Les ressources naturelles :

Les ressources génétiques

 

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Enjeux: les ressources naturelles



Les ressources génétiques


L’accélération de la privatisation du vivant constitue une menace pour l’alimentation et la biodiversité



L’agriculture, une activité fondée sur la sélection du vivant


De toutes les activités humaines, l’agriculture est certainement celle qui s’appuie le plus sur l’utilisation du vivant, que ce soit plantes ou animaux. Ces organismes, avec la terre et le travail des agriculteurs(trices), constituent la base de l’agriculture. Celle-ci est directement tributaire des caractéristiques des organismes vivants avec lesquels elle travaille, telle que leur productivité, leur résistance aux maladies et aux aléas climatiques entre autres. Ces caractéristiques dépendent fortement de la nature génétique des organismes vivants concernés, en plus des techniques de cultures et d’élevage qui leur sont appliquées.


C’est ce qui explique que depuis l’origine de l’agriculture, il y a environ 10.000 ans, les humains ont cherché à domestiquer et sélectionner les organismes avec lesquels pratiquer l’agriculture. Cette sélection a consisté pendant longtemps à garder les plus belles graines pour en faire des semences, et à utiliser comme reproducteur le taureau fils de la vache meilleure productrice de lait ou le bélier fils du meilleur producteur de viande ou de laine.




Les ressources génétiques végétales


Traditionnellement, pour les plantes, l’amélioration génétique s’est faite par la sélection locale des plus belles graines (sélection massale) pour en faire des semences pour la prochaine année, ce qui a abouti à la sélection d’une grande diversité de variétés locales adaptées à des écosystèmes spécifiques1.


La stabilité des résultats obtenus dépend cependant des caractéristiques des plantes cultivées: ainsi certaines plantes se reproduisent principalement par autofécondation (blé, coton, soja, tabac et tomate) ce qui donne des variétés uniformes et stables. D’autres se reproduisent plutôt par allofécondation (fécondation par un autre individu) ce qui entraine une plus grande hétérogénéité et instabilité génétique (betterave à sucre, luzerne, maïs, oignon, tournesol). Enfin une troisième catégorie peut se propager par boutures ou tubercules (manioc, pomme de terre) qui sont encore plus stables génétiquement puisque cela n’implique pas de reproduction sexuée.


C’est vers le milieu du XIXème siècle que la sélection fut prise en main par des scientifiques, qui peu à peu sélectionnèrent des lignées pures2 par rapport à la stabilité des caractéristiques préférées. La sélection s’effectuait sur ces caractéristiques en utilisant de nouvelles techniques  comme la sélection généalogique. L’un des précurseurs dans ce domaine fut Louis de Vilmorin. Ceci amena à l’apparition des cultivars lignée pure invariants génétiques. Les caractéristiques sur lesquelles se fait la sélection sont habituellement:


  1. La productivité

  2. La résistance aux parasites ou aux maladies

  3. La tolérance à la sécheresse, à la chaleur, au froid, aux polluants

  4. La composition (éléments nutritifs, toxines, résistance au stockage...)

  5. L’adaptabilité aux variations de conditions écologiques de culture (climat, sol...)


Avec le développement économique et des échanges, ces améliorations ne se faisaient plus dans le simple but d’utilisation des résultats par celui qui les pratiquaient ou par sa communauté, mais dans un but de revente avec profit. La production de semences devient donc peu à peu une activité commerciale dans la main d’entreprises spécialisées qu’elles soient privées ou publiques. Les semences, de biens communs, deviennent ainsi progressivement des biens privés échangés sur les marchés. L’accès aux meilleures semences se trouve ainsi automatiquement restreint aux producteurs qui sont capables de mobiliser les ressources monétaires pour les acquérir. Les producteurs les plus pauvres s’en trouvent donc largement exclus. De patrimoine commun de l’humanité, les ressources génétiques deviennent progressivement patrimoine privé d’une minorité de producteurs de semences spécialisés qui peu à peu s’approprient les ressources génétiques non pas en les créant, mais en les combinant et les révélant pour les vendre avec profit.


La redécouverte au début du XXème siècle des travaux de Mendel sur l’aspect «particulaire» de l’hérédité (publication en 1865) entraînèrent une nouvelle évolution essentielle, l’adoption des techniques d’hybridation entre lignées pures qui démontrent fortement les caractéristiques désirées.


