Les ressources naturelles : L’eau

 

Dernière actualisation:  août 2013

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L’eau



La stratégie du «tout pour l’irrigation» a abouti à un système inégalitaire fragile et gaspilleur 



L’agriculture principale utilisatrice de l’eau


L’irrigation joue un rôle central dans la production agricole.


D’après la FAO, l’agriculture irriguée fournit 40% des disponibilités alimentaires mondiales et 60% des céréales produites dans le monde. Environ 20% des terres cultivées sont irriguées soit approximativement 300 millions ha.


L’agriculture est de loin la principale activité consommatrice d’eau. Elle utilise de l’ordre de 70% de l’eau consommée dans le monde. Sur les 110.000 km3 d’eau qui tombent par précipitation sur les terres émergées, environ 2/3 s’évaporent avant d’arriver à la mer. Le reste, soit 40.000 km3, est utilisable par l’homme. Seul 10% de ce total est véritablement utilisé.





C’est en Asie que la proportion d’eau renouvelable utilisée est la plus grande (20,5%).


Disponibilité et utilisation de l’eau par l’agriculture dans les régions du monde




Source: FAO Aquastat 2006 cité dans Water for Food, Water for Life,International Water Management Institute (IWMI), 2007


Rapportées à la population, les disponibilités annuelles sont très inégales. Elles sont les plus élevées en Amérique Latine et les plus basses en Asie (1/10ème seulement des disponibilités par habitant en Amérique Latine).


On estime que les 4/5èmes de l’eau utilisée par l’agriculture proviennent directement de l’eau de pluie trouvée dans l’humidité du sol (communément appelée l’eau verte). Le reste de l’eau utilisée est retirée des cours d’eau, des réservoirs, des lacs et des réserves souterraines (l’eau bleue).



L’irrigation au centre de l’augmentation de la production agricole dans le monde


L’irrigation a été au centre de l’augmentation impressionnante de la production agricole observée au cours des cinq dernières décennies. La révolution verte, qui a radicalement changé le paysage agricole mondial, repose sur la culture en irrigué de variétés hybrides nourries par des applications fortes d’engrais et de pesticides. En Asie, plus du 2/3 de l’augmentation de la production céréalière est liée au développement de l’irrigation. Jusqu’à récemment encore, cette approche a été le modèle promu par tous les Etats et la communauté internationale. Pourtant, ce modèle a eu des résultats inégaux selon les régions et des effets sociaux et environnementaux négatifs dont on s’est rendu compte tardivement. Ainsi, par exemple, l’Atlas agricole indien montre très clairement la dégradation de la qualité de l’eau dans les Etats les plus productifs dans le domaine agricole.



Des efforts énormes consentis pour le développement et la gestion des infrastructures d’irrigation


En 40 ans, la superficie irriguée a été multipliée par deux, passant de 139 millions ha en 1961 (10% de la superficie cultivée totale) à 277 millions ha en 2003 (18% de la superficie cultivée totale). Cette augmentation a été très largement financée par les Etats, les banques de développement et les agences de coopération diverses.


Au cours des années 80, l'irrigation a bénéficié de près de 30% des prêts agricoles de la Banque mondiale. Au Mexique, 80% des dépenses publiques pour l’agriculture entre 1940 et 1990 ont été consacrées au développement de l’irrigation. Dans le cas de la Chine, de l’Indonésie et du Pakistan, la moitié des dépenses pour l’agriculture est allée au développement de l’irrigation. En Inde, 30% des investissements publics ont servi à l’installation de périmètres irrigués. 


Le pic d’investissement dans l’irrigation a été atteint vers la fin des années 70 avant de chuter de moitié vers la fin des années 80.


L’Asie détient 70% des terres irriguées dont la moitié en Chine et en Inde. En tout on comptait dans le monde environ 40.000 ouvrages hydro-agricoles de plus de 16 mètres de haut en 2005.


