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21 janvier 2020
Les pesticides : une question qui empoisonne notre agriculture
Si vous tapez « pesticides » dans le moteur de recherche du site du ministère de l’Agriculture français, on vous dirige vers la page « Écophyto : réduire et améliorer l'utilisation des phytos » qui vous invite à lire une série d’articles sur les objectifs du plan Écophyto et sa mise en oeuvre. À moins d’oser cliquer sur une petite mention disant « comité de suivi » (en vert), vous seriez porté à croire que la France, qui en 2018 avait remporté le titre de championne du monde de la durabilité alimentaire, est en voie de diminuer sa consommation de pesticides.
Or, il n’en est rien.
L’échec du plan Écophyto
En effet, selon un communiqué du gouvernement, « Après une légère baisse en 2017, le comité [d’orientation stratégique et de suivi du plan Écophyto] a constaté une augmentation globale forte des quantités vendues de produits phytopharmaceutiques en 2018 ».
Les rédacteurs de ce communiqué de presse réalisent l’exploit de ne donner aucun chiffre sur l’augmentation observée, mais précisent que « Cette évolution paraît liée à une anticipation des achats en fin d’année 2018, en prévision de l’augmentation de la redevance pour pollution diffuse qui taxe les substances les plus préoccupantes au 1er janvier 2019 ». Par contre, ils annoncent, bien en évidence, la diminution du « nombre et [des] quantités de substances les plus préoccupantes » (ce qui semble en contradiction avec l’explication avancée de l’accroissement des achats), et les progrès faits en matière de biocontrôle, de certification environnementale des unités de production et d’agriculture biologique, avec, dans ces cas, la présentation de plusieurs chiffres.
Pour avoir des données précises sur la situation des pesticides, il faut donc se reporter à d’autres sources, telles que l’interview du directeur de l’association Générations Futures sur France Info, selon lequel pour « le nombre de doses de pesticides utilisées, on a une augmentation de plus de 24 % entre 2017 et 2018…[faisant] suite à une augmentation depuis le début du plan [Écophyto, en 2009] d’à peu près 12% », alors que l’objectif de ce plan était de réduire de 50% l’utilisation de pesticides en dix ans.
Les raisons de l’échec
Pourquoi le plan Écophyto est-il un échec, bien qu’on ait dépensé 700 millions d’euros pour le mettre en oeuvre ?
Générations Futures met l’échec sur le compte d’un manque de coopération de la FNSEA, le principal syndicat agricole, de l’absence de toute coercition (tout repose sur des engagements non contraignants qui ne sont pas respectés), d’une utilisation des subventions qui n’encourage pas suffisamment l’abandon des pesticides, et du manque d’un accord fort entre les pays membres de l’Union européenne.
L’argument que l’on entend souvent pour expliquer la difficulté que présente l’abandon les pesticides, est l’absence d’alternative viable. Et, fréquemment, comme dans le cas du glyphosate, on estime généralement que l’alternative est « une autre molécule ».
Une erreur fondamentale dans la conception des solutions
La solution de la question des pesticides ne réside pas dans la découverte d’autres molécules, de pesticides inoffensifs, car ils seraient inefficaces.
En effet, il faut savoir qu’il est très peu probable - sinon impossible - de trouver des molécules toxiques pour des plantes non désirées (herbicides pour « mauvaises herbes ») des ravageurs (insecticides et parasiticides) ou des champignons (fongicides) et si parfaitement conçues qu’elles n’agiraient que sur les organismes ciblés. En effet, ces molécules (et leurs adjuvants) auraient presque toujours des « effets collatéraux » toxiques inattendus et indésirables sur l’environnement et sur les consommateurs (dans le cas où il y aurait des résidus dans l’alimentation ou dans l’eau) et elles présenteraient donc de grands risques d’être rédhibitoires. Il en est de même dans le cas des plantes OGM capables de sécréter les substances pesticides requises pour leur protection [lire].
Il ne s’agit donc pas de changer de molécules, mais de transformer en profondeur le système et les pratiques, comme le montrent d’ailleurs les alternatives déjà utilisées par des agriculteurs innovants. C’est là, bien sûr, une solution plus compliquée à appliquer que de trouver une nouvelle molécule, car il faut mettre en oeuvre des stratégies d’évitement des « mauvaises herbes », des ravageurs et des maladies (c’est-à-dire des mesures préventives), ce qui aura des implications tant en amont de l’agriculture (l’industrie semencière et agrochimique) qu’en aval (commercialisation, transformation et consommation de produits agricoles et alimentaires) où il faudra modifier des habitudes bien ancrées dans le quotidien de tous les acteurs du secteur ainsi que chez les consommateurs. Cela demandera donc du temps, et, parce que cela demandera du temps, il faut commencer dès maintenant, sans plus attendre.
Les solutions existent…
Des alternatives viables existent et elles sont déjà mises en oeuvre par quelques agriculteurs innovateurs.
Il y a une panoplie de solutions systémiques plus ou moins exigeantes et durables. En voici quelques exemples qui sont déjà appliqués par les agriculteurs et qui sont rangés en ordre croissant de durabilité :
•l’agriculture à haute valeur environnementale, qui satisfait un ensemble de critères limitant certains impacts négatifs de l’agriculture agrochimique conventionnelle; [lire]
•l’agriculture intégrée qui vise à rendre le système agricole plus robuste et capable de mieux lutter contre les bioagresseurs; [lire]
•l’agriculture biologique; et,
•la permaculture.