Pour le blé, c’est en 1914 qu’apparurent les premiers blés Vilmorin orientés vers une forte productivité. En 1928 apparurent des variétés qui combinaient des caractéristiques de productivité avec des capacités de résistance aux contraintes du milieu tels que les contraintes de climat et les maladies. Ces progrès amenèrent un doublement de la productivité du blé entre 1900 et 1950, puis un autre doublement entre 1950 et 1975.

Dans le cas du maïs, les premières variétés hybrides apparurent aux Etats-Unis en 1935.


L’avantage de l’hybridation est d’une part que les caractères recherchés dans les lignées pures s’y trouvent assemblés de façon très uniforme, et d’autre part que la combinaison de variétés pures leur donne un regain de vigueur (hétérosis) et de rapidité de croissance dont l’effet sur la productivité est souvent estimé de l’ordre de 25%.


Les désavantages de l’hybridation sont:


  1. La perte des caractères et de l’uniformité de la population en cas de réutilisation de la production comme semence. Ceci implique donc pour le producteur le besoin de racheter à chaque fois des semences fraiches auprès du fournisseur

  2. Les hybrides, pour donner leur plein potentiel, doivent être cultivés dans des conditions optimales. C’est la raison pour laquelle la culture des variétés hybrides s’accompagne en général de l’utilisation d’engrais chimique, voire d’irrigation (révolution verte)

  3. Les semences d’hybrides sont bien plus chères que les autres semences.


Avec ces caractéristiques, l’apparition des semences hybrides accélèrent encore l’évolution vers la privatisation des ressources génétiques. Pourtant, la promotion des semences végétales hybrides, plus productives, a été au centre des efforts de vulgarisation des Etats au cours des quatre ou cinq dernières décennies. Les Etats ont donc encouragé cette tendance.


Cette privatisation des ressources génétiques se trouvant dans les semences est d’autant plus effective que se mettent en place des législations sur les semences végétales qui reviennent à interdire les échanges traditionnels de semences et inscrivent les nouvelles règles du jeu dans la loi.


Dans le cas de la France, c’est en 1932 qu’est créé le Catalogue officiel des variétés et des espèces. Un des objectifs de ce catalogue est d’assurer une stricte correspondance entre la variété des semences et leur appellation, afin d’éviter toute fraude au moment de la vente. Il protège ainsi l’acheteur en lui assurant la variété des semences qu’il achète. Dans un premier temps, les semences de variétés inscrites et les autres coexistent sur les marchés, mais à partir de 1949, sous prétexte de lutte contre la fraude, seules les semences d’une variété inscrite au catalogue peuvent être commercialisées. L’inscription au catalogue est soumise à la satisfaction de certains tests techniques (distinction, stabilité et homogénéité, valeur agricole et technologique pour les nouvelles variétés) et au paiement d’un dépôt initial et d’annuités. L'utilisation de semences non inscrites reste permise, à condition que celles-ci ne quittent pas l’exploitation.


Il est clair que cette réglementation favorise le développement du commerce des semences au détriment des échanges traditionnels de semences entre producteurs. En France cela est à présent bien entré dans la pratique, mais le même principe est appliqué de façon croissante dans les pays non industrialisés où les producteurs dépendent encore largement des échanges traditionnels de semences effectués dans le cadre de marchés ou foires semencières traditionnelles.


On a ainsi réussi à faire évoluer au cours des siècles les plantes avec lesquelles travaille l’agriculture, leur faisant faire des bonds de productivité extraordinaires. Il y a 7000 ans, l’épis de téosinte, l’ancêtre du maïs mesurait de l’ordre de 2,5 centimètres contre plus de 40 centimètres maintenant et les rendements étaient alors de 120kg/ha de grain, alors qu’aujourd’hui il peut atteindre jusqu’à 10 tonnes/ha et qu’il a été multiplié par quatre en 50 ans. Mais le prix à payer pour ce «progrès» est une régression sociale qui se traduit par l’exclusion d’une masse de petits producteurs qui ne peuvent plus avoir accès à cette nouvelle technologie et bénéficier pleinement de ses avantages, du fait de leur faible capacité financière.








