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22 juin 2020
COVID-19 et crise alimentaire : les principaux mécanismes à l’œuvre
Les Nations Unies nous mettent en garde : la crise alimentaire découlant de la COVID-19 pourrait être la pire depuis plus de 50 ans, si rien n’est fait pour l’empêcher [lire en anglais] et l’on pourrait voir un doublement du nombre de personnes en situation de crise alimentaire dans les pays pauvres [lire].
La pandémie pourrait précipiter 130 millions de personnes dans une situation d’insécurité alimentaire grave* d’ici décembre, selon l’économiste en chef du Programme alimentaire mondial (PAM) [lire en anglais] qui souligne que 94 % de la population active mondiale vit dans des pays où les lieux de travail ont été fermés à cause de la COVID-19. De son côté, l’Organisation internationale du travail (OIT) estime que les jours de travail perdus au cours des mois d’avril, mai et juin sont équivalents à 305 millions d’emplois à temps plein [lire].
Une perte de production
Cette situation se traduit par une diminution de la production mondiale, par la fermeture de nombreux marchés ce qui cause des pertes considérables aux producteurs agricoles, ainsi que par d’importantes perturbations dans la transformation des produits provoquant des pertes supplémentaires et des ruptures possibles d’approvisionnement. En Afrique par exemple, la Banque mondiale envisageait que la crise de la COVID-19 pourrait entraîner une chute de 37 à 79 milliards de dollars de la production (comparé à un PIB d’environ 2500 milliards de dollars) et une contraction de la production agricole de 2,6 à 7 % [lire].
Un commerce ralenti
Les importations alimentaires pourraient également chuter, entraînant des hausses de prix et des problèmes l’approvisionnement au niveau local. Cette baisse résulterait à la fois des restrictions commerciales mises en œuvre par certains pays et du manque de ressources pour payer les produits importés. En effet, au-delà de la diminution prévisible de la production, le ralentissement économique a pour conséquence une chute des importations de produits énergétiques (pétrole et gaz) ou tropicaux par les pays riches, ce qui plonge les pays dépendants de leurs exportations dans une situation financière extrêmement difficile. Les États concernés se retrouvent alors démunis pour jouer leur rôle social d’assistance aux groupes de population les plus vulnérables.
Des prix en hausse et des revenus en baisse
Avec la diminution de la production alimentaire et l’incapacité d’importer suffisamment de nourriture, on peut s’attendre à une augmentation des prix locaux. Cette augmentation est déjà en cours, comme nous avons eu l’occasion de le signaler dès fin avril [lire].
La situation aura bien entendu aussi des conséquences dramatiques sur les revenus des ménages qui pourraient être fortement réduits. En outre, selon les Nations Unies, les transferts effectués par les travailleurs migrants vers leur famille restée au pays pourraient chuter de plus de 100 milliards de dollars en 2020 (sur un total de plus de 500 milliards de dollars annuellement). Le manque de ressources pourrait obliger les familles à vendre une partie de leurs animaux, de leur équipement, voire de leurs terres, ce qui hypothéquerait sérieusement leur avenir et les pousserait vers un endettement accru auprès d’usuriers** [lire].
Si l’on se fie aux leçons des crises antérieures, la baisse des revenus des ménages entraînera, d’une part, une diminution de la consommation - ce qui dans le cas des groupes les plus vulnérables les mettra dans l’incapacité de se nourrir suffisamment -, et, d’autre part, une substitution des produits les plus onéreux (viande, lait, légumes et fruits) par des aliments moins chers (céréales, racines ou tubercules), ce qui pourrait causer des problèmes d’approvisionnement et une hausse des prix de ces produits de base, ce qui démultiplierait encore l’effet négatif de la crise sur la sécurité alimentaire [lire en anglais sur l’expérience en Asie].
Cette situation potentiellement catastrophique dans les pays les plus affectés d’un point de vue économique pourrait déclencher une nouvelle vague de migration internationale ainsi que des mouvements internes, comme ce qui a été constaté en Inde, avec des conséquences probablement délétères pour les femmes [lire en anglais].
