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4 décembre 2022


La gouvernance, l’information des consommateurs, une meilleure distribution des revenus et de la richesse, et des innovations technologiques, sociales et institutionnelles, seront déterminantes pour la réalisation d’un avenir souhaitable, dit la FAO


Vendredi dernier, le 2 décembre 2022, la FAO a présenté son rapport sur « L'avenir de l'agriculture et de l'alimentation - moteurs et facteurs de déclenchement des transformations » (FOFA-DTT)1, qui fait partie d’une série démarrée en 2017 qui « place les analyses de long terme des systèmes agricoles et alimentaires dans le contexte socio-économique » [lire].


Ce rapport est « l’aboutissement d’efforts qui ont mobilisé des centaines d’experts techniques dans le domaine des systèmes agricoles et alimentaires, tant au sein qu’à l’extérieur de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) ». Son élaboration s’inscrit dans « un travail visant le long terme qui cherche à identifier des modèles de transformation des systèmes agricoles et alimentaires vers la durabilité et la résilience ».


Pendant la cérémonie de lancement du rapport présidée par le directeur général de la FAO, plusieurs intervenants ont insisté sur l’extrême complexité du domaine de l’agriculture et de l’alimentation. Cette complexité et le caractère très incertain de l’avenir ont été abordés à l’aide d’une analyse des tendances, des interrelations et des « signaux faibles » observés dans dix-huit moteurs du changement2 et par la construction et l’étude de quatre scénarios exploratoires du futur3.



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L’auteur principal, Lorenzo G. Bellù, a expliqué qu’un accent particulier avait été mis sur des aspects comme l’interdépendance entre pays, les épidémies et la dégradation des écosystèmes, la concentration des marchés, l’augmentation des prix alimentaires, la science et l’innovation, l’intensification en capital et en information des processus de production agroalimentaire, la génération, le contrôle et la propriété des données (Big data), ainsi que l’omniprésence de l’incertitude. Un tableau de bord contenant les données utilisées dans le rapport est également disponible en ligne pour les chercheurs qui voudraient réaliser des analyses supplémentaires [consulter - en anglais].


Les messages clés du rapport sont résumés ci-dessous :


  1. Le monde est terriblement loin du chemin menant vers la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) qu’il s’était engagé à atteindre d’ici 2030.

  2. Les trajectoires de développement suivies par les pays riches ne sont ni reproductibles par les pays pauvres ni durables.

  3. Un changement d’attitude est nécessaire, parce que le scénario « Rien ne change » amènera le monde vers un point de non-retour : le court-termisme, les engagements incertains, les solutions rapides et les approches fragmentaires ne sont pas à la hauteur du défi, car elles ne s’attaquent pas aux causes profondes de la non-durabilité mondiale et le manque de résilience des systèmes alimentaires. 

  4. Cependant, les réformes devront être justes et viables - et perçues comme telles - et elles devront se produire bien au-delà des secteurs agricoles et alimentaires afin d’assurer des perspectives de revenus dans l’ensemble de l’économie, une protection sociale effective, la protection de l’épargne en vue de l’accumulation de capital et une propriété étendue des actifs. 

  5. Un avenir meilleur dépend à la fois d’une production plus efficiente et d’une consommation bien informée.

  6. L’innovation technique est l’un des éléments de la solution - mais ce n’est pas une panacée - et elle pose le problème du risque de dépendance et de l’accès qu’y aura une grande partie du monde. Au cours du processus de changement, les systèmes alimentaires et de connaissance des peuples autochtones devront être protégés, car ils courent le risque de disparaître.

  7. Dans le domaine de l’investissement, les disparités entre pays et régions sont considérables : il attire de nouveaux investisseurs privés par endroit et pour certaines activités, alors qu’ailleurs il dépend de modalités plus traditionnelles, tel que l’autofinancement par les petits producteurs.

  8. Les prix alimentaires risquent d’augmenter à l’avenir, dans la mesure où la production est affectée par la dégradation des ressources naturelles et le changement climatique, si les coûts de production réels sont pris en compte (y compris ceux résultants des émissions de gaz à effet de serre responsables du changement climatique, de la perte de biodiversité et de la dégradation des ressources naturelles, ainsi que les coûts des impacts sanitaires et sociaux). Cependant, la sécurité alimentaire peut être réalisée si la distribution des revenus et des richesses devient plus équitable.

