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26 septembre 2020



Les inégalités de revenu affectent le niveau d’émission des gaz à effet de serre et la vulnérabilité aux conséquences du changement climatique




Tandis que la pandémie de la COVID-19 occupe les titres des médias et nous a forcés à changer radicalement notre quotidien en à peine 6 mois, le dérèglement du climat se poursuit à un rythme accéléré.


Les émissions de gaz à effet de serre (GES) augmentent et la prochaine décennie sera décisive pour le climat


Entre 1990 et 2015, les émissions annuelles mondiales de GES se sont accrues de 60 %, doublant pratiquement le total des émissions cumulées. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), à ce rythme, le  volume des émissions entraînant une augmentation de la température mondiale de 1,5 degré aura été atteint quelque part entre 2029 et 2034. Au même rythme, la quantité de GES qui produira un accroissement de 2 degrés de la température mondiale aura été libéré à une date située entre 2050 et 2059. C’est à cause de ces prévisions que la décennie à venir sera décisive pour notre climat.




Les riches émettent plus de GES que les pauvres


Pour être mieux armés pour lutter contre le changement climatique et limiter les émissions de GES, il est essentiel de comprendre comment elles ont évolué au cours du passé récent. Une étude conjointe (en anglais) du Stockholm Environment Institute (SEI) et d’Oxfam démontre que les riches sont responsables d’une part écrasante des émissions mondiales de GES : 


  1. Les 1 % les plus riches sont responsables de 15 % des émissions entre 1990 et 2015 - plus que l’ensemble des habitants de l’Union européenne et deux fois les émissions de la moitié la plus pauvre de l’humanité (7 %).

  2. Les 10 % les plus riches représentaient plus de la moitié (52 %) des émissions sur cette même période.


Il apparaît clairement de ces chiffres que pour ne pas dépasser le budget carbone nous restant (c’est-à-dire la quantité de GES émis qui entraînerait une augmentation de 1,5 ou 2 degrés de la température mondiale), l’effort nécessaire pour réduire les émissions de GES ne devrait pas être fourni également par tous. Par souci de justice, ceux qui émettent davantage devraient également être ceux qui devront diminuer leurs émissions de GES de la manière la plus significative.


Cela se justifie parce que la quantité de GES produite par les riches a progressé plus vite que celle émise par les pauvres. Les chiffres du rapport du SEI et d’Oxfam estiment que les 5 % les plus riches sont responsables de plus du tiers (37 %) de l’augmentation des émissions de GES entre 1990 et 2015. Cela est illustré par le diagramme du « ‘dinosaure’ de l’inégalité carbone » ci-dessous et renforce une idée que nous avions avancée il y a quelque temps [lire].


Le « dinosaure » de l’inégalité carbone

de la croissance des émissions entre 1990 et 2015.

Source : SEI et Oxfam, 2020.   (Télécharger le diagramme traduit par l’auteur : Dinosaure.png)

Dans ce diagramme, la population mondiale est organisée en vingtiles selon le revenu, depuis les 5 % les plus pauvres, à gauche, jusqu’aux 5 % les plus riches, à droite. Les barres montrent la contribution de chaque vingtile à l’augmentation totale des émissions (en pourcentage de l’augmentation totale des émissions mondiales).


Il devrait aussi être plus facile pour les plus grands émetteurs de réduire leurs GES que pour ceux qui, pauvres, consomment moins et, par conséquent, émettent moins.


Les conséquences du changement climatique deviennent chaque année plus visibles et douloureuses, surtout pour les groupes de population les plus pauvres


Les inondations et les feux énormes et dramatiques observés partout dans le monde ne constituent pas une surprise. Ce n’est là qu’une confirmation de ce qui avait été prévu par les scientifiques, tant au niveau international que national (voir par exemple le Rapport spécial sur la science climatique - Climate Science Special Report - préparé par le gouvernement états-unien en 2017, et plus particulièrement son chapitre 15 - en anglais). Toutefois, il semble que ces événements météorologiques extrêmes se produisent plusieurs décennies plus tôt que ce qui avait été initialement envisagé et cela pourrait être un signe d’accélération du dérèglement climatique [lire en anglais].


Aux États-Unis, selon l’U.S. Drought Monitor chargé de surveiller les phénomènes de sécheresse, près des trois-quarts de l’Ouest américain sont en situation de sécheresse, en 2020. Cela s’inscrit dans une plus longue période de sécheresse qui s’étend sur les deux dernières décennies. Par conséquent, les feux ont été particulièrement spectaculaires et dramatiques cette année. Par exemple, des incendies record ont frappé la Californie et ont déjà détruit environ 14 000 km2. En même temps, l’Est américain devient de plus en plus humide ; la fréquence et les dégâts occasionnés par les ouragans et les inondations qu’ils créent ont augmenté [lire en anglais].


Des événements similaires peuvent être observés ailleurs dans le monde où de grands feux se sont produits en Amazonie, en Asie du Sud-Est et en Sibérie.


Au Soudan, les inondations record jamais vécues depuis la fin des années 1980 ont poussé le gouvernement à déclarer l’état d’urgence, alors que plus de 500 000 personnes étaient affectées, l’eau détruisant 100 000 habitations.