   




















Source: GNIS (groupement national interprofessionnel des semences)


Le développement des semences végétales a été l’un des domaines de prédilection du secteur privé en agriculture. Ceci a pu se faire dans la mesure où les semences sont un domaine assez facilement «privatisable» qui peut être rentabilisé:


  1. En brevetant des nouvelles variétés, ce qui oblige tout producteur ou utilisateur à payer une redevance

  2. En rendant les nouvelles variétés ou du moins leurs qualités non reproductibles: d’où le succès des hybrides qui perdent à la seconde génération l’homogénéité et la qualité de ses individus, ce qui oblige les producteurs à racheter des semences chaque année.


Les progrès de la génétique et de la manipulation génétique ont permis a création et la mise sur le marché d’organismes génétiquement modifiés (OGM). Les ADN de ces organismes ont subi des manipulations génétiques pour leur donner certaines caractéristiques intéressantes du point de vue agronomique ou nutritionnel tel que la capacité de lutter contre les ravageurs, résister aux herbicides ou à la sécheresse, l’amélioration de l’assimilation de certains éléments (phosphore, azote) ou de la valeur nutritive du produit (organismes enrichis en vitamines ou en médicaments).


En face de ces avantages annoncés, des risques ont également été soulignés: risques environnementaux du fait de la création d’organismes «artificiels» dont on ne sait pas quels effets ils pourraient avoir sur l’environnement (possibilité d’apparition de plantes envahissantes à la prolifération incontrôlable, libération de gènes qui pourraient être transmis à divers organismes indésirables, multiplication des risques de développement de résistance par les insectes et autres prédateurs aux produits toxiques sécrétés par les OGM du fait de la présence continue des substances dans la plante, utilisation accrue de pesticides pour traiter des organismes résistants - voir la video de Greenpeace, etc.) et les dangers de santé publique que ces organismes pourraient créer (certains des OGM sont conçus pour produire leur propre insecticide qui se retrouve après la récolte dans l’assiette du consommateur avec des conséquences possibles sur la santé). Enfin, les semences d’OGM sont bien plus chères que les semences conventionnelles. Ainsi les semences de coton OGM coutaient 41€ le sac au Burkina Faso début 2012 contre 1,2€ pour les semences conventionnelles.


Les conditions de mise en marché des OGM ont fait débat au cours des derniers mois, notamment à la suite de l’Etude du Prof. Séralini du Comité de recherche et d'information indépendants sur le génie génétique (CRIIGEN) qui a remis en question les conditions et modalités des études de toxicologie à mener comme préalable à la mise sur le marché d’un nouvel OGM en Europe [lire nos nouvelles en octobre et novembre 2012 et en janvier et mars 2013). Ce débat a été temporairement clos par la décision de l’Union Européenne imposant une période minimale de 90 jours pour ce type de test. Par ailleurs, bien que l’AESA (Autorité européenne de sécurité des aliments) développe depuis janvier 2013 de nouvelles Lignes Directrices, rien n’est encore décidé, apparemment, sur les autres aspects de la procédure de mise sur le marché des produits, notamment par rapport aux conditions déterminant la nécessité de mener une étude toxicologique et son financement.



Les ressources génétiques animales


Pour les animaux, l’amélioration est restée plus proche de l’approche traditionnelle de sélection par les caractéristiques, bien que des avancées aient eu lieu dans le domaine de la manipulation génétique et le clonage. Mais leurs applications pratiques restent bien plus  limitées que dans le domaine végétal.


D’une façon générale, d’ailleurs, les ressources génétiques animales ont fait l’objet d’un intérêt du privé plus limité que pour les plantes. Certes, pour certains animaux, le privé a investi dans l’amélioration génétique et la prestation de services d’insémination, y compris artificielle. Cependant le secteur public reste très largement dominant dans le domaine de l’amélioration génétique dans la plupart des pays non industriels, malgré les efforts faits ça et là de privatisation des services d’insémination artificielle.


La cause principale de cette évolution relativement limitée vers la privatisation est sans doute la difficulté qu’on a, dans le domaine animal, pour caractériser une variété contrairement à ce qui est le cas dans le domaine végétal. Cette difficulté est un obstacle à la reconnaissance des droits de propriété intellectuelle dans le cas des lignes d’animaux améliorés.


Cependant, l’amélioration génétique et de l’alimentation des animaux a également amené des gains de productivité considérables (voir encadré).