L’entretien et la gestion des infrastructures d’irrigation ont été fortement subventionnés par les Etats. On estime que vers le milieu des années 80, les subventions à l'irrigation, dans six pays d'Asie, représentaient en moyenne 90% du coût total estimatif d'exploitation et d'entretien des infrastructures d’irrigation et des études de cas ont fait apparaître que les redevances d'irrigation payées par les producteurs représentaient en moyenne moins de 8% de la valeur des avantages tirés de l'irrigation même.


Malgré les efforts faits, force est de constater que l’eau d’irrigation n’est pas gérée de façon efficace, et à l’heure de la prise de conscience de la valeur et de la rareté croissante de l’eau, la stratégie adoptée est en train de changer et, plutôt que de continuer à construire de nouveaux périmètres hydro-agricoles, il s’agit à présent d’améliorer l’efficacité de l’existant. En effet, on estime que jusqu’à 60% de l’eau d’irrigation serait gaspillée. De plus, le pompage d’eau souterraine a, dans bien des endroits, abouti à une surexploitation des nappes souterraines et à leur baisse progressive. C’est le cas en particulier en Chine, en Egypte, en Inde, au Mexique et en Afrique du Nord. L’absence de drainage satisfaisant dans une part importante des zones irriguées a provoqué leur engorgement et leur salinisation. On estime qu’au moins 1/4 des terres irriguées dans les pays du Sud sont atteintes par la salinisation à degrés divers qui, à terme, rendra ces terres de moins en moins productives, voire inutilisables.




A côté de l’effort d’amélioration de la gestion des infrastructures existantes, deux types d’investissement subsistent cependant. Il s’agit principalement: (i) de mega-projets tels que les projets de transfert d’eau du Sud vers le Nord de la Chine et la construction de liaisons inter-fluviales en Inde qui cherchent à transférer de l’eau de zones excédentaires vers des zones déficitaires, et (ii) de petits investissements individuels ou collectifs pour l’installation de petits périmètres irrigués et le pompage d’eau.



Mais les bénéfices de l’irrigation sont inégalement distribués


Du fait de son rôle déterminant dans l’augmentation de la production et de la productivité agricole, l’irrigation a été avancée comme l’un des principaux facteurs explicatifs de la diminution tendancielle des prix agricoles entre 1960 et 2005. Cette diminution a surtout profité aux consommateurs, tout particulièrement aux consommateurs pauvres dont le régime alimentaire est à base de céréales. Grâce à l’irrigation, les prix sont devenus plus stables dans la mesure où elle a contribué à stabiliser la production agricole. Enfin, l’augmentation de la production agricole et sa transformation ont permis de créer des emplois.


Les producteurs détenant des terres irriguées ont également vu leur niveau de vie augmenter de façon importante. Mais ce n’est là souvent qu’une minorité, dans la mesure où on observe que les terres irriguées ont été accaparées en grande partie par les élites rurales au détriment des couches les plus pauvres de la population. Des données précises sur la répartition des terres irriguées sont assez difficiles à trouver.


Voici quelques exemples qui illustrent ce point et qui s’appuient pour la plupart sur les résultats de recensements agricoles:


  1. -Au Népal, seul environ la moitié des exploitations a accès à des terres irriguées

  2. -En Inde, les 1% d’exploitations ayant plus de 10 ha détiennent 11% des terres irriguées, alors que les 62% des exploitations ayant moins de 1 ha détiennent 21% des terres irriguées

  3. -Au Vietnam les exploitations agricoles dirigées par des femmes disposent en moyenne de moins de terres irriguées que celles dirigées par des hommes (0,37ha pour les femmes contre 0,52 pour les hommes)

  4. -Au Mexique seules 17% des exploitations détiennent des terres irriguées

  5. -En Tanzanie, ce sont 7,5% des exploitations qui ont accès à l’irrigation

  6. -Cette proportion est de moins de 1% au Ghana.


