produits, une diversité qui d’ailleurs a été façonnée par la gestion traditionnelle des forêts. En plus des produits ligneux qui servent à la construction d’habitations et à la manufacture de meubles et d’une multitude de produits faits main, la forêt offre aussi:


  1. Du bois de chauffe et du charbon de bois

  2. Du fourrage pour le bétail, qu’il soit récolté pour être donné aux animaux ou bien pâturé

  3. Des engrais soit par l’intermédiaire des déjections des animaux consommant des produits de la forêt, soit par l’épandage de feuilles et de litière forestière, soit encore par l’agro-foresterie et, indirectement, par recours à la culture itinérante sur brûlis

  4. De la nourriture (viande de brousse, racines, feuilles comestibles, fruits, noix, champignons, miel, épices, etc.)

  5. Des plantes médicinales utilisées par des centaines de millions de personnes et de plus en plus par l’industrie pharmaceutique

  6. Des teintures pour les habits et les produits de l’artisanat qui souvent jouent un rôle  important de filet de sécurité

  7. Des produits pour la vannerie.


Une estimation de la FAO fixait en 2005 à 18,5 milliards de dollars la valeur totale des produits forestiers non ligneux (autre que le bois).


Au niveau local, l’importance du revenu tiré de la forêt peut être considérable pour la population. Ainsi, par exemple, au Burkina Faso, dans le village de Tenkodogo, les revenus tirés de la forêt par les ménages pauvres peuvent se monter à près de 50% de leur revenu total, dont 10% en revenu monétaire, et les 40% restant en revenu non monétaire. Cette proportion est plus élevée pour les ménages les plus pauvres et pour les femmes que pour les autres. Plus on se trouve dans des zones isolées, plus grande est la dépendance sur la forêt.




La forêt a également un rôle de régulation naturelle de l’approvisionnement en eau, jouant un rôle tampon pour les sécheresses et les inondations. De plus, les zones forestières ont souvent un fort potentiel touristique et un rôle primordial dans la fixation du carbone que l’on estime à 289 milliards de tonnes de carbone par an. Ces potentiels mal gérés, on le verra, peuvent être une menace pour les populations locales dans la mesure où cela peut attiser les convoitises de sociétés externes cherchant des opportunités d’investissement et de profit, et amener à la perte pour les locaux de l’accès pourtant vital à la forêt.



L’accès aux ressources forestières 


Les communautés rurales ont, de temps immémoriaux, eu accès aux ressources forestières dans leur diversité. On estime qu’environ 80% des forêts mondiales appartiennent au domaine public. Depuis quelques décennies, des mécanismes formels de gestion communautaire de la forêt se sont mis en place et les droits des communautés sont progressivement, mais trop lentement, reconnus par les Etats. Cependant, dans beaucoup de pays, les cadres réglementaires manquent de précision ou ne garantissent pas une véritable sécurité foncière aux communautés pour qui les forêts constituent cependant une source importante de moyen de subsistance. Ils laissent trop souvent ouverte la voie menant à l’appropriation de la forêt par des agents externes aux communautés.

Le développement de la capacité des communautés locales à s’organiser, négocier et défendre leurs droits devant les pouvoirs publics et les menaces externes s’est avérée capitale pour obliger l’Etat et ses dirigeants à respecter les acquis des communautés. Souvent, ces communautés locales bénéficient de l’appui d’organisations internationales ou d’ONG pour défendre les droits traditionnels d’accès aux forêts dont ils bénéficient. Cet accès est de plus en plus remis en cause pour diverses raisons. Perdre l’accès à ces ressources sera synonyme pour ces communautés de sombrer dans une situation de vulnérabilité accrue, de pauvreté et de faim chronique.


Les menaces pesant sur l’accès aux ressources forestières par les communautés locales


Quelles sont les menaces qui pèsent sur l’accès par les communautés locales aux ressources forestières? Elles sont de cinq types:


  1. La déforestation

  2. Les concessions commerciales

  3. Les réserves et parc naturels

  4. Les concessions carbone

  5. La privatisation sans contrepartie décente des connaissances traditionnelles



La déforestation


Au cours des 5000 dernières années, on estime à 1,8 milliards d’ha les terres qui ont été déboisées (environ 14% des terres émergées), soit une perte moyenne de 360.000 ha par an. Au cours des 10 premières années du XXIème siècle, ce sont environ 520.000 ha qui ont disparus annuellement, bien que la déforestation se soit considérablement ralentie voire même arrêtée dans les zones tempérées, alors qu’elle s’est fortement accélérée en zone tropicale. En fait on estime que pendant que l’on perdait annuellement 1,3 millions d’ha de forêt dont 400.000 ha de forêt primaire, environ 780.000 ha de forêt étaient regagnés par plantation ou régénération naturelle. Ce montant de perte annuelle de forêt est en diminution nette par rapport aux années 1990 (830.000 ha par an) du fait essentiellement de l’augmentation des plantations faites en zone tempérées, notamment en Chine.