Gains de productivité et d’efficacité dans la production porcine



En 50 ans ont vu:


  1. Une augmentation de 64% de la taille de la portée moyenne (14 porcelets/portée il y a 50 ans, 23 porcelets/portée aujourd’hui)

  2. Augmentation de l’efficacité de l’alimentation: réduction de 38% de l’alimentation nécessaire pour un porc (410 kg d’alimentation/porc il y a 50 ans, 273 kg d’alimentation/porc aujourd’hui)

  3. Augmentation de 39% de la proportion de viande maigre dans le porc

  4. Réduction de 50% des déjections faites par un porc.




(Source: Smith., 2013: Developing the right genetic stock for a different future, Oxford Farming Conference 2013)

 






























Les enjeux de la privatisation des ressources génétiques


De ce qui vient d’être dit, on peu déduire cinq enjeux principaux: (i) appropriation du vivant par quelques grandes entreprises privées, (ii) menace sur la biodiversité agricole, (iii) spoliation et exclusion de la paysannerie, (iv) menace sur l’environnement, et (v) menace sur la santé.


- Domination et appropriation par les géants du privé


La privatisation des ressources génétiques des plantes a eu pour conséquence la croissance rapide d’un puissant secteur privé. Cinq compagnies privées avaient dépassé un chiffre d’affaire d’un milliard de dollars (Monsanto, DuPont, Syngenta, Limagrain et Land O'Lakes) en 2009 (voir encadré).




Le marché des semences est en croissance et concentration rapide. Son volume a augmenté de près de 25% en deux ans entre 2007 et 2009 passant de 22 à plus de 27 milliards de dollars! La place des dix plus grandes compagnies est passé de 67% en 2007 à 73% en 2009, les trois plus grandes représentant 53% du marché total. Monsanto à lui seul contrôle plus de 85% du marché d’OGM au monde. Et ces grandes compagnies en achètent continuellement d’autres notamment dans les pays non industrialisés afin de s’y implanter durablement.


Ces compagnies ont acquis une puissance économique et aussi politique considérable au point de pouvoir peser sur les décisions prises par les gouvernements du Sud, notamment grâce à leur prise de contrôle de compagnies locales. Elles ont également des relations très rapprochées avec les pays du Nord, notamment par le transfert fréquent de personnel entre ces compagnies et les gouvernements (institutions de recherche ou ministère aux Etats-Unis, Autorités sanitaires en Europe par exemple). Leurs intérêts sont intimement liés à ceux des producteurs des pesticides (six parmi les dix plus grandes compagnies semencières sont aussi productrices de produits chimiques pour l’agriculture).


Elles constituent également une force de recherche considérable, individuellement ou en groupe, lançant des programmes énormes, tel le programme de recherche développement de 1,5 milliards de dollars sur l’augmentation de la productivité et de la résistance à la sécheresse du maïs, du coton, du colza et du soja entrepris conjointement par Monsanto  et BASF en 2007. Autre exemple: en 2012, DuPont a investit 1,7 milliards de dollars dans ses programmes de recherche développement, dont 61% pour l’augmentation de la production alimentaire, un signe de confiance dans son avenir, s’il en est! Avec ces masses de ressources à leur disposition, l’écart ne fait que s’élargir entre la recherche privée et la recherche publique.


Un système est donc bien en place pour croitre et dominer de plus en plus l’agriculture mondiale en vue d’y faire des profits croissants.



























- Menace sur la biodiversité agricole


La biodiversité agricole est constituée par la diversité et la variabilité des organismes vivants qui participent à la production agricole et alimentaire et aux connaissances qui y réfèrent. La biodiversité agricole est donc à la fois un concept relatif aux ressources naturelles et aux caractéristiques économiques et sociales qui président l’agriculture.


Dans un rapport de 20043, la FAO soulignait déjà la grande fragilité de la biodiversité agricole dont le matériel génétique utilisé par l’agriculture est un élément essentiel. Elle résumait cette fragilité en quelques chiffres clés très éloquents décrivant la situation à la fin du XXème siècle:


  1. En un siècle, environ 75% de la diversité génétique agricole a été perdue du fait de l’abandon par les paysans de leurs variétés locales au profit des variétés à haut rendement

  2. 30% des races animales domestiquées pour l’agriculture courent le risque de l’extinction: six races sont perdues chaque mois!