Le développement de l’irrigation en amont d’un cours d’eau peut aussi avoir des conséquences négatives pour les populations vivant en aval, que ce soit en réduisant l’eau qui reste à leur disposition pour irriguer leurs cultures ou pratiquer la pêche ou en dégradant la qualité de l’eau qu’ils utilisent, ce qui a pu contribuer à créer de vives tensions entre pays vivant dans un même bassin fluvial (par exemple le bassin du Nil, du Mékong ou du Niger). Certains pays dépendent en effet étroitement de cours d'eau provenant d'autres pays. Le Botswana, la Bulgarie, le Cambodge, le Congo, l’Egypte, la Gambie, la Hongrie, le Luxembourg, la Mauritanie, les Pays-Bas, la Syrie, la Roumanie et le Soudan reçoivent plus de 75% de leur approvisionnement en eau de cours d'eau sortant de chez leurs voisins en amont.


L’irrigation a également augmenté la fréquence de certaines maladies (filariose, diarrhées, dysenterie, typhoïde, hépatite, etc.): on estime qu’en 1998 en Inde, ce sont 44 millions de personnes qui souffraient de maladies liées à la mise en place d’infrastructures d’irrigation. Les exemples sont aussi multiples de populations déportées pour laisser la place à une retenue d’eau.


D’une façon plus générale, il y a un lien très étroit entre accès à l’eau à des fins de production et de consommation, et pauvreté. D’une part les inégalités sociales sont plus importantes dans les zones irriguées que dans les zones d’agriculture sèche, et d’autre part ce sont les régions du monde les plus pauvres qui ont le plus de mal à capter et mettre en valeur durablement leur ressources en eau.


Le débat est ouvert pour savoir si le choix qui a été fait de donner la priorité à l’irrigation au détriment du développement de l’agriculture en sec a été le bon. D’un côté l’irrigation a très certainement eu des conséquences très positives sur le niveau et la stabilité de la production agricole et le prix de l’alimentation pour les consommateurs. On peut cependant critiquer le fait que l’irrigation, largement financée par des fonds publics,  se soit développée au bénéfice d’une minorité de producteurs. On peut aussi regretter que son développement se soit accompagné de l’adoption généralisée de techniques de production agricoles qui ont eu un impact fortement négatif sur l’environnement. On peut aussi se demander s’il n’eût pas été possible de développer des techniques agricoles productives en sec bénéficiant à la totalité des producteurs avec la masse de ressources utilisées pour développer l’irrigation, dont l’installation s’est faite à renforts de grands travaux et de béton et qui a présidé à la mise en place d’une industrie chimique à forte intensité de capital et aux effets environnementaux désastreux.



L’agriculture devra s’adapter pour faire face à une compétition accrue pour l’eau de la part d’autres secteurs


Les projections faites par l’OCDE montrent que la part de l’agriculture dans l’utilisation totale de l’eau est appelée à décroître, du fait d’un demande accrue pour la production industrielle, la production d’électricité et les usages domestiques (voir diagramme ci-dessous).


Projection des diverses utilisations de l’eau à l’horizon 2050


                                                     Source: OCDE Perspectives de l’environnement (2008)


Il est également nécessaire d’utiliser une proportion considérable de l’eau, environ 15% du total, pour transporter les effluents (ce qu’on appelle l’eau grise).


Pour éviter de mettre sous une pression accrue une ressource qui déjà est surexploitée en bien des endroits de la planète, il s’agira non seulement d’améliorer les techniques d’irrigation et de gestion de l’eau, mais aussi probablement de modifier la structure de la production agricole pour réduire le contenu en eau par kilogramme de produit.


En effet, selon la production, l’eau nécessaire pour produire un kilogramme de produit varie très fortement. Les estimations varient selon les auteurs, mais on peut citer à titre d’exemple:


  1. -3.000 litres d’eau pour produire un litre de lait

  2. -De 15.000 à 100.000 litres d’eau pour produire un kilogramme de viande de boeuf nourri au grain

  3. -500 litres pour produire un kilograme de pommes de terre.


