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7 octobre 2020



France : Quarante pour cent des gaz à effet de serre produits pour satisfaire la demande des ménages et des entreprises sont émis à l’étranger




Un rapport du Haut Conseil pour le Climat (HCC) publié en date du 6 octobre 2020 et intitulé « Maîtriser l’empreinte carbone de la France » apporte de nouvelles indications sur un aspect des émissions de gaz à effet de serre (GES) qui est souvent négligé, à savoir les émissions liées aux biens consommés en France mais importés de l’étranger, une question que nous avons déjà eu l’occasion d’aborder sur lafaimexpliquee.org et sur laquelle les données étaient insuffisantes jusqu’à ce jour [lire].


Dans ce rapport, le HCC définit l’empreinte carbone de la France comme « l’ensemble des pressions sur le climat de la demande intérieure française, quelle que soit l’origine géographique des produits consommés ». Il est utile de noter, comme le précise le rapport, que « les émissions importées, les émissions exportées et les émissions des transports internationaux » ne sont pas prises en compte dans le cadre des engagements actuels de diminution des émissions de GES, bien qu’elles fassent effectivement partie de l’empreinte carbone.


Le HCC estime que l’empreinte carbone de la France qui comprend donc les émissions importées, les émissions directes des ménages et les émissions résultant de la production intérieure hors exportations se montait à 749 millions de tonnes équivalent CO2 en 2018 (soit de l’ordre de 2 % des émissions mondiales) ce qui correspond à 11,5 tonnes équivalent CO2 par habitant.


Il est intéressant de noter que les émissions territoriales de GES (c’est-à-dire les GES émis sur le territoire national) ne représentaient qu’environ 60 % de l’empreinte carbone de la France (soit 445 millions de tonnes équivalent CO2), le reste étant donc des émissions se produisant en dehors du territoire national, mais dont le but est de satisfaire la demande nationale autant des entreprises que des ménages (voir Diagramme 1).


Diagramme 1 : Indicateurs des émissions territoriales

et des émissions associées aux échanges internationaux pour la France (2018)



Source: HCC    télécharger le diagramme : Empreinte carbone France.png


Or, jusqu’à présent, l’effort de réduction des GES a concerné pratiquement exclusivement les émissions territoriales qui ont baissé depuis 2005, tandis que les émissions importées continuaient de croître (voir Diagramme 2), faisant ainsi porter, d’une certaine façon, le poids de la diminution de nos émissions territoriales par le reste du monde, notamment les pays de l’Union européenne et la Chine que nous sommes prompts à pointer du doigt comme étant devenue la principale responsable de GES, alors qu’une grande partie de ses émissions correspondent en fait à la production de biens que des non-Chinois - parmi lesquels les Français - vont consommer en gardant bonne conscience par rapport à leurs propres chiffres d’émission de GES.


Diagramme 2 : Évolution dans le temps des émissions composant l’empreinte carbone



Source: HCC  télécharger le diagramme : Evolution GES France.png


Autre indication utile du rapport du HCC, c’est que seul environ un quart des émissions correspondant à nos importations proviennent de pays qui se sont engagés, à terme, à atteindre la neutralité carbone.


Il apparaît donc clairement qu’une politique visant uniquement à réduire des émissions territoriales de GES a peu de chance de permettre à la France -  ou à d’autres pays d’ailleurs - de parvenir à la neutralité carbone. Il sera aussi nécessaire de réduire les émissions correspondant à nos importations. Or, cette diminution éventuelle dépend essentiellement des choix d’approvisionnement et de consommation faits par les entreprises et les ménages français.


Il découle logiquement de ce qui est avancé dans le rapport qu’il est crucial de disposer de bons indicateurs d’empreinte carbone (de type « score carbone ») de manière à donner les informations requises et faciles à comprendre (y compris, par exemple, sur la déforestation induite) pour orienter les décisions tant des entreprises que des consommateurs. Cette idée est avancée dans le rapport du HCC.


Ce que le rapport oublie de préciser de manière explicite, cependant, c’est qu’en complément de cette mesure d’incitation par l’information, si elle ne s’avère pas suffisante, il faudra également en envisager d’autres, notamment d’avoir recours à l’impopulaire taxe carbone (à la frontière ou généralisée) qui, tout en rendant plus chers les biens à l’origine de fortes émissions de GES, générerait des recettes qui pourraient être utilisées pour :


  1. investir dans des solutions permettant de diminuer les GES ;

  2. apporter une assistance aux ménages les plus défavorisés ;

  3. aider nos partenaires commerciaux à améliorer leur technologie de façon à réduire leurs GES lors de la production des biens importés en France.


Le rapport reste, à notre avis, trop timide quand il s’agit de proposer des mesures pouvant avoir un impact sur les échanges avec nos partenaires commerciaux, car il se contente de mentionner une vague « action diplomatique » qui porterait sur le contenu des négociations de futurs accords de libre-échange (avec le Mercosur, par exemple) et un éventuel « ajustement carbone aux frontières [visant] à rééquilibrer la compétitivité des entreprises européennes par rapport à celle de ses partenaires commerciaux qui n’auraient pas de politique climatique ambitieuse », ce qui est, formulé en termes diplomatiques, une référence implicite à une taxe carbone aux frontières.


On peut donc se féliciter de ce rapport du HCC qui répond à une demande spécifique formulée par le gouvernement et se résumant à la question suivante : « Quelle est l’empreinte carbone des produits que nous importons et comment la réduire efficacement ? ». On peut l’applaudir, car il remet les choses en perspective en tenant compte d’une dimension de l’empreinte carbone qui est souvent négligée.


Le rapport a également le mérite de souligner l’importance dans l’évolution des émissions de GES des décisions prises par les ménages et les entreprises. Nous profitons de la parution de ce rapport pour insister à nouveau sur l’utilité de créer des comptes GES pour les individus, les ménages mais aussi les entreprises. Tout comme les chiffres présentés dans le rapport du HCC, les comptes individuels permettent à chacun de savoir comment il se place dans l’effort national (et mondial) de diminution des GES et de suivre l’évolution de ses propres émissions [lire].


Nous avons eu des réactions à nos articles sur le sujet qui nous ont signalé qu’il existait déjà des outils donnant à chacun la possibilité de calculer son empreinte carbone (voir trois exemples ici, ici et ici). Ces outils, pour utiles qu’ils soient, sont cependant soit trop agrégés, soit, au contraire, très lourds à utiliser, et il est peu probable que la masse de la population les adopte : ils demandent de collecter un grand volume de données très détaillées et nécessitent un investissement en temps considérable pour être sûr d’avoir des résultats fiables. Le concept que nous avons proposé consiste à fournir à chaque personne, ménage ou entreprise un compte établi à partir des données disponibles sur sa consommation (énergie, voyages, achats alimentaires et autres) chez de ses fournisseurs et sa banque, notamment, et d’en inférer les émissions GES qui en résultent. Plutôt que de regarder le détail de chaque activité, comme cela est proposé par certains calculateurs disponibles, ce qui peut s’avérer une tâche fastidieuse susceptible de buter sur une mémoire défaillante, on peut se contenter de recenser indirectement et automatiquement les grands agrégats constituant la consommation et d’en déduire les GES. Cette approche est faisable et, surtout, elle a le mérite de produire les résultats sans que l’utilisateur ait à entrer dans des calculs rébarbatifs.


Nous réitérons ici la suggestion de mobiliser une partie minime des 30 milliards d’euros du plan « France-Relance » pour mettre cet outil au point.


Alors chacun pourra gérer ses choix et mesurer l’impact de ses décisions sur son niveau de GES.


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Pour en savoir davantage :


  1. Jean Fouré, J, et al., Maîtriser l’empreinte carbone de la France, Haut Conseil pour le Climat, 2020.

  2. CITEPA, Évolution de l’empreinte carbone des Français :  analyse du SDES, 2020.

  3. Ecolab, Connaissez-vous votre empreinte sur le climat ?,  Agence de la transition écologique (Ademe) et Betagouv.

  4. Selectra, Empreinte carbone : calcul, définition et conseils de réduction.

  5. Carbon footprint, Carbon Calculator, Carbon Footprint Calculator For Individuals And Households.



Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. Les inégalités de revenu affectent le niveau d’émission des gaz à effet de serre et la vulnérabilité aux conséquences du changement climatique, 2020.

  2. Opinions : Lutter contre le changement climatique au quotidien, 2020.

  3. Opinions : Condamnés à l’utopie ? Climat et démocratie : changer de paradigme pour préserver l’environnement et notre avenir, 2020.

  4. Climat : deux approches complémentaires pour mieux cerner la question des gaz à effet de serre, 2019.

  5. Politiques pour une transition vers des systèmes alimentaires plus durables et plus respectueux du climat, 2018.

  6. Le climat change, l’alimentation et l’agriculture aussi - Vers une « nouvelle révolution agricole et alimentaire », 2016.

 

Dernière actualisation :    octobre 2020

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