Selon Pavan Sukhdev, Conseiller spécial au Programme des Nations Unies pour l’environnement et leader du projet TEEB, le déboisement coûte annuellement entre 1.300 et 3.100 milliards d’euros, soit une somme plus grande que la perte qu’ont subie les banques de Wall Street et de la City de Londres lors de la crise financière de 2008. Et ceci, dans l’indifférence quasi générale... et sans, bien sûr que cela soit pris en compte dans les comptes nationaux qui par ailleurs considèrent comme «richesse» la fabrication d’armes et la décontamination nucléaire...


D’après la FAO, les principales causes de la déforestation et de la dégradation de la forêt étaient à la fin du siècle dernier, par ordre d’importance, l’expansion de l’agriculture de subsistance (63%), l’expansion de l’agriculture de plantation (16%), la surexploitation des forêts pour la récolte de bois de chauffe (8%), le développement de l’élevage (6,5%), les coupes de bois (5,5%) et le développement des infrastructures (1%) c’est-à-dire les routes, villes et mines.


Plus récemment un rapport préparé pour les gouvernements britannique et norvégien estimait que l’agriculture restait la cause directe du déboisement et de la dégradation de la forêt (80%). Il souligne cependant qu’en Amérique latine, les 2/3 de la déforestation provenait de l’installation d’agriculture commerciale. En Amazonie brésilienne, l’élevage extensif de bovins est généralement considéré comme la première cause de déforestation. L’incertitude sur les droits fonciers sur les forêts facilite l’appropriation des terres par des investisseurs externes aux communautés. L’agriculture commerciale était également à égalité avec l’agriculture de subsistance en Afrique et en Asie intertropicale en tant que cause de déforestation. En Asie, le développement du palmier à huile depuis une vingtaine d’années s’est principalement fait par la déforestation. La dégradation se faisait à plus de 70% par l’exploitation commerciale du bois en Amérique latine et en Asie, alors que la collecte de bois de chauffe, la production de charbon de bois et, de façon moindre, le surpâturage étaient les principaux facteurs de dégradation de la forêt dans la plus grande partie de l’Afrique. Les causes sous-jacentes à l’origine de cette dégradation sont:


  1. au niveau mondial, les marchés et le prix des matières premières, bois mais aussi produits agricoles et alimentaires, dopés par une demande en forte croissance

  2. au niveau national, la pression démographique et la gouvernance défaillante (politiques inappropriées, corruption, exploitation illégale de la forêt)

  3. au niveau local, la pauvreté, la recherche de moyens de subsistance et la précarité des droits fonciers.


On peut rajouter également comme facteurs de dégradation le tourisme, les pluies acides, les diverses maladies et parasites des arbres et la guerre, ainsi que la sous-évaluation de la valeur réelle des forêts et les effets du changement climatique.


Les concessions commerciales


Le principal mécanisme de déforestation résultant du regain d’intérêt manifesté pour les forêts par le marché mondial est la concession forestière commerciale. C’est un phénomène qui a connu un grand essor vers la fin du XXème siècle dans diverses parties du monde.


En Afrique centrale en 2010, environ 26% des 170 millions d’ha de la forêt dense humide du Bassin du Congo avaient été attribués en concessions forestières, soit les 3/4 des forêts au Congo, 45% au Gabon, 43% en République Centrafricaine, 1/3 au Cameroun, 12% en République Démocratique du Congo et aucune en Guinée Equatoriale (les concessions y ont été toutes supprimées en 2008). C’est là 10% de moins qu’au milieu des années 2000. La mise sous concession réduit tout d’abord l’accès des populations locales à la forêt, si elle ne l’interdit pas totalement. Ensuite, l’exploitation des concessions par les compagnies détentrices touche des espèces importantes pour les populations locales. Par exemple, 61% des 23 principales espèces ligneuses exploitées par les compagnies forestières au Cameroun ont une forte valeur pour les communautés locales et pour la subsistance, les revenus et la santé des ménages. L’abattage pour leur bois d’œuvre des trois espèces les plus récoltées au Cameroun et en République Centrafricaine (Triplochiton scleroxylon, Entandrophragma cylindricum et Melicia excelsa) réduit de manière significative la disponibilité des produits forestiers non ligneux pour les communautés locales. L’exploitation des forêts détruit aussi des arbres sans intérêt pour les compagnies exploitant les concessions mais qui fournissent des produits très importants pour la population villageoise.