On a ainsi estimé que l’empreinte aquatique de l’agriculture était due à 27% aux céréales, 22% à la viande et 7% au lait.


Ce qui est parfaitement établi, c’est qu’il faut bien plus d’eau pour produire des protéines animales que végétales, et la rapide augmentation de la demande pour les produits animaux résultant du développement d’une importante classe moyenne dans les pays non-industrialisés et émergents va exercer une pression considérable sur les ressources en eau, notamment en vue de la production d’aliments pour le bétail. A telle enseigne que certains experts pensent que le phénomène d’accaparement des terres cache en fait un phénomène d’accaparement de l’eau.


Il s’agira aussi très certainement de s’intéresser à nouveau de façon conséquente au développement et à l’amélioration de la productivité de l’agriculture en sec.



L’eau ressource rare pour des raisons physiques ou économiques


Environ 80 pays ont une population souffrant de pénurie d’eau. Dans certains d’entre eux, il n’y a quasiment pas de ressources en eau: le Koweït, Bahrein, Malte, Gaza, les Emirats Arabes Unis, Singapour, la Jordanie, la Libye.


450 millions de personnes sont régulièrement confrontées à des problèmes de pénurie d’eau, et 2,4 milliards de personnes sont privées de système d’assainissement de base (UNESCO).


Ces situations se traduisent par des inégalités exacerbées. Ainsi dans de nombreux cas, les ménages en situation précaire paient leur eau jusqu’à dix fois plus cher que les ménages plus fortunés.


Les pénuries d’eau peuvent provenir soit d’un manque de disponibilité physique de l’eau soit du fait d’une rareté économique de l’eau. 2,8 milliards de personnes vivent dans des bassins fluviaux où les disponibilités physiques en eau sont insuffisantes (rareté physique de l’eau). Environ 1,6 milliards de personnes vivent dans des zones où, bien que l’eau soit physiquement disponible, elle n’est pas accessible localement pour des causes humaines, institutionnelles ou financières (rareté économique de l’eau). On s’attend à ce que le changement climatique en cours contribue à réduire les disponibilités physiques en eau dans les zones inter-tropicales et à les augmenter en zone tempérée.


Carte de la rareté physique et économique de l’eau



                                       Source: Comprehensive Assessment of Water Management in Agriculture 2007



Une (petite) note d’espoir


En 2010, le droit à l’eau potable et à l’assainissement a été reconnu comme un droit de l’homme par l’Assemblée générale des Nations Unies. Les Etats et les Organisations internationales ont été appelés à fournir les ressources financières, renforcer les capacités et transférer les technologies aux pays pauvres afin de faire de ce droit une réalité.


La reconnaissance de ce droit à l’eau potable et à l’assainissement contribuera-t-elle à améliorer l’accès à l’eau des populations les plus démunies? Il est encore trop tôt pour le dire.


Qu’en est-il de l’accès à l’irrigation pour les producteurs pauvres et les femmes? Il reste un enjeu crucial pour le futur et aura un rôle déterminant dans la lutte contre la faim dans les zones rurales.


Cependant, à côté de l’amélioration attendue de l’efficacité de l’irrigation et de son meilleur accès par les producteurs les plus défavorisés que l’on peut espérer, on peut aussi garder espoir que, avec la reprise de conscience de l’importance de l’agriculture et la reconnaissance de la rareté de l’eau, ne serait-ce qu’une fraction des ressources allouées à l’irrigation aille vers la recherche agronomique portant sur l’agriculture en sec. Cette réorientation des ressources publiques ne manquerait pas d’avoir des effets remarquables sur la production agricole et pourrait bénéficier immensément à la majorité de la population rurale.


Materne Maetz

(mars 2013)


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  1. -Pour gérer durablement nos ressources en eau, nous devons modifier notre consommation alimentaire, 2019.