  3. 75% de la nourriture mondiale provient de seulement 12 plantes et 5 espèces animales

  4. Sur les quelques 250.000 à 300.000 plantes comestibles existantes, on estime qu’environ 10.000 ont été consommées à un moment où à un autre, mais seules 150 à 200 sont utilisées à l’heure actuelle et trois seulement (le riz, le maïs et le blé) contribuent presque à 60% de l’alimentation végétale humaine.


Cet appauvrissement de la biodiversité agricole n’est pas sans conséquences. La recherche et l’expérience ont en effet montré que la biodiversité agricole peut:


  1. Augmenter la productivité, la sécurité alimentaire et les résultats économiques

  2. Réduire la pression de l’agriculture sur des zones fragiles, les forêts et les espèces menacées

  3. Rendre les systèmes agraires plus stables, robustes et durables

  4. Contribuer à une meilleure gestion des maladies et parasites

  5. Conserver le sol et augmenter la fertilité et la condition du sol

  6. Aider à une intensification durable

  7. Diversifier la production et les sources de revenu

  8. Réduire les risques

  9. Contribuer à maximiser l’exploitation effective des ressources et de l’environnement

  10. Réduire la dépendance sur des intrants extérieurs

  11. Améliorer la nutrition et offrir des sources de vitamines et médicaments

  12. Conserver la structure de l’écosystème et la stabilité de la diversité des espèces.


On voit clairement de cette liste que la perte de biodiversité contribue à précipiter davantage l’agriculture vers une agriculture nécessitant des intrants externes (engrais et produits phytosanitaires) et exerçant une pression accrue sur l’environnement.


- Spoliation et exclusion de la paysannerie


D’un point de vue juridique et économique, les principales craintes devant la privatisation des ressources génétiques, par rapport à la paysannerie, sont:


  1. L’acquisition de droits exclusifs sur des ressources génétiques par des entités privées par le transfert direct depuis la biodiversité primaire commune vers la propriété privée

  2. L’appropriation de méthodes de sélection faisant partie du pool commun de l’humanité pour en faire la propriété exclusive d’une compagnie privée qui, à partir du monopole ainsi créé, pourra le perpétuer en en tirant de nouveaux brevets4.


La reconnaissance du droit de propriété intellectuelle faite par l’Accord de l’OMC sur les droits de propriété intellectuelle touchant au commerce (ADPIC) pour les inventions de nature biologique, la possibilité de prolonger la protection des inventions au-delà de 20 ans et l’étendue du domaine autorisé dans les patentes sont autant de portes ouvertes pour l’appropriation de droits très larges et la privatisation des ressources génétiques.


De telles dispositions risquent de réduire progressivement et de façon considérable le domaine public disponible gratuitement aux paysans et les pousser petit à petit vers l’acquittement de redevance pour faire ce qu’ils faisaient indépendamment depuis des temps immémoriaux ou, dans l’impossibilité de payer ces droits, de les pousser vers l’exclusion pure et simple de la production agricole, par migration ou, ce qui malheureusement devient de plus en plus fréquent, notamment mais pas seulement en Inde, le suicide.
























En effet les recours juridiques sont pratiquement inaccessibles pour les petits producteurs, même avec l’aide de la société civile internationale, car les géants des semences ont les moyens de faire face à des procédures judiciaires interminables et disposent des meilleurs avocats payés à prix d’or.


Le brevetage accéléré du vivant risque de réduire le champ d’intervention des paysanneries, mais il risque aussi de standardiser de façon accrue la production et ainsi réduire de plus en plus le matériel génétique et les processus de sélection utilisés, précipitant encore davantage la perte de biodiversité et le développement d’une agriculture ayant un besoin intense d’intrants externes. Au lieu d’encourager l’innovation, ce qui est initialement l’objectif des brevets, c’est l’effet inverse qui risque de se produire et que l’on voit déjà à l’oeuvre dès à présent.


En 2001, après sept ans d’âpres négociations à la FAO, a vu le jour le Traité international sur les Ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture. Ce traité, qui est cohérent avec la Convention sur la diversité biologique, a pour objectif la conservation et l’utilisation durable des ressources génétiques des plantes pour l’agriculture et l’alimentation et le partage équitable des bénéfices tirés de leur utilisation. Ce traité propose un système multilatéral pour l’accès et le partage des bénéfices tirés des ressources génétiques. Le traité donne aussi la responsabilité aux pays signataires de respecter les droits des paysans (protection des connaissances, participation aux décisions en matière de ressources génétiques) et de mettre en place la législation nationale appropriée. Le traité est entré en vigueur en juin 2004 après que 40 pays l’aient ratifié. En tout 128 pays sont parties contractantes au Traité, non compris l’Afrique du Sud, la Chine, le Japon, le Mexique, la Nouvelle Zélande, la Russie et l’Ukraine.