En Asie, au Cambodge en 2001, 17 compagnies détenaient 24 concessions sur plus de 4 millions d’ha sur un total de 10 millions d’ha de forêts. En Indonésie, en 2000, 320 concessions couvraient 41 millions d’ha sur les 100 millions d’ha de forêt (la superficie totale de forêt en Indonésie était de 162 millions d’ha cinquante ans plus tôt en 1950!). La situation était assez semblable en Amérique latine. En Inde, c’est 1,1 million d’ha qui sont menacés par des mines de charbon et des dizaines de milliers de personnes appartenant à des populations autochtones qui sont menacées de déportation.


Il faut noter que dans la plupart des cas, les populations sont peu ou pas associées à la gestion des concessions et, le plus souvent, il n’y a pas d’organe de gestion ou de concertation en place qui permette aux populations locales de défendre leurs intérêts.


L’importance du phénomène des concessions est une conséquence directe du fait que les forêts sont présumées appartenir à l’Etat ce qui permet aux gouvernements de s’autoriser à attribuer des forêts domaniales sans concertation avec les populations qui pourtant y ont et y exercent des droits coutumiers ancestraux. Ce processus se poursuit malgré les efforts faits de certification des produits forestiers qui devrait encourager les bonnes pratiques. Mais la certification ne couvre qu’à peine 2,3% de la superficie forestière mondiale, soit 90 millions d’ha.


Les réserves et parcs naturels


100,000 sites, parcs et sanctuaires protégeant plus de 1,5 milliards d’ha ont été établis depuis la création du Parc National de Yellowstone aux Etats-Unis en 1872. Alors qu’au départ, les parc étaient surtout des zones mises de côté à fin de conservation où les hommes n’avaient pas leur place, les réserves et parcs sont de plus en plus devenus, selon leurs promoteurs, des instruments de développement durable reconnaissant le rôle des populations et l’objectif de préservation non seulement des ressources naturelles, mais aussi culturelles. Mais réussir cette conversion reste un défi difficile à réaliser.


Evolution des superficies protégées dans le monde (1911-2011)

en millions d’ha

   



                                            Source: World database on protected areas

Deux exemples de réserves en Tanzanie:

1. Les Masai de Loliondo dans le district de Ngorongoro


Le gouvernement tanzanien, par la voix de son ministre du tourisme Khamis Kagasheki, a confirmé son intention de saisir 1.500km2 (150.000ha) de territoire dans le district de Ngorongoro célèbre pour son cratère riche en faune et haut lieu du tourisme international. Cette zone, essentiellement couverte de savane, fait partie des pâturages exploités par les Masai et est essentielle à la survie de leurs troupeaux pendant la saison sèche. L’activité pastorale des Masai est considérée comme l’une des activités les plus compatibles avec la préservation de la faune locale.





Dès 1959, le gouvernement britannique avait chassé les Masai de l’immense parc de Serengeti voisin pour y établir un parc national. Une partie de la population déplacée avait alors été envoyée dans la zone de Loliondo.


En 1992, le gouvernement tanzanien a accordé comme zone de chasse une partie de la région de Loliondo à la Otterlo Business Corporation Ltd. une société qui organise des safaris de chasse pour les princes des Emirats Arabes Unis. Lors de la saison de chasse de 2009, le gouvernement avait expulsé la population de cette zone en brûlant 150 villages temporaires, provoquant la disparition d’un enfant de 7 ans et poussant un troupeau d’environ 60.000 têtes dans une situation de vulnérabilité extrême, provoquant un regain de mortalité parmi le bétail.


La saisie du territoire fut officialisée en 2011 par la publication du Wildlife Conservation Act No 5 of 2009. La déclaration du ministre du tourisme en date du 26 mars 2013 confirme l’intention du gouvernement de donner la priorité au développement du tourisme aux dépends de l’agriculture et de l‘élevage.


Une campagne de soutien international aux Masai de Loliondo est en cours, à l’initiative de plusieurs ONG internationales notamment d’AVAAZ.


