Nouvelles
14 juin 2013
Faim, marché et bons sentiments: comment la faim nourrit les profits des multinationales
Lors de la récente conférence intitulée «Nutrition pour la croissance: battre la faim par les affaires et la science» (Nutrition for Growth: Beating Hunger through Business and Science) qui vient de se tenir à Londres le 8 juin dernier [lire], un des leitmotivs des interventions était de constater que les efforts pour éradiquer la faim, malgré certains progrès, n’ont pas vraiment été couronnés du succès auquel on pourrait s’attendre dans un monde qui n’a jamais été aussi riche qu’aujourd’hui et où la nourriture est disponible à profusion et gaspillée dans des proportions choquantes.
La responsabilité de cet échec, en ce début de XXIème siècle, est très majoritairement attribuée aux Etats et à leur prétendue incapacité de venir en aide de façon efficace et effective à ceux qui souffrent de la faim. Il découle très logiquement de ce constat que l’on se tourne vers le secteur privé dans l’espoir que celui-ci pourrait arriver à résoudre le problème, d’autant plus qu’à l’heure actuelle les Etats sont mis à la diète sous prétexte que les dépenses publiques sont mauvaises pour l’économie (comme si les dépenses publiques passaient dans un trou noir économique et n’alimentaient pas la consommation des ménages de fonctionnaires et l’activité des entreprises dont l’Etat achète les biens et services...). Or alors que la logique d’Etat est avant tout de produire des biens et services de nature publique, l’objectif du secteur privé reste avant tout de faire du profit pour ses actionnaires en vendant des biens et services qui dans leur grande majorité sont de nature privée.
Cette analyse manichéenne (Etat = mal, privé = bien) permet à ceux qui dominent le débat à l’heure actuelle de faire l’économie d’une analyse plus fine, de nature éminemment politique, qui permettrait de comprendre pourquoi les Etats ont échoué contre la faim (mais peut-on parler d’échec quand il n’y a souvent pas eu de vraie tentative sérieuse?). Quelques éléments d’analyse, qu’il s’agira en son temps de compléter, peuvent être trouvés sur ce site [lire]. Un résumé percutant sur la faim vient d’être produit par Small Planet (en anglais) qui montre que ce qui est déterminant dans les pays qui ont vraiment réussi à réduire la faim, c’est une action publique déterminée et une forte organisation de la société civile.
Or que proposent ceux qui pensent que le secteur privé peut résoudre la question de la faim?
•De promouvoir les investissements privés dans l’agriculture, ce qui revient dans la plupart des cas à permettre aux intérêts privés d’accaparer les ressources naturelles qui jusque là étaient utilisées par les communautés rurales, celles-même où la faim frappe le plus et est la plus persistante (la terre, l’eau, les forêts et les ressources génétiques). C’est ce que proposent notamment la Banque mondiale et l’Union Européenne, la première reconnaissant les implications qu’une telle approche aura sur les populations locales (prolétarisation, migration vers les villes ou l’étranger) [lire], et la seconde se proposant d’accompagner financièrement les investissements privés en les subventionnant en partie avec des ressources publiques [lire]
•De transformer les sous-alimentés en un nouveau marché pour l’agroindustrie en proposant à celle-ci de mettre au point des aliments enrichis (en protéines, vitamines et autres compléments alimentaires) qui seraient achetés, acheminés et distribué sous financement public aux bénéficiaires, au lieu de leur donner la possibilité de produire leur alimentation ou d’avoir accès à des emplois qui puisse leur donner le pouvoir d’achat nécessaire pour acquérir de la nourriture en quantité et qualité suffisante [lire]
•De faire la promotion d’une agriculture fondée sur l’utilisation massive d’intrants et d’équipements produits par un petit nombre de sociétés privées multinationales, basées principalement dans les pays industrialisés et émergents qui en retirent des profits considérables, mais qui a des conséquences écologiques désastreuses, alors qu’il serait possible de produire suffisamment pour nourrir le monde avec des technologies moins dommageables pour l’environnement et qui seraient plus accessibles aux producteurs pauvres [lire]
•De proposer, enfin, et c’est un comble, de donner des avantages fiscaux aux entreprises qui participeraient à cet effort de «développement»
Comment ne pas enrager en lisant la déclaration du 8 juin dernier faite par le Premier ministre britannique, président en exercice du G8, qui clamait sa fierté à promouvoir une telle approche pour le bien de l’humanité. N’est-ce pas là le comble du cynisme?
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Dernière actualisation: juin 2013
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