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25 mars 2018
Sous la poussée des consommateurs, l’agriculture biologique est-elle en train de devenir l’élément essentiel de la transition d’une agriculture chimique conventionnelle vers une agriculture plus durable ?
La réponse à cette question est : oui.
L’agriculture biologique a suivi une tendance extrêmement dynamique pour atteindre en 2016 un chiffre d’affaires mondial de presque 90 milliards de dollars. Sa croissance annuelle s’est faite à un rythme à deux chiffres, avec des pics de plus de 20% pour les ventes de détails de produits biologiques en France et en Irlande.
L’agriculture biologique recouvre à présent environ 58 millions d’hectares au niveau mondial (cinq fois plus qu’il y a 15 ans), soit seulement 1,2% de la superficie agricole mondiale. Elle est source de subsistance pour plus de 2,8 millions de producteurs (14 fois plus qu’en 1999) sur un total de plus de 500 millions. 40% des producteurs bio vivent en Asie et 27% en Afrique. Les deux tiers des terres classifiées en terres sous agriculture biologique sont des pâturages ou des parcours. Cette superficie a augmenté d’environ 15% en 2016, les agrumes, les lentilles et le raisin étant les cultures les plus dynamiques. Le nombre de producteurs a également augmenté de 11%.
L’Australie est le pays au monde où l’on trouve la plus grande superficie sous agriculture biologique (27 millions d’hectares), suivi de l’Argentine (3 millions d’hectares) et de la Chine (2 millions d’hectares). La Tanzanie est le pays avec la plus grande superficie sous agriculture biologique en Afrique, et l’Espagne en Europe. La culture où la proportion en bio est la plus élevée est le café (8,5% de la superficie totale en café).
Les plus grands marchés pour les produits bios sont les États-Unis (43 milliards de dollars), l’Allemagne (10 milliards de dollars) et la France (8 milliards de dollars). Les plus grands consommateurs de produits bios par tête sont les Suisses et les Danois. Les pays où la part des produits bios est la plus importante sont le Danemark (10%), le Luxembourg (9%) et la Suisse (8%).
L’accroissement de la demande pour les produits bios est telle que l’on peut douter de la capacité de l’offre de suivre son rythme.
Un autre défi pour l’agriculture biologique est que, alors qu’il y a 87 pays qui ont des normes bios en 2017 et que 18 pays supplémentaires sont en voie de développer les leurs, ces normes sont très variables d’un pays à l’autre et demanderaient à être harmonisées au plus vite.
Ces chiffres - et beaucoup d’autres statistiques - peuvent être trouvés dans un livre publié cette année par l’Institut de recherche sur l’agriculture biologique (Research Institute of Organic Agriculture FiBL) et la Fédération des mouvements d’agriculture biologique IFOAM – Organics International.
La croissance observée de la consommation de produits bios est le signe d’une prise de conscience qui résulte du fait que les consommateurs sont de plus en plus préoccupés, non seulement par leur santé, mais aussi par le respect de l’environnement, le bien-être animal, la création d’emplois et par le développement territorial, comme cela est bien illustré par des chiffres rassemblés en France [lire]. Cette préoccupation milite en faveur de l’adoption de politiques de transition vers une agriculture biologique.
Du point de vue de la société, l’agriculture biologique a plusieurs avantages : elle produit davantage de valeur que l’agriculture “chimique” conventionnelle, a moins d’externalités négatives car elle pollue moins et émet moins de gaz à effet de serre. Elle a des externalités positives dans la mesure où elle contribue à la constitution de réserves de matière organique dans le sol, fait une meilleure utilisation des services écosystémiques et contribue au renforcement de la biodiversité fonctionnelle à l’heure où il y a une inquiétude de plus en plus forte concernant le niveau d’activité biologique dans le sol et la perte de biodiversité (abeilles, oiseaux, lombrics, etc.) [lire]. Elle permet également d’améliorer le revenu des producteurs, surtout celui des petits producteurs qui sont en grande difficulté dans beaucoup de pays; et en plus, elle crée des emplois.
