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18 décembre 2017
Le creusement des inégalités dans le monde constitue une menace pour la stabilité sociale et politique
Au cours de ces dernières décennies, les inégalités de revenus et de patrimoine se sont creusées dans presque tous les pays. C’est la conséquence du fait que les plus riches ont accaparé l’essentiel des bénéfices de la croissance : par exemple les 1% les plus riches ont capté deux fois plus de bénéfices de la croissance que les 50% les plus pauvres. Cela explique que les 1% les plus riches contrôlent à présent plus de 20% du revenu mondial, alors que les 50% les plus pauvres ne bénéficient, quant à eux, que moins de 10% du revenu généré chaque année.
C’est au Moyen-Orient que les inégalités de revenus sont les plus fortes (les 10% les plus riches captent 61% du revenu) alors que l’Europe est la région où elles sont les moins élevées (les 10% les plus riches captent 37% du revenu).
Depuis 1980, ce sont les classes moyennes dans les pays les plus riches (États-Unis et Europe notamment) qui ont vu leur revenu par tête croître le plus lentement (moins de 50% sur 35 ans). Les 30% les plus pauvres ont vu leur revenu par tête croître entre 75 et 150 %, alors que sur la même période, pour les extrêmement riches, le revenu par tête a plus que triplé ! Ces chiffres illustrent puissamment l’émergence des classes moyennes au Sud, en Chine et en Inde notamment, qui sont les bénéficiaires du mouvement de délocalisation qui résulte de la libéralisation du marché mondial. Ils illustrent aussi la financiarisation de l’économie mondiale et la mainmise renforcée d’une petite minorité de dirigeants de multinationales (industries, commerce, distribution, numérique et finance) sur l’économie mondiale.
Inégalités mondiales et croissance (1980–2016)
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Ces résultats sont publiés dans un rapport du World Inequality Lab (Laboratoire de l’inégalité mondiale) qui regroupe une centaine d’économistes des cinq continents.
Le rapport s’appuie sur une méthode combinant systématiquement des données provenant de sources variées : comptabilités nationales, enquêtes déclaratives sur le revenu et le patrimoine des ménages, données fiscales utilisées pour le calcul de l’impôt ou portant sur les successions et les patrimoines, et classements des grandes fortunes.
Un affaiblissement des États
Le rapport du World Inequality Lab montre également que sur la période analysée, l’accumulation du capital mondial s’est faite au profit du privé, alors que le capital public a stagné voire régressé, affaiblissant considérablement le pouvoir des États dans l’économie mondiale. En France par exemple, le capital public est passé de près de 20% à moins de 5% du patrimoine national.
Quelques suggestions pour lutter contres les inégalités
Les projections présentées dans le rapport suggèrent une poursuite de l’augmentation des inégalités dans l’avenir, à moins que des politiques fiscales et d’éducation plus agressives ne soient adoptées par les États. Du point de vue fiscal, les suggestions faites par les auteurs comprennent notamment un renforcement de l’impôt progressif, la lutte contre l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent par la création d’un registre mondial des titres financiers permettant d’identifier leurs détenteurs. Pour l’éducation, le rapport suggère l’amélioration de l’égalité devant l’éducation, notamment devant l’accès aux universités d’excellence, ou la formation en vue de création d’opportunités pour accéder à des emplois plus qualifiés et mieux rémunérés. Enfin, les auteurs soulignent le rôle essentiel de la puissance publique dans l’investissement dans des domaines tels que l’éducation, la santé et l’environnement. Pour insuffisantes qu’elles puissent paraître face à l’ampleur du phénomène et de ses implications, ces suggestions vont cependant dans le bon sens.
Des conséquences politiques considérables et préoccupantes
On ne peut s’empêcher de faire le rapprochement entre ces chiffres, et notamment ceux relatifs aux classes moyennes des pays riches, « perdantes » de la croissance lors des trois dernières décennies, avec certains résultats électoraux observés au cours des années récentes (Brexit, élection de Donald Trump aux États-Unis et poussée de l’extrême droite en Europe).
Avec la sortie de ce rapport, on en sait davantage sur l’évolution des inégalités dans le monde et sur quelques solutions qui pourraient aider à éviter que la tendance observée au cours des trente dernières années ne se poursuive et ne se traduise à terme, par des tensions sociales accrues, l’établissement de régimes durs, nationalistes et populistes qui pourraient mettre en danger la paix mondiale.
Une question
La question est maintenant de savoir quelles sont les forces politiques qui pourraient se saisir efficacement de ces éléments pour créer un rapport de force qui permette de lutter réellement contre les inégalités. De ce point de vue, il faut bien se l’avouer, pour l’instant les perspectives ne sont pas encourageantes. Mais la situation pourrait changer très rapidement sous la pression d’événements qui pourraient résulter des transformations économiques et sociales à l’oeuvre et dont les chiffres présentés dans le rapport sont les symptômes.
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Pour en savoir davantage :
•F. Alvaredo et al., Rapport sur les inégalités mondiales 2018 - Synthèse, World Inequality Lab, 2017
•F. Alvaredo et al., World Inequality Report 2018, World Inequality Lab, 2017 (en anglais)
Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org et liés à ce sujet :
•Opinions : Comment arrêter la machine mondiale à fabriquer des inégalités ? (Jason Hickel), 2017
•Opinions : Capitalisme mondialisé et inégalités croissantes (Jomo Kwame Sundaram et Anis Chowdhury), 2017
•Equité intergénérationnelle : le modèle social européen Histoire d’une faute politique, 2015
•Deux «revenants» menacent la France: la pauvreté et la faim, 2012
•L’exclusion, 2012
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Dernière actualisation: décembre 2017