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22 avril 2020
COVID-19 et alimentation : la crise économique et alimentaire frappe les plus démunis - un aperçu
Au niveau mondial (2,6 millions de cas de COVID-19, 180 000 morts) : la crise alimentaire s’installe malgré une disponibilité en nourriture suffisante
Tout le monde s’accorde pour dire que la pandémie de COVID-19 aura un effet délétère sur nos systèmes alimentaires en créant une situation de crise qui frappera durement les plus pauvres :
•ceux dépendant d’un travail journalier pour continuer à se nourrir et qui risquent d’être empêchés pour cause de confinement ;
•ceux vivant dans des pays pauvres qui manquent des moyens nécessaires pour venir en aide à leur population vulnérable.
L’effet de la pandémie sera d’autant plus fort que l’on observe déjà ça et là des augmentations spéculatives des prix alimentaires (rappelons que, pour les catégories de population les plus pauvres, la nourriture peut représenter plus de 60 % du budget total des ménages).
Par ailleurs, il est très probable que les filières d’approvisionnement alimentaires seront désorganisées dans l’immédiat par les restrictions de mouvements et le manque de travailleurs aux diverses étapes des filières (récolte, transformation, distribution notamment).
Les programmes sociaux (cantines scolaires, aide alimentaire publique) seront également perturbés, de même que la mise en œuvre de projets d’investissement qui auront un impact instantané sur l’emploi et des conséquences à terme sur l’économie agricole et alimentaire du fait de la non-réalisation de leurs résultats (infrastructures, biens et services).
Cependant, pour l’instant, il ne devrait pas y avoir de pénurie, car la production mondiale de blé s’annonce excellente et les stocks sont élevés notamment en Chine et en Inde, et l’on s’attend à une bonne récolte de riz [lire en anglais].
En Europe (1,2 million de cas, 109 000 morts) : pas de pénurie alimentaire, mais menaces sur l’élevage
Selon Sebastian Lakner, un chercheur allemand, la crise de la COVID n’aura pas d’effet sur la prochaine récolte des produits de grandes cultures (céréales et oléagineux) en Europe puisque ces cultures sont déjà en place. À terme, cependant, il pourrait y avoir une pénurie d’engrais du fait de l’arrêt des usines en Chine.
La récolte des fruits et légumes risque de souffrir du fait des entraves au mouvement des travailleurs saisonniers. Les pays les plus touchés sont l’Italie, l’Espagne, la Roumanie, la France et la Grèce.
Pour l’élevage, la principale question est l’approvisionnement en aliments du bétail du fait des restrictions commerciales, notamment pour ce qui concerne le soja en provenance d’Amérique du Sud qui a pris une place centrale dans l’alimentation animale.
Par ailleurs, il faut se souvenir que l’Europe est pratiquement autosuffisante en nourriture de base, sauf pour l’huile végétale (huile de palme surtout) [lire en anglais].
Ce point de vue est corroboré par une note du Parlement européen [en anglais]
Au Royaume-Uni (130 000 cas, 17 000 morts) : forte augmentation des personnes en insécurité alimentaire
Avec le confinement, tout indique que des millions de Britanniques se retrouvent en situation alimentaire difficile. Selon la Food Foundation, après trois semaines de confinement, 1,5 million de personnes ont déclaré qu’ils n’avaient pas mangé depuis plus d’un jour, et 3 millions vivaient dans un ménage dont certains membres avaient été obligés de sauter des repas. Les organismes apportant de l’assistance alimentaire affirment devoir faire face à un fort afflux de personnes (un triplement par endroits par rapport à l’année dernière) et demandent une aide financière au gouvernement [lire en anglais]. Ils lancent aussi des campagnes de financement sur internet [lire en anglais].
Rappelons à nos lecteurs que, contrairement à l’Union européenne, le Royaume-Uni importe une part considérable de son alimentation et que des restrictions commerciales pourraient affecter ces importations.