Pour voir la pétition proposée par AVAAZ

Lire l’article du Guardian de septembre 2009 (en anglais)

 













































En 2005, les zones ayant un objectif principal de protection excluant l’incursion humaine représentaient à peu près la moitié des zones protégées (70% en Amérique du Nord où se trouvent 1/5ème des superficies protégées au monde). Ces zones représentaient en 2003 environ 13% des forêts tropicales humides (160 millions d’ha), 7% des forêts tropicales sèches (23 millions d’ha) et 12% des savanes arborées et des zones de mosaïque forêt-savane (45 millions d’ha). Dans bien des pays, les populations locales ont perdu leur terre et leurs ressources lors de la création des zones protégées, avec peu ou pas de compensation, mais dans bien des cas, ces zones sont encore occupées ou exploitées partiellement par les populations qui habitent à proximité.

Deux exemples de réserves en Tanzanie:

2. La réserve de chasse dans le district de Bagamoyo


Une association de chasse danoise s’est associée à 13 villages de la bordure Ouest du district de Bagamoyo et 11 villages de la région de Morogoro pour établir une réserve de chasse qui couvre 25.000 ha de forêt. Chacun des villages reçoit annuellement un paiement d’un million de shillings tanzaniens (environ 480 euros). L’association a également financé la préparation de plans d’occupation des sols et d’un cadastre pour un total de 120 millions de shillings (environ 58.000 euros) qui devait aboutir, après un travail de six mois, à la distribution de titres de propriété. L’accord stipule que les villageois s’engagent à ne plus accéder aux zones de chasse et de pêche. L’association de son côté organise des safaris photo et assure le logement des touristes.




Bien que la «location» des terres se fasse à un tarif modique (environ 0,50 euros/ha) ce mode de gestion d’une réserve peut être cité comme bonne pratique dans la mesure où les villageois sont associés à l’activité et voient leurs droits reconnus et compensé financièrement, même si le montant reste extrêmement modeste.


D’après Jussi Ylhäisi, Privatisation durable des terres impliquant une planification participative de l’utilisation des terres en zone rurale, Un exemple de Tanzanie, Revue des questions foncières, 1-10

 





































Dans certains cas, cependant, l’installation de ces zones protégées semble s’être faite dans de bonnes conditions. Ainsi, à Bamezoun au Bénin, la mise en défens d’une zone forestière côtière s’est accompagné d’un investissement de 4,3 millions de dollars par le Fonds pour l’Environnement Mondial qui a financé l’installation d’un périmètre de maraichage, d’infrastructures de pisciculture, de transport et de production d’huile de palme, ainsi que la formation de plusieurs centaines de locaux. De quoi compenser de façon durable la perte occasionné par l’interdiction d’exploitation de la zone côtière.


Les concessions «carbone»


L’idée du REDD, l’initiative des Nations Unies pour la réduction des émissions provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts lancée en 2008, est séduisante. Comme son nom l’indique, cette initiative a pour objectif de réduire les émissions de carbone provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts qui représentent, bon an mal an, entre 1/6ème et 1/5ème des émissions totales de carbone. L’idée était d’arriver à ce résultat en travaillant en étroite collaboration avec les communautés rurales et en mobilisant des ressources financières à partir d’un marché des droits d’émission de carbone. REDD+ devait aller plus loin en mettant en place des techniques de gestion de la forêts susceptible d’augmenter leur niveau de stockage de carbone.


Sur le terrain, REDD/REDD+ se traduit par la mise en place de concessions forestières gérées de façon à augmenter le carbone qu’elles stockent. Leur mise en défens par les pays et les populations qui les exploitaient auparavant est compensée par le paiement d’une annuité aux Etats et communautés par des entreprises pollueuses qui gagnent ainsi le droit d’émettre une certaine quantité de carbone du fait de leurs activités industrielles. L’idée était séduisante car elle devait permettre aux communautés rurales d’avoir un revenu financier assuré pendant une période assez longue tout en leur donnant la possibilité d’exploiter certains produits des forêts qu’elles entretiennent.

Un exemple de succès du programme REDD:

Le village d’Ibi sur le plateau de Batéké en RDC



Les fonds carbone peuvent constituer une source de revenu importante pour les communautés en les compensant pour la mise en défens des forêts.