Afrique : un contexte déjà fragile avant le début de la crise de la COVID-19
Il faut se souvenir que, dans le cas de l’Afrique, la COVID-19 survient dans un contexte particulièrement défavorable. Comme le dit Coumba Sow, coordinatrice de l’équipe de résilience pour l’Afrique de l’Ouest, la COVID-19 « ne pouvait arriver à un pire moment pour les communautés vulnérables d’Afrique de l’Ouest » [lire]. De son côté, Simeon Ehui, directeur régional pour l’Afrique de la Banque mondiale pour le développement rappelle qu’en 2018, il y avait déjà 239 millions de personnes sous-alimentées en Afrique et il cite en exemple le Nigeria, pays le plus peuplé du continent, qui a vu le nombre de sous-alimentés augmenter de 180 % au cours de la dernière décennie [lire en anglais]. De plus, on estime que les invasions de criquets pèlerins dans la Corne de l’Afrique pourraient entraîner des pertes de récoltes et d’animaux d’une valeur totale de 8,5 milliards de dollars et des marchés moins bien approvisionnés [lire] et mettre en danger, selon l’International Rescue Committee (IRC), près de 5 millions de personnes en Afrique de l’Est où l’invasion est la plus grave depuis 70 ans [lire en anglais].
Le schéma ci-dessous résume les principaux processus liant la crise de la COVID-19 à la sécurité alimentaire.
COVID-19 et crise alimentaire : les principaux mécanismes à l’œuvre
télécharger le schéma : Covid securite alimentaire.jpg
La riposte se met en place : innovations et ressources
Les Nations Unies et les ONG nationales et internationales se mobilisent pour venir au secours des groupes de personnes les plus vulnérables. Mais étant donné la situation sanitaire, les modalités habituelles d’intervention peuvent présenter un risque pour la santé des bénéficiaires. Les organisations tentent donc de concevoir et mettre en œuvre de nouvelles approches.
Par exemple, le PAM travaille sur diverses innovations technologiques comprenant notamment une application faisant appel à la technique des chaînes de blocs (blockchain, en anglais) où des codes QR sont utilisés à la place des empreintes digitales des bénéficiaires de l’aide des différentes organisations humanitaires, ce qui évite le contact physique tout en facilitant la coordination entre les organismes intervenant dans une localité donnée.
Par ailleurs, le PAM travaille à la création de guichets automatiques de distribution de rations alimentaires assurant la distanciation sociale. Le PAM développe ainsi des guichets automatiques pour la distribution de rations de céréales 24 heures sur 24 placés dans des boutiques ou dans des sites de distribution de nourriture. Ce projet permettra le recours par les bénéficiaires à des cartes magnétiques ou des téléphones portables pour obtenir les biens dont ils ont besoin, quand ils en ont besoin [lire en anglais].
Pour éviter une crise catastrophique, des ressources financières considérables (plusieurs dizaines de milliards de dollars, voire davantage) devront être mobilisées.
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Notes :
* Insécurité alimentaire grave : correspond à la situation d’une personne qui n’a plus d’aliments à sa disposition ou qui a parfois passé une journée entière sans manger dans l’année [lire].
** Il faut savoir que dans certains pays comme Haïti, le Népal et le Tadjikistan, ces paiements représentent entre le quart et le tiers du PIB !
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Pour en savoir davantage :
•Arif Husain, After the Pandemic, a Global Hunger Crisis, New York Times, 2020 (en anglais).
•Paul Anthem, COVID-19 : le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde risque de doubler en 2020, Programme alimentaire mondial, 2020.
•FAO, Le COVID-19 ne pouvait arriver à un pire moment pour les communautés vulnérables d’Afrique de l’Ouest, 2020.
•FAO, Nouveau coronavirus (COVID-19), FAO, page web dédiée.
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Dernière actualisation : juin 2020
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