Aux États-Unis (820 000 cas, 45 000 morts) : panique alimentaire, chômage et gaspillage
Selon un article du New York Times, après des semaines d’achats de panique qui ont provoqué des pénuries temporaires dans les supermarchés de certaines villes des États-Unis, des grands agriculteurs en sont arrivés à jeter leur production : on estime ainsi que l’on jette de plus de 13 millions de litres tous les jours dans le pays, soit 5 % de la production totale, et d’importantes quantités d’œufs et de légumes sont détruites, tandis que les banques alimentaires sont submergées de dons qu’elles n’ont pas les moyens de stocker de manière satisfaisante. Il apparaît que l’excès de légumes peut être expliqué par le fait que les Américains en consomment beaucoup moins quand ils sont confinés chez eux que lorsqu’ils mangent au restaurant [lire en anglais].
Cette situation est particulièrement absurde, au moment où, du fait d’un accroissement historique du chômage (plus 2,2 millions de personnes pour la seule semaine du 16 mars), des millions d’États-Uniens se retrouvent sans ressources pour se procurer de la nourriture (les économistes de la Réserve fédérale estiment que 47 millions de personnes pourraient perdre leur emploi du fait de la crise économique induite par la pandémie [lire en anglais]).
En Inde (20 000 cas, 650 morts) : des migrations spectaculaires
L’annonce des mesures de confinement, peu d’heures avant leur application, a provoqué la panique dans les grandes villes du pays. D’une part, un grand nombre de personnes se sont précipitées pour acheter de la nourriture pour avoir des stocks à domicile, créant des attroupements favorables à la transmission du virus. D’autre part, les travailleurs migrants présents dans les métropoles (dont une centaine de millions vivent dans des conditions sordides) ont cherché à rejoindre à tout prix leur village d’origine, vidant les cités d’une partie des travailleurs de la restauration et de la livraison de nourriture à domicile, des coiffeurs, des plombiers, des ouvriers de l’automobile dans un mouvement rappelant la grande migration du temps de la partition de l’Inde et du Pakistan au moment de l’indépendance, en 1947 [lire en anglais].
En Afrique (26 000 cas, 1 200 morts) : prémices d’une crise alimentaire, la stratégie de développement en question
Le choc provoqué par le COVID-19 frappe à son tour l’Afrique. Il contraint au chômage et jette dans une précarité accrue tous ceux – c’est-à-dire une grande partie de la population - qui vivent au jour le jour et travaillent dans le secteur informel.
La fermeture des frontières et les restrictions de mouvement plus ou moins sévères imposées par les États pour éviter la propagation du virus ont commencé à gripper l’économie et le travail des ONG et des agences onusiennes chargées de déployer l’assistance alimentaire auprès des groupes les plus vulnérables [lire]. L’impact de la pandémie sur le développement s’exprime par l’arrêt de chantiers, une réglementation de la circulation des véhicules, la suspension de programmes agricoles alors qu’approche la saison des pluies, ce qui risque d’avoir des conséquences sur les prochaines récoltes.
D’après la Banque mondiale, l’Afrique du Sud, l’Angola et le Nigeria seront les pays les plus touchés par la récession prévue, avec des contractions de leur PIB envisagées entre 6 et 7 % en 2020. On peut s’attendre à une baisse de la production agricole (entre 2,6 % et 7 % en 2020 selon la Banque mondiale) et l’Union africaine estime que « près de 20 millions d’emplois, à la fois dans les secteurs formel et informel, sont menacés de destruction sur le continent si la situation persiste » [lire]. Ces prévisions relancent le débat autour du dilemme portant sur l’arrêt ou non des activités : cette suspension, disent les uns, ne va-t-elle pas provoquer plus de morts (de faim, de désordres sociaux, de hausse de criminalité, etc.) que la COVID-19 ?
On commence à observer une augmentation du prix des produits alimentaires. Au Rwanda, de fortes hausses de prix sont expliquées localement comme une conséquence des achats de panique par la population, des comportements spéculatifs de certains commerçants et des problèmes d’approvisionnement à cause des restrictions sur les mouvements. Ces augmentations ont amené le gouvernement à fixer le prix de 17 produits de base comprenant notamment le riz, le sucre et l’huile.
