Nouvelles
10 mars 2017
Quels sont les défis à relever pour assurer un futur durable à notre alimentation ?
Notre système alimentaire vit des transformations rapides et fondamentales qui sont autant de sources d’espoir et d’inquiétude. Il faudra que l’humanité soit capable de relever quelques défis fondamentaux pour que notre avenir soit celui d’une alimentation et d’une agriculture durable.
C’est ce que l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) nous dit dans son travail de fond sur « L’avenir de l’alimentation et de l’agriculture - Tendances et défis ».
L’analyse des tendances que mène la FAO souligne l’importance de l’évolution de notre démographie qui se caractérise par une croissance de la population, une urbanisation rapide et un vieillissement progressif de la population mondiale.
Du point de vue de l’économie, l’agence constate l’absence d’une convergence réelle entre les pays riches d’un côté et les pays émergents et pauvres, de l’autre, exception notable faite de la Chine : les inégalités tant entre pays qu’entre groupes de population à l’intérieur d’un pays ne se réduisent guère et cela se traduit par des niveaux d’investissement très différenciés qui risquent de renforcer encore les écarts observés. C’est particulièrement vrai pour l’Afrique, où le nombre de pauvres et de sous-alimentés continue de croître.
La FAO s’inquiète aussi de la dégradation des ressources naturelles et du dérèglement climatique. Dans ces deux domaines, le système alimentaire est à la fois l’un des principaux responsables de la détérioration de la situation et l’une de ses premières victimes. L’organisation onusienne constate un ralentissement dans l’augmentation de la productivité agricole et une très forte concentration de la recherche et de l’innovation dans les pays riches ainsi qu’une multiplication des risques relatifs aux ravageurs et aux maladies transfrontalières, du fait des échanges commerciaux accrus et des technologies de production hyperintensives dans l’élevage.
Elle se préoccupe également des effets délétères des conflits et catastrophes naturelles en forte augmentation. Les changements en cours dans le système alimentaire mondial (concentration, industrialisation) se traduisent pour beaucoup de consommateurs par une dégradation de la qualité de l’alimentation ce qui entraîne de graves conséquences sanitaires (surpoids, obésité, maladies cardiovasculaires) et pour les petits producteurs, un risque de plus en plus grand de marginalisation.
Enfin, la FAO observe, notamment depuis la crise alimentaire de 2007-2008, une recrudescence des investissements dans l’agriculture et l’alimentation et un intérêt plus fort tant des États que des investisseurs privés pour ce secteur.
Le tableau ainsi brossé par l’organisation onusienne est fidèle à la réalité des symptômes observés et les affirmations avancées reposent sur des preuves et des descriptions très solides.
On aurait cependant aimé voir une analyse plus clinique, plus explicative, moins descriptive, et qui ne mette pas toutes ces tendances sur le même plan, mais distingue clairement celles qui ont un rôle moteur. L’absence d’une telle distinction est probablement le reflet de la structure interne de l’organisation, qui est sa force autant que sa faiblesse, où chaque unité veut mettre en avant le domaine dans lequel elle se spécialise. On aurait aimé voir des analyses plus stratégiques qui mettent en avant les causes profondes et expliquent la logique de fonctionnement du système alimentaire mondial afin de donner une meilleure compréhension aux lecteurs des tendances observées. A partir d’une telle analyse, il aurait alors été plus aisé de formuler clairement et de façon convaincante les défis stratégiques à relever et les mesures concrètes à prendre.
Car ce n’est qu’en comprenant les ressorts et la logique des changements observés que l’on pourra trouver les mesures aptes à réorienter le système alimentaire vers plus de durabilité économique, sociale et environnementale. De ce point de vue, les dix défis présentés dans le rapport de la FAO nous laissent sur notre faim, car ils se contentent de réorganiser de façon plus synthétique et certes mieux intégrée les tendances observées, mais en formulant des objectifs d’amélioration assez généraux, souvent sous forme tautologique, sans le plus souvent proposer des voies de sortie concrètes et crédibles.
On peut espérer que le travail fait sera complété, un jour, par un deuxième volume indispensable qui avancera des idées de solutions spécifiques à mettre en oeuvre. Mais on peut en douter quand on connaît le devoir de réserve et la prudence que doit adopter une agence des Nations Unies par rapport aux intérêts de ses membres les plus puissants.
Pour lafaimexpliquee.org, il y a trois causes fondamentales qui expliquent les problèmes posés par notre système alimentaire et qui sont très bien décrits par les tendances analysées par la FAO : le choix technologique, la dynamique des filières agricoles et alimentaires et le déficit de gouvernance.
•Le choix technologique. Une cause essentielle des tendances observées par la FAO découle directement du choix politique fondamental effectué il y a environ un siècle : celui d’une agriculture industrielle reposant sur l’utilisation de tout un arsenal de produits chimiques et qui sert ainsi de débouché pour les produits d’une industrie chimique très puissante [lire Alimentation, environnement et santé, p.4], et sur un recours massif à l’irrigation dont l’infrastructure a constitué une merveilleuse opportunité de profits pour l’industrie du bâtiment et des travaux publics [lire Eau - La stratégie du «tout pour l’irrigation» a abouti à un système inégalitaire fragile et gaspilleur].
C’est cette agriculture « de chimie et de béton » qui n’est pas durable et qui a des conséquences dramatiques sur l’environnement, le dérèglement climatique et la santé humaine, comme en témoigne un rapport présenté, il y a quelques jours, par la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation devant le Conseil des Nations Unies sur les Droits de l’homme, qui s’appuie d’ailleurs sur des analyses de la FAO [lire le rapport].
De ce point de vue, il aurait été utile d’expliquer que le ralentissement de la progression de la productivité agricole s’accompagne d’une diminution des rendements observés dans les pays, telle la France - mais c’est également vrai en Inde, en Chine et ailleurs encore -, où l’agriculture chimique intensive a commencé à dégrader les meilleurs sols agricoles et diminuer leur niveau d’activité biologique.
De même c’est ce choix technologique fondamental qui est à l’origine du risque croissant pour la santé humaine que représentent les maladies zoonotiques, du développement de la résistance des nuisibles aux produits de traitement, de la marginalisation croissante des petits producteurs agricoles, de la dégradation de la qualité de l’alimentation, etc.
Il découle tout naturellement de ces constats que le défi essentiel ici est de développer des technologies agricoles alternatives plus durables, peut-être moins intégrées dans le reste de l’économie, mais qui auraient le mérite de mieux préserver l’avenir.
•La dynamique des filières : la dynamique des filières agricoles et alimentaires, par la concentration de plus en plus forte entre les mains de quelques compagnies de l’approvisionnement en intrants, de la transformation et de la distribution, crée un déséquilibre de pouvoir qui permet à certains opérateurs économiques de prendre une position dominante, alors que le commerce international est de plus en plus libéralisé.
Les producteurs agricoles, qui sont souvent mal organisés, se retrouvent pris dans un étau très resserré entre l’oligopole des grandes multinationales semencières et agrochimiques (qui se sont d’ailleurs consolidées pour mieux dominer ces deux domaines), d’un côté, et l’oligopsone des multinationales de l’agroindustrie et de la grande distribution, de l’autre.
C’est cette organisation, très avérée dans les pays riches et dont on fait activement la promotion dans les pays pauvres, qui explique la situation