Ces deux derniers points sont particulièrement bien illustrés par une étude récente de l’INSEE (Institut National des Statistiques et des Études Économiques) sur les performances économiques des fermes bios en 2013. Bien que plus petites en termes de superficie et de taille des troupeaux que leurs homologues conventionnelles « chimiques », les unités de production bio sont plus rentables par unité de produit et de capital investi. Elles créent également relativement plus d’emplois : alors que l’agriculture bio ne couvre que 5,7% de la superficie agricole utilisée, elle représent 10,8% des emplois agricoles. En partie, cette plus grande intensité de main-d’oeuvre résulte du fait que les unités de production bio sont plus présentes dans les productions demandant davantage de main-d’oeuvre, telles que la viticulture, le maraîchage et la production laitière.
Selon les auteurs du rapport, la meilleure performance économique de l’agriculture bio pourrait avoir plusieurs causes : « une meilleure valorisation des productions biologiques du fait de prix plus élevés qui compensent une productivité plus faible, une meilleure maîtrise des consommations intermédiaires, parfois des subventions dédiées qui viennent soutenir les résultats, ou encore un recours plus systématique à la commercialisation des produits en circuit court. »
On ne peut qu’espérer que, sur la base de ces données, les pays membres de l’Union européenne réforment leur politique inefficace de « verdissement » et réorientent les subventions de l’UE afin d’assurer effectivement une transition vers une agriculture plus durable. [lire]
Il y a depuis longtemps une polémique autour de l’agriculture bio et, notamment, sur la possibilité qu’elle a ou non de constituer la voie d’avenir vers une agriculture plus durable, et si, par conséquent, tous les efforts ne devraient pas être faits pour faciliter la transition entre l’agriculture conventionnelle « chimique » et l’agriculture biologique. L’argument principal contre un rôle important de l’agriculture bio est qu’elle ne serait prétendument pas capable de faire face à la demande alimentaire future.
Une étude par un groupe de scientifiques publiée fin 2017 dans la revue Nature donne des arguments concluants en faveur de l’agriculture biologique en affirmant qu’« une conversion à 100% vers une agriculture biologique nécessite plus de terre que l’agriculture conventionnelle, mais elle entraîne une réduction de l’excès d’utilisation d’azote et de pesticides. Cependant, combinée avec une réduction du gaspillage alimentaire et de la compétition pour la terre arable que représente la production des aliments pour le bétail, et une diminution correspondante de la consommation de produits d’origine animale, l’utilisation des terres sous agriculture biologique reste en dessous du scénario de référence ». En d’autres termes, l’agriculture biologique peut nourrir le monde d’une façon durable et favorable au climat, sans avoir à accroître les superficies cultivées, si nous gaspillons moins de nourriture et consommons moins de produits d’origine animale à l’avenir. Avec une telle conclusion à l’esprit et compte tenu du fait que l’agriculture conventionnelle a donné de signes évidents de non-durabilité, le choix devrait être simple, et simple devrait être la décision de changer les politiques agricoles et alimentaires
Nous ne pouvons qu’appuyer cette conclusion qui est cohérente avec ce que lafaimexpliquee.org dit depuis des années. [lire par exemple ici et ici].
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Pour en savoir davantage :
•H. Willer et J. Lernoud (Eds.), The World of Organic Agriculture Statistics and Emerging Trends 2018, Research Institute of Organic Agriculture (FiBL), Frick, et IFOAM – Organics International, 2018, Bonn (en anglais uniquement).
•A. Muller et al., Strategies for feeding the world more sustainably with organic agriculture, Nature, 2017 (en anglais uniquement).
•M-S. Dedieu et al., Les exploitations en agriculture biologique : quelles performances économiques ? in Les acteurs économiques et l’environnement (p.35-44), 2017, INSEE, Paris.
Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org et liés à ce sujet :
•Les mégafermes industrielles sont-elles une solution pour nourrir le monde ?, 2018
•Quel futur pour la Politique agricole commune de l’Union européenne après 2020 ?, 2018
•Notre système alimentaire : quelques raisons d’espérer…, 2017
•Le climat change, l’alimentation et l’agriculture aussi, 2016
•Treize idées reçues (et fausses) sur la faim: Idée reçue 12: l’agriculture chimique est indispensable pour nourrir le monde, 2012
et davantage d’article du thème “Durabilité de l’alimentation”.
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Dernière actualisation: mars 2018