  9. Le « big data » peut jouer un rôle positif dans la transformation des systèmes alimentaires, mais il comporte un certain nombre de risques potentiels.

  10. La dichotomie rural-urbain ne semble plus être une manière appropriée d’aborder les systèmes alimentaires, car les limites entre zones rurales et urbaines sont de plus en plus floues et l’interdépendance de ces zones s’intensifie.

  11. Les leçons apprises lors de la pandémie de la COVID-19 et pendant les conflits révèlent les fragilités des systèmes agricoles et alimentaires. Elles devraient servir à déclencher des changements positifs.


Beaucoup de ces messages ne seront ni nouveaux ni inattendus pour le lectorat de lafaimexpliquee.org.


Les quatre scénarios construits par la FAO pour explorer des futurs possibles sur la base du niveau de réalisation des quatre « améliorations »4 mises en avant par l’Organisation, sont : 


  1. « Rien ne change » peut être assimilé à un scénario de « statu quo » dans lequel l’attitude et les approches restent inchangées dans le moyen et long terme, ce qui entraîne « une détérioration des résultats sociaux et humanitaires, et un désintérêt pour l’environnement pendant les années 2020 et au-delà ».

  2. « Avenir ajusté » est un scénario dans lequel quelques ajustements sont apportés au paradigme de développement dominant ainsi que des modifications limitées à la gouvernance mondiale qui permettent de s’attaquer dans une certaine mesure à plusieurs défis majeurs. Ce scénario montre des progrès de dernière minute dans la réalisation de certains ODD, mais il ne sont pas durables et des faiblesses de gouvernance persistent à tous les niveaux.

  3. « Course à l’abîme » est un scénario catastrophe dans lequel tout va de travers : le pouvoir est accaparé par une élite cramponnée à la préservation de ses intérêts ce qui aboutit à une généralisation des conflits, l’exacerbation des inégalités et une pauvreté généralisée, la famine, des mouvements de population gigantesques et une dégradation accélérée de l’environnement.

  4. « Le choix de la durabilité » est un scénario idyllique découlant d’une redistribution du pouvoir et d’un système de gouvernance plus inclusif favorisant l’adoption de technologies plus durables et une consommation de moindre intensité en énergie et en ressources naturelles, ce qui ouvre la voie vers la réalisation des « quatre améliorations ».


À partir de l’analyse de ces quatre scénarios, le rapport identifie clairement quatre principaux facteurs de déclenchement qui seront essentiels pour l’avènement d’un avenir souhaitable : une gouvernance améliorée, une information plus grande des consommateurs, des revenus plus élevés et une richesse mieux distribuée, et des innovations technologiques, sociales et institutionnelles généralisées. La direction que prendront les systèmes alimentaires à l’avenir sera fortement dépendante de la manière selon laquelle ces facteurs de déclenchement seront conçus et mis en œuvre.


Pendant la table ronde organisée lors du lancement du rapport, le Prof. Jomo Kwame Sundaram, bien connu de notre lectorat, a félicité la FAO pour son travail exhaustif. Mais il a regretté « qu’il n’ait pas paru plus tôt, spécialement avant le Sommet sur les systèmes alimentaires, l’an passé, car il offre une analyse bien supérieure à la majorité des contributions que nous avons vues à ce Sommet ». Il a également insisté sur la nécessité de ne pas aborder la sécurité alimentaire comme une simple question de production agricole, mais aussi d’accès, d’inégalités et de pauvreté. Il a de même ajouté qu’il faudrait accorder davantage d’importance, à l’avenir, aux carences en nutriments et aux maladies non transmissibles liées à l’alimentation.


Il a exhorté la FAO à pousser son analyse plus loin et identifier clairement les obstacles se trouvant sur le chemin de la réalisation du scénario « Le choix de la durabilité ». « Pouvons-nous simplement nous fier aux forces du marché ? », a-t-il demandé. « Pouvons-nous principalement dépendre sur la recherche du profit pour nous occuper de certains de ces problèmes ? Quelles sont les alternatives ? » À son avis, apporter des réponses à ces questions aidera à s’assurer que ce rapport de la FAO aura l’impact souhaitable.