Au Kenya, où l’on note des pénuries sur certains aliments dans les supermarchés, le gouvernement s’est contenté d’exhorter les commerçants à ne pas profiter de la situation pour faire des surprofits [lire en anglais]. Au Ghana, qui importe pour plus de 100 millions de dollars de produits agricoles en provenance de Chine, des États-Unis et d’Europe, l’on s’attend à un manque de main d’œuvre pour assurer les récoltes et le bon fonctionnement des chaînes alimentaires [lire en anglais]. Des situations semblables peuvent être observées ailleurs sur le continent alors que la crise s’installe progressivement [voir le détail].
Cette situation fait réfléchir les responsables africains sur la stratégie de développement adoptée par la région. Selon Ibrahim Mayaki, secrétaire exécutif du NEPAD, l’Agence de développement de l’Union africaine, « La plupart des États ont enregistré de bonnes croissances économiques ces dernières années, qui n’ont toutefois pas été inclusives : elles n’ont ni créé de l’emploi ni favorisé une industrialisation ou une diversification… [Cette croissance] est devenue une sorte de bulle qui est en train de se dégonfler toute seule pour laisser apparaître les failles des États, notamment en matière de santé ». Le virus est un révélateur des « failles et faiblesses » de l’État et demande « une profonde réflexion sur la gouvernance, l’intérêt général, le sens de l’État » au sortir de la crise [lire]. Pour lui « Vous ne pouvez pas confiner la pauvreté. Alors, votre mode de confinement doit permettre à ce que les plus vulnérables dans les grandes villes aient accès à des produits essentiels » [lire].
Début janvier, le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) a lancé un appel de fonds de 30 milliards de dollars (soit près de 28 milliards d’euros) pour couvrir les besoins, en 2020, d’environ 110 millions de personnes ciblées par des opérations de secours dans 23 pays, dont 14 en Afrique, ce qui constitue des chiffres sans précédent depuis dix ans [lire].
Au cours d’une réunion virtuelle tenue récemment, le Commissaire européen pour l’agriculture a annoncé que le programme d’appui à l’Afrique de l’UE devrait être doté d’un budget de plus de 20 milliards de dollars. Pour sa part, la Banque mondiale compte réallouer des fonds au bénéfice de l’Afrique non encore engagés d’un montant de 3,2 milliards de dollars, alors que la Banque africaine envisage un programme d’assistance technique et financière [lire en anglais]. De son côté, le Programme alimentaire mondial se dit prêt à relever le défi de l’urgence et de l’appui logistique ; il a publié une note d’orientation à l’intention des gouvernements pour la réduction de l’impact de la COVID-19 sur l’alimentation des enfants scolarisés. Les prévisions envisagent un fort accroissement des besoins d’aide alimentaire. En Afrique de l’Est, par exemple, on s’attend à un doublement du nombre de personnes assistées (entre 34 et 43 millions de personnes contre 20 millions à l’heure actuelle), non seulement à cause du nouveau coronavirus, mais aussi du fait des invasions de criquets pèlerins [lire].
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Pour en savoir davantage :
•Lawrence, F. UK hunger crisis: 1.5m people go whole day without food. The Guardian, 2020 (en anglais).
•J. Tilouine, Coronavirus : « En Afrique, on ne réfléchira pas le développement de la même façon après la crise », Le Monde 2020.
•Caramel, L. En Afrique, les opérations humanitaires fragilisées par les mesures de confinement, Le Monde 2020.
•Coronavirus Resource Center, Carte mondiale du COVID-19, Johns Hopkins University, 2020.
•Statistiques: Worldometer (22 avril 2020).
•Swinnen, J., Will COVID-19 cause another food crisis? An early review. IFPRI, 2020 (en anglais).
•Parlement Européen, Protecting the EU agri-food supply chain in the face of COVID-19, 2020 (en anglais).
•Yaffe-Bellany, D. et M. Corkery, Dumped Milk, Smashed Eggs, Plowed Vegetables : Food Waste of the Pandemic, New York Times, 2020 (en anglais).
Ecoutez l’interview de la journaliste et écrivaine indienne Vaiju Naravane sur France culture sur la situation dans l’Inde confinée (14 avril 2020, L’invité du matin, 8h20 à partir de 12:10).
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Dernière actualisation : mai 2020
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