Ainsi le village d’Ibi, sur le plateau de Batéké, à environ 150 kilomètres de Kinshasa, en République Démocratique du Congo, a décidé de replanter une forêt dégradée et finance l’éducation de centaines d’enfants et des soins médicaux de base grâce au revenu tiré des compensations obtenues à partir du marché de droits d’émission de carbone dans le cadre du programme REDD.


Les activités du projet ont permis de régénérer des portions de savane et de développer des abris naturels pour la faune sauvage.


Source: Banque mondiale: DRC: Congo community to use carbon payments to put kids through school: Reforestation project is DRC’s first registered under Kyoto Protocol





















Mais la réalité a été souvent moins séduisante et l’application du programme REDD+ a été fortement critiquée par la société civile et notamment par Via Campesina mais pas exclusivement. Les raisons invoquées sont:


  1. Le programme attise la convoitise envers les forêts des pays du Sud d’opérateurs externes, souvent des financiers spécialisés dans le commerce de crédit carbone, et les attire dans les zones rurales les plus reculées où ils viennent spéculer en anticipant la mise en place du mécanisme REDD/REDD+. Ainsi une compagnie bénéficiant du soutien de capitaux britanniques lorgnerait sur 15 millions d’ha au Mozambique

Témoignages critiques de communautés participant au programme REDD


Le représentant des peuples indigènes paraguayens, S. Marcelo, également administrateur de l’Alliance Internationale des Peuples tribaux et indigènes des forêts tropicales, juge le REDD  non seulement inefficace, mais en plus hautement nocif pour les « gardiens traditionnels des forêts ».


Il considère comme honteuse la mise en place de ce mécanisme compensatoire mettant à contribution les pays qui ne sont pour rien dans le changement climatique et qui de plus en subissent les conséquences de plein fouet. Lorsqu’on parle du REDD, on parle aussi de terres, territoires et titres fonciers ainsi que de ressources naturelles. Mr Marcelo a expliqué à l’audience atterrée que le gouvernement paraguayen avait expulsé des communautés de leur forêt ancestrale pour la bonne raison que ces forêts représentent un réservoir de carbone susceptible de générer un nombre important de crédits forêt sur les marchés du carbone. Ces communautés sont désormais obligées de louer leurs terres aux compagnies étrangères qui gèrent les forêts !




Les Kenyans ont expliqué que la complexité du système fait que les organisations communautaires auront toujours plus de difficultés à bénéficier du REDD que les grandes organisations nationales ou étrangères. Les premiers bénéficiaires resteront donc à [leur] yeux les grands opérateurs et les intermédiaires. En effet, comme le rabâchent sans relâche les ONG dans les couloirs du Bella Center, un mécanisme financé par le marché du carbone donnera du pouvoir aux investisseurs et aux intermédiaires de la finance, les uns possédant des titres (land titles), les autres spéculant sur les crédits d’émission.


Les bénéfices iront donc aux déforesteurs traditionnels et aux forces économiques à titre de compensation.


Il est donc impossible que ceux qui protègent réellement la forêt ne soient pas dédommagés pour leur rôle dans la préservation des services environnementaux rendus par celle-ci et notamment pour le maintien des stocks de carbone.


Les communautés dans les pays du sud et les bénéfices du REDD

 

  1. Les tensions sociales que cela crée entre groupes de paysans et entre les communautés et les entreprises avec lesquelles les contrats sont signés

  2. Le faible revenu retiré par les paysans qui fait que certains abandonnent assez rapidement le projet

  3. Les contrats signés engagent les paysans au-delà de la période pendant laquelle ils bénéficient de paiements

  4. Certains projets REDD ont même abouti à la déportation de populations entières (au Mexique notamment)

  5. Les contrats REDD tendent à détourner les paysans de la production alimentaire traditionnelle et les rends plus vulnérables aux variations du marché

  6. A terme, les populations locales risquent de perdre leurs droits d’accès ancestraux à la terre ce qui ne manquera pas d’avoir un effet négatif sur leur sécurité alimentaire et risque de découpler entièrement la conservation de la forêt du développement des habitants

  7. Certains investisseurs privés pourraient être tentés de clôturer des zones privées de conservation

  8. A terme, REDD pourrait éroder des valeurs de conservation des ressources naturelles profondément ancrées dans la culture locale pour les remplacer par des valeur de conservation basée sur le profit.


Toutes ces limitations et ces risques soulignent le besoin d’évaluation indépendante pour voir si les principes sont respectés dans la pratique et si éventuellement des aménagements sont à apporter à REDD pour qu’il soit plus favorable au développement durable des populations locales.