À lafaimexpliquee.org, nous ne pouvons qu’abonder dans le sens du point de vue du Prof. Sundaram et des remarques faites par Alessandra Turco, de La Via Campesina, concernant le rôle plus important qu’il faut donner à la société civile dans le processus de prise de décision. Nous le faisons, bien que nous sachions que de traiter de ces questions amènera la FAO sur un terrain politique, où il est question d’organiser des alliances et des coalitions pour modifier les rapports de force et de pouvoir, qu’elle a toujours été réticente à explorer, du fait de la nature intergouvernementale de l’Organisation.


Cependant, en ne le faisant pas maintenant, et en n’utilisant pas pleinement le résultat de son travail analytique, la FAO affaiblirait encore davantage sa position de leader mondial dans le domaine de l’alimentation et de l’agriculture, et laisserait le champ libre à des forces privées poussées par la recherche du profit comme celles qui ont dirigé le Sommet sur les systèmes alimentaires en 2021.


Les conséquences d’un tel manquement à sa responsabilité seraient inestimables et désastreuses pour l’avenir de l’alimentation et de l’agriculture mondiales.



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Notes


  1. 1.Materne Maetz, lafaimexpliquee.org, a participé à la rédaction de ce rapport en tant que Conseiller éditorial principal de l’équipe FOFA-DTT.

  2. 2.1. Dynamiques démographiques et urbanisation ; 2. Croissance économique, transformation structurelle et perspective macroéconomique ; 3. Interdépendance entre pays ; 4. Production, contrôle, utilisation et propriété des données ; 5. Instabilité géopolitique et multiplication des conflits ; 6. incertitudes ; 7. Pauvreté urbaine et rurale ; 8. Inégalités profondes et répandues ; 9. Prix alimentaires ; 10. Science et innovations ; 11. Investissement public dans les systèmes agricoles et alimentaires ; 12. Intensité en capital et en information de la production ; 13. Concentration des marchés des intrants et des produits ; 14. Modèles de consommation et de nutrition ; 15. Rareté et dégradation des ressources naturelles ; 16. Épidémies et dégradation des écosystèmes ; 17. Changement climatique ; 18. “L’économie océanique durable”.

  3. 3.« Rien ne change »  ; « Avenir ajusté » ; « Course à l’abîme »  ; « Le choix de la durabilité ».

  4. 4.Les quatre améliorations de la FAO : amélioration de la production, amélioration de la nutrition, amélioration de l’environnement et amélioration des conditions de vie.


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Pour en savoir davantage :


  1. FAO, L’avenir de l’alimentation et de l’agriculture: Moteurs et déclencheurs de transformation – Résumé, FAO Rome, 2023.

  2. FAO, The future of food and agriculture – Drivers and triggers for transformation, The Future of Food and Agriculture, no. 3, FAO Rome, 2022 (en anglais).

  3. FOFA-DTT Dashboard (en ligne) (en anglais).

  4. Sommet sur les systèmes alimentaires, Site web.



Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. Agriculture, alimentation et développement économique - La pénalisation de l’agriculture et l’alimentation est-elle une stratégie de développement durable ? 2022.

  2. Gouvernance : unis pour décider ou divisés pour subir ? 2022.

  3. Le pouvoir économique privé dans les systèmes alimentaires et ses nouvelles formes, 2022.

  4. L’investissement agricole, 2022.

  5. Opinions : Un étrange Sommet par George-André Simon, 2021.

  6. La révolution numérique dans l’alimentation et l’agriculture. Belles promesses, résultats mitigés et pari risqué, 2021.

  7. Le vrai coût de notre nourriture - Le marché seul peut-il guider notre système alimentaire vers plus de durabilité ? 2021.

  8. Obstacles à la transition - Pourquoi est-il si difficile de rendre notre système alimentaire plus durable et plus respectueux du climat ? 2019.

  9. Quel avenir pour notre alimentation ? Trois scénarios brossent le tableau de futurs bien différents, 2018.

  10. Quels sont les défis à relever pour assurer un futur durable à notre alimentation ? 2017.

 

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Dernière actualisation :    mai 2023