Le Protocole de Nagoya rédigé en octobre 2010 dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique a pour objectif de mettre en place des législations nationales en vue d’organiser l’accès et le partage juste et équitable des avantages résultants de l’utilisation des ressources génétiques et la surveillance de cette utilisation, avec pour but ultime la sécurité alimentaire. En mars 2013, ce protocole a 92 signataires et 15 pays l’ont ratifié. Il vise à protéger les intérêts et les connaissances des communautés autochtones et locales et assurer qu’elles ont bien donné leur accord libre et consenti en cas d’utilisation par d’autres de ressources génétiques en leur possession. Parmi les non signataires, on trouve la Chine, les Etats-Unis, le Pakistan, les Philippines, la Russie, le Vietnam et la majorité des pays africains.


La question est maintenant double. D’une part les gouvernants des pays auront-ils la volonté de mettre en place la législation et les mécanismes proposés par le traité et le protocole? D’autre part, les pays pauvres bénéficieront-ils vraiment de l’aide technique et financière que ces accords internationaux leur promettent? Malheureusement, les conditions politiques locales [lire] et l’expérience avec d’autres accords similaires laissent les observateurs plutôt sceptiques quant à sa mise en oeuvre effective dans un avenir proche.


En attendant, les producteurs pauvres auront le «choix» entre payer régulièrement le prix pour avoir accès aux semences les plus efficaces, si elles sont disponibles, ou produire avec les moyens traditionnels et entrer en compétition sur les marchés avec d’autres producteurs disposant de technologies plus avancées, bénéficiant de subventions et ne supportant pas les coûts environnementaux et sanitaires éventuels des technologies qu’ils emploient. Ce qui signifie, à terme, plus de marginalisation pour eux.


Cette évolution ne pourra être inversée qu’au prix d’une refonte des politiques agricoles favorisant l’agriculture conventionnelle chimique et de la reprise en main de la situation par la recherche publique en vue de développer de nouvelles variétés productives adaptées aux conditions des petits paysans et qui soient disponibles dans le domaine publique, et de techniques agricoles qui soient adaptées aux conditions trouvées sur leurs petites exploitations (voir l’exemple de la variété de riz annoncée en août 2012 par l’IRRI)


- Menaces sur la santé des consommateurs


Les travaux du Prof. Séralini soulèvent la question des risques sanitaires liés à la consommation de certains (pas tous) les OGM. Il est urgent que des études incontestables viennent clarifier la question et que les procédures de mise en marché des OGM soient rendues plus robustes conformément au principe de précaution [lire].


- Menaces sur l’environnement


C’est là un autre domaine où les risques existent du fait de la création d’organismes «artificiels» dont on ne sait pas quels effets ils pourraient avoir sur l’environnement et qui demanderait le développement de procédures pour tester l’innocuité des nouvelles variétés créées. D’ici que de telles procédures fiables existent, le développement et la propagation de variétés OGM devraient être interrompus, d’autant plus que ces variétés n’apparaissent pas indispensables pour pouvoir faire face à la demande mondiale de produits agricoles dans les décennies à venir. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle il y a 28 pays au monde utilisant des OGM. Le premier utilisateur est les Etats-Unis (près de 70 millions ha) suivi du Brésil (37 millions ha). En 2012, la superficie sous OGM dans le monde était de 170 millions ha (3,5% de la superficie agricole totale), soit cent fois plus qu’en 1996 quand les OGM ont été plantés pour la première fois dans un but commercial.



Pour en savoir plus


ETC (Action Group on Erosion, Technology and Concentration), Who will control the green economy? 2011

Les OGM sont-ils la solution pour la faim dans le monde?

Lettre ouverte l’Info’OGM aux structures de la société civile sur la question des Lignes Directrices d’évaluation des OGM




Materne Maetz

(mars 2013)



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Dernière actualisation:   décembre 2014

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