Par ailleurs, le principe même de ce programme peut être critiqué, dans la mesure où finalement, il est conçu pour permettre aux industries du Nord à continuer à produire et se développer, alors que, en contrepartie, les populations du Sud se mettent dans une situation de dépendance passive, comptant sur des compensations modestes, qui n’est pas pour stimuler leur développement autonome et durable.


La privatisation sans contrepartie décente des connaissances traditionnelles


De façon similaire à ce qui a été vu dans le cas des ressources génétiques [lire], les connaissances traditionnelles de la forêt, acquises par les populations locales au cours de l’histoire, sont menacées par des grands groupes qui voient dans leur utilisation une opportunité de profit à faible coût dans la mesure où elles peuvent impunément se les approprier sans compenser de façon équitable les populations qui les ont accumulées.


On peut constater que ces connaissances traditionnelles ont joué un rôle central dans le développement des industries des produits pharmaceutiques, de la phytothérapie, des cosmétiques et de la floriculture. Or ces industries produisant et vendant des produits de phytothérapie, des compléments alimentaires, des produits cosmétiques et de soins corporels et des aliments et boissons (chou palmiste, le chardon-Marie, le gingko, le goji, le ginseng, le guarana, le cordyceps, la griffe du diable, l’açaï, la baie de sureau, les échinacées, etc.) connaissent une très forte croissance dans le monde entier, notamment en Europe, aux Etats-Unis et en Chine.


L’article 8 j) de la Convention sur la diversité biologique demande de «respecter, préserver et maintenir» les connaissances, innovations et pratiques des peuples autochtones et des communautés locales, liées à la biodiversité. Il stipule aussi que «l’application sur une plus grande échelle» de ces connaissances soit favorisée avec «l’accord et la participation des dépositaires de ces connaissances».


La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007, pour sa part, stipule que: «Les peuples autochtones ont le droit de préserver, de contrôler de protéger et de développer leur ... savoir traditionnel et... les manifestations de leurs sciences, techniques et culture, y compris leurs ressources humaines et génétiques, leurs semences, leur pharmacopée ... [et] leur connaissance des propriétés de la faune et de la flore. ... Ils ont également le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur propriété intellectuelle collective de ce patrimoine culturel, de
ce savoir traditionnel et de ces expressions culturelles traditionnelles» (article 31.1).





Une proposition a été faite de modification de l’Accord de l’OMC sur les droits de propriété intellectuelle touchant au commerce (ADPIC) afin d’y ajouter une disposition imposant de dévoiler l’origine des connaissances dans les demandes de brevets et exigeant le partage des avantages avec les communautés. Cette modification découragerait la biopiraterie par les sociétés privées au détriment des populations autochtones. La reconnaissance juridique de la propriété collective de ressources et de connaissances, et la copropriété de brevets et de produits, ainsi que des preuves formelles de consentement préalable des communautés aiderait certainement à assurer et organiser un partage équitable des bénéfices de l’application industrielle des connaissances traditionnelles.


Mais on en est pas encore là et les pratiques dépendent à l’heure actuelle du degré d’éthique présent dans le comportement des industriels et des gouvernants locaux. L’intervention des ONG comme intermédiaires entre les communautés et les sociétés privées est souvent une façon de combler le vide juridique et redresser au moins partiellement le déséquilibre entre les communautés locales et les entreprises.



Pour conclure


Ce tour d’horizon des menaces pesant sur l’accès aux ressources forestières par les communautés locales montre que comme dans le cas de la terre, l’eau et les ressources génétiques, la pression économique est énorme pour déposséder les communautés rurales des atouts qu’elles ont et sur lesquels elles tentent, difficilement d’assurer leur sécurité alimentaire.


Dans le cas des forêts, en plus des pressions exercées par les entreprises privées, locales ou multinationales, les ressources naturelles sont aussi soumises à des forces, souvent bien intentionnées, visant à préserver la planète, à minimiser l’émission des gaz à effet de serre et à augmenter le stockage du carbone. Mais le partage injuste des coûts et avantages de l’opération et la perte de perspectives de développement des communautés concernées jette un doute sur les avantages réels qu’elles peuvent en tirer.


C’est peut-être dans ce domaine des ressources forestières, qu’il sera le plus difficile de défendre les intérêts et les droits des populations autochtones, dans la mesure où elles se trouvent, peu organisées, face à une coalition d’intérêts très divers.





Materne Maetz

(mai 2013)


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Dernière actualisation:    mai 2013

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