Comme pratiques alternatives particulières pouvant faire partie de solutions systémiques, on peut aussi mentionner :
•le paillage (contre les « mauvaises herbes ») surtout applicable sur des petites surfaces (maraîchage, jardins);
•l’utilisation d’insecticides naturels (acceptés dans le cadre de l’agriculture biologique) qui, bien que naturels, présentent cependant une toxicité et des dangers possibles;
•l’utilisation de la lutte biologique, c’est-à-dire une lutte contre les bioagresseurs qui se fait par l’utilisation de processus naturels (l’exemple le plus connu est lle recours aux coccinelles pour lutter contre les pucerons, mais il en existe beaucoup d’autres, comme le push-pull);
•la diversification des cultures (rotations/assolements diversifiés au lieu de monoculture).
Une des caractéristiques de beaucoup des solutions systémiques, c’est qu’elles sont très spécifiques aux lieux où elles s’appliquent, car elles doivent être adaptées aux conditions agroécologiques locales dans la mesure où elles reposent souvent sur des processus biologiques naturels, mais aussi aux caractéristiques économiques et sociales des unités de production où elles sont utilisées. Elles demandent donc un travail intense de recherche et d’expérimentation dans lequel les agriculteurs eux-mêmes doivent jouer un rôle central [lire l’exemple des « Innovative Farmers » au Royaume-Uni] (en anglais).
Il est irréaliste, sinon impossible, d’envisager une recette généralisable comme celle, non durable, mise en oeuvre par l’agriculture conventionnelle agrochimique qui repose sur une forte artificialisation de la production [lire].
… et il faut créer les conditions favorables à leur mise en oeuvre
Pour que l’utilisation des alternatives ne se limite pas à une minorité de producteurs militants et se généralise afin que son impact se traduise pleinement, il faut créer des conditions favorables [lire] et vaincre les obstacles à la transition vers une alimentation et une agriculture plus durable et respectueuse du climat.
Il s’agit notamment de réorienter les subventions. Le nouveau Pacte vert pour l’Europe de l’Union européenne aura très certainement des conséquences sur la manière d’utiliser la masse de subventions agricoles dans l’avenir. L’on peut espérer que cette manne financière sera utilisée pour encourager et accompagner la transition alimentaire, dans la mesure où l’alimentation est l’une des principales sources émettrices de gaz à effet de serre [lire].
Avec le Brexit, le Royaume-Uni est en train de discuter une nouvelle loi agricole (Agricultural Bill 2019-20) qui envisage des modalités de payement des subventions agricoles visant à rétribuer les agriculteurs avec des fonds publics pour les biens publics qu’ils fournissent, c’est-à-dire pour les services environnementaux tels que la protection du sol, de l’eau et de la faune. Ainsi, il est notamment prévu d’encourager l’agroforesterie et l’agriculture de conservation.
Mais il faudra également réorienter la recherche agronomique afin qu’elle poursuive des objectifs et utilise des méthodes d’analyse qui ne considèrent plus les techniques agricoles d’une manière limitée à un aspect partiel (la productivité physique ou le rendement financier, par exemple), mais qu’elle emprunte une approche systémique qui prend en compte toutes les dimensions de la question agricole et alimentaire [lire].
Un exemple d’une analyse partielle : Alternatives au glyphosate en viticulture, INRA, 2019.
Dans cette étude, bien que le titre mentionne alternatives au pluriel, l’alternative considérée est uniquement le désherbage mécanique, une technique qui comporte les désavantages d’être gourmande en énergie et de provoquer des émissions de gaz à effet de serre.
Il est intéressant - et préoccupant - de constater que l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) se contente, en 2019, d’analyser cette alternative au glyphosate uniquement d’un point de vue économique, à un moment où l’on s’inquiète de plus en plus du changement climatique et de la perte de biodiversité [lire].
Tant que les analyses de l’INRA n’intégreront pas d’autres dimensions que l’économie, on peut parier que cet organisme ne sera pas en mesure de faire de recommandations utiles en vue d’une transition de l’agriculture vers des technologies plus respectueuses du climat et de la biodiversité !
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Jacquet, F., et al., Alternatives au glyphosate en viticulture - Évaluation économique des pratiques de désherbage, INRA, Science & Impact, 2019.
Fichier pdf : 2019_juillet_inrae_viticulture-glypho.pdf
Enfin, il sera nécessaire de sensibiliser et d’informer les consommateurs afin qu’ils adoptent des modes de consommation durable et réduisent le gaspillage.
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Pour en savoir davantage :
•Jacquet, F., et al., Alternatives au glyphosate en viticulture - Evaluation économique des pratiques de désherbage, INRA, Science & Impact, 2019. Fichier pdf : 2019_juillet_inrae_viticulture-glypho.pdf
•Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, Agriculture biologique : quelle règlementation ? 2017.
•Alternatives aux pesticides, site web, Générations futures.
•Générations futures, La production intégrée, site web.
•Permaculteurs, Qu’est-ce que la permaculture ? site web.
•Innovative Farmers, Royaume-Uni, site web (en anglais).
Et écouter: l’émission de France Culture, De cause à effets, « Un monde sans pesticides », 2019.
Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :
•Obstacles à la transition, 2019.
•La France est-elle championne du monde de durabilité alimentaire ? 2018.
Et d’autres articles sous notre rubrique « Durabilité de l’alimentation ».
Dernière actualisation : janvier 2020
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