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18 janvier 2023
Tout le monde s’inquiète de l’accroissement des inégalités… sauf les super-riches et nos dirigeants, ça va de soi !
L’emblématique Forum économique mondial (WEF), créé en 1971, qui regroupe les puissants et les riches de ce monde (quelques milliers de personnes), s’est retrouvé le 16 janvier dernier pour la 53e fois dans la petite station de luxe de Davos. Ce club huppé, financé par une cotisation annuelle allant de plusieurs dizaines de milliers à plusieurs centaines de milliers d’euros [lire en anglais] payés par chacune des grandes entreprises participantes, est sans nul doute le symbole de l’alliance entre le monde des affaires et les gouvernements.
Rappelons ici que le WEF était coorganisateur du Sommet sur les systèmes alimentaires organisé conjointement avec les Nations Unies, New York, en septembre 2021 [lire].
Dans le rapport intitulé « Rapport 2023 sur les risques mondiaux » [The Global Risks Report 2023] donnant le contexte de cette réunion, le WEF présente les résultats d’une enquête sur les risques mondiaux ressentis (Global Risks Perception Survey) menée en septembre/octobre 2022 auprès de 1200 experts universitaires, du monde des affaires, des gouvernements, des institutions internationales et de la société civile.
La teneur du bilan qu’il dresse, tranche sur le ton habituel des documents produits par le WEF qui projettent en général l’image positive d’un monde où la science, le progrès technologique et la croissance économique pilotés par un secteur privé dynamique augurent d’un monde meilleur (la réalisation d’un monde meilleur est d’ailleurs le principal objectif déclaré du WEF [lire en anglais]).
Le résumé du rapport souligne, en effet, l’étendue des risques menaçant le monde, en distinguant :
•les risques « anciens », tels que l’inflation, la guerre commerciale, la fuite des capitaux des pays émergents et pauvres vers les pays riches aux monnaies plus stables, les mouvements sociaux, les conflits géopolitiques pouvant mener à un l’utilisation de l’arme nucléaire, et
•les risques « nouveaux », comme une dette de plus en plus insoutenable, une faible croissance et un investissement réduit, une « dé-mondialisation » (il faut se rappeler que le WEF est l’un des principaux promoteurs de la mondialisation), la régression du développement humain, le développement de technologies à double emploi (civil et militaire), sans oublier, bien sûr le dérèglement climatique.
Le rapport du WEF les range par ordre d’importance perçue à court et à long terme. Il est intéressant de noter que tant à court qu’à long terme, il n’y a pas de risques économiques parmi les 10 risques les plus importants, et les risques environnementaux sont très dominants (Fig. 1).
Fig.1 : Risque globaux rangés selon leur gravité
Source: WEF (traduction lafaimexpliquee.org)
télécharger l’image : Risques.png
On peut s’étonner de cette classification (la dette et les technologies à double emploi sont-elles vraiment des risques nouveaux ?) et de la quasi-absence des inégalités, à peine mentionnées, qui, selon le rapport, concerneraient surtout les inégalités entre pays et ne seraient dangereuses que dans le domaine du numérique. En outre, quand elles sont abordées, elles le sont qu’indirectement à l’aide des concepts de « cohésion et polarisation sociale ».
Cette quasi-absence contraste avec la gravité avérée et la place centrale accordée aux inégalités dans les récents rapports de l’Observatoire des inégalités sur la pauvreté en France1 et, au niveau international, dans le rapport sur les inégalités que vient de publier Oxfam [lire] qui souligne notamment que l’argent public injecté dans l’économie mondiale depuis le début de la pandémie de la COVID-19 a été très largement approprié par les 1 % les plus riches (plus de 60 % du total), et que les milliardaires ont vu leur fortune (en termes réels, ajustés pour l’inflation) multipliée par 20 en 35 ans et augmentée de 55 % rien qu’en 2021 (Fig.2). Rappelons aussi ici que la FAO, dans son rapport sur l’avenir de l’alimentation et de l’agriculture publié en 2022, identifie la diminution des inégalités comme l’une des conditions majeures de la réalisation d’un avenir souhaitable [lire].
Fig.2 : Augmentation de la fortune des milliardaires dans le monde
en milliards de dollars (en termes réels) 1987-2022
Source : Oxfam à partir du Classement Forbes des milliardaires dans le monde.
Le rapport du Forum s’engage sur la description de l’avenir (chose toujours très hasardeuse) en brossant un portrait particulièrement sombre de la prochaine décennie principalement du fait d’une série de risques résultant de l’échec de la lutte contre le changement climatique et de la protection des écosystèmes. Cet avenir se caractérise par la stagnation économique, l’inflation et des tensions géopolitiques, par la fragmentation, voire l’effondrement de chaînes de valeurs capitales pour l’ensemble du système économique, ainsi que par une restructuration difficile et le surendettement.
De ces processus découlera, selon le WEF, la poursuite de l’aggravation de la pauvreté, de la faim, des troubles sociaux, des tensions politiques et de l’accroissement des inégalités internes et entre pays, ce qui entraînera une régression du développement humain. Le rapport ne propose cependant pas de théorie explicative de l’ensemble des phénomènes à l’œuvre et des causes profondes d’une telle évolution alarmante, ce qui fait qu’il n’est pas en mesure de faire des recommandations claires et crédibles. Une des raisons de cette lacune est qu’il aborde chaque question isolément sans adopter une approche systémique globale.
En se contentant de constater la situation et les perspectives inquiétantes, il se garde bien d’en identifier les causes profondes et notamment les paradigmes, dont le WEF lui-même est le promoteur, qui façonnent la vision dominante du monde sous-tendant la majorité des politiques mises en œuvre tant au niveau national que régional et international.
Ses propositions, très générales, semblent être là pour préserver la logique interne de l’action humaine passée et présente (la recherche de la croissance et du profit, le court-termisme, notamment) et ne constituent en aucune façon un moyen de résoudre la multiplicité des crises systémiques intriquées que l’humanité affronte (et dont sa pratique est la cause principale), pour mettre le monde sur la voie d’un avenir souhaitable.
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Note
1.Le rapport de l’Observatoire des inégalités souligne qu’en 2020, il y avait environ 4,8 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté en France (soit 8 % de la population et 500 000 personnes de plus qu’en 2000), dont 2 millions vivant en grande pauvreté [lire].
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Pour en savoir davantage :
•Oxfam, La loi du plus riche - Pourquoi et comment taxer les plus riches pour lutter contre les inégalités, 2023.
•WEF, The Global Risks Report 2023 18th Edition, World Economic Forum, 2022 (en anglais).
•FAO, L’avenir de l’alimentation et de l’agriculture: Moteurs et déclencheurs de transformation – Résumé, FAO Rome, 2023.
•Observatoire des inégalités, Rapport sur la pauvreté en France, édition 2022-2023, 2022.
•Chancel, L., Piketty, T., Saez, E., Zucman, G. et al. World Inequality Report 2022, World Inequality Lab, 2021 (en anglais).
Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :
•Opinions : Un étrange Sommet par George-André Simon 2021.
•La “Nouvelle vision pour l’agriculture” du Forum de Davos est en marche…, 2017.
•Opinions : Comment arrêter la machine mondiale à fabriquer des inégalités ? par J. Hickel, 2017.
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Dernière actualisation : janvier 2023