En Chine aussi, des millions d’habitants ont été touchés par les inondations qui ont fait des centaines de victimes et endommagé maisons et infrastructure,


Ailleurs en Asie, des millions de personnes ont été déplacées au Bangladesh, en Inde, au Japon, au Pakistan, au Népal, en Corée du Sud, en Turquie et au Vietnam.


Des pluies violentes ont également dévasté les habitations au Sahel (au Niger, Nigeria et Sénégal, notamment).


En outre, un nombre croissant de personnes sont exposées à des conditions extrêmes de chaleur et d’humidité qui dépassent la capacité thermorégulatrice du corps humain. Des données indiquent que, depuis 1979, la chaleur humide extrême est devenue deux fois plus fréquente [lire en anglais].


Une étude publiée en 2017 estimait à environ 30 %, la part de la population mondiale soumise alors pendant plus de 20 jours dans l’année à des conditions de chaleur extrême, et que, d’ici la fin du siècle, cette part pourrait atteindre 48 % dans le cas où les émissions de GES seraient fortement réduites, et 74 % si ces émissions continuaient à progresser régulièrement [lire en anglais]. Il se pourrait que certaines zones deviennent impropres à la vie humaine, tandis que, dans d’autres, la productivité du travail pourrait être considérablement diminuée en période d’extrême chaleur [lire en anglais].


Les vagues caniculaires sont aussi devenues plus fréquence en Europe, même dans des endroits comme la Sibérie - ce qui en surprendra certains -, alors qu’un record absolu de température a été battu cette année au Svalbard (Spitzberg) dans l’Arctique (situé à 78 degrés Nord).


Conclusion


Les faits et les chiffres présentés dans cet article montrent que :


  1. le changement climatique est en cours et s’accélère alors que les émissions de GES n’ont cessé d’augmenter entre 1990 et 2015 ;

  2. les riches émettent beaucoup plus de GES que les pauvres ;

  3. les conséquences du dérèglement climatique se font sentir de plus en plus, et les groupes vulnérables et pauvres sont davantage susceptibles d’en souffrir - et de manière plus dramatique - que les riches, car ils n’ont pas les moyens d’y échapper.


Dès lors, la lutte contre le changement climatique ne saurait être un effort général, où chacun, sans distinction de sa situation spécifique, serait amené à modifier son comportement, son mode de consommation et ses émissions de GES de la même façon.


Les riches, qui émettent davantage de GES, devraient faire plus d’effort et réduire plus fortement leurs émissions, tandis que des ressources suffisantes devraient être mobilisées pour venir en aide aux groupes pauvres et vulnérables qui souffrent particulièrement des événements météorologiques extrêmes.


À lafaimexpliquee.org, nous avons déjà eu l’occasion dans le passé récent de formuler des suggestions sur la manière de tenter de faire face au défi que pose le climat dans le domaine de l’alimentation qui est l’une des principales sources d’émission de GES [lire].


Plus récemment encore, nous avons également proposé le compte individuel d’émission de GES comme outil pour nous aider à décider et suivre nos émissions. Ce compte peut nous servir à fixer le rythme de baisse de nos émissions individuelles (ou familiales) à la lumière des engagements de réduction pris au niveau national et mondial, et de notre niveau présent d’émission [lire].


Nous estimons que les autorités publiques devraient sérieusement penser à mettre en œuvre les changements de politiques recommandés et à promouvoir les comptes individuels ou familiaux, afin de faciliter la diminution et le suivi des émissions de GES.



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Pour en savoir davantage :


  1. S. Kartha et al., The Carbon Inequality Era - An assessment of the global distribution of consumption emissions among individuals from 1990 to 2015 and beyond, Stockholm Environment Institute and Oxfam, 2020 (en anglais).

  2. IPCC, Global Warming of 1.5 °C - an IPCC special report on the impacts of global warming of 1.5 °C above pre-industrial levels and related global greenhouse gas emission pathways, in the context of strengthening the global response to the threat of climate change, sustainable development, and efforts to eradicate poverty - Summary for Policymakers, IPCC, 2018 (en anglais).

  3. D.J. Wuebbles, et al., Climate Science Special Report: Fourth National Climate Assessment (NCA4), Volume I, U.S. Global Change Research Program, 2017 (en anglais).



Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. Opinions : Lutter contre le changement climatique au quotidien, 2020.

  2. Opinions : Condamnés à l’utopie ? Climat et démocratie : changer de paradigme pour préserver l’environnement et notre avenir, 2020.

  3. La régression de la forêt mondiale restreint son aptitude à stocker le carbone et à protéger la biodiversité, 2020.

  4. Politiques pour une transition vers des systèmes alimentaires plus durables et plus respectueux du climat, 2018.

  5. Les conséquences d’un réchauffement climatique de 1.5o au-dessus du niveau de température de l’ère préindustrielle : le rapport spécial du GIEC d’octobre 2018, 2018.

  6. Le climat change, l’alimentation et l’agriculture aussi - Vers une « nouvelle révolution agricole et alimentaire », 2016.


 

Dernière actualisation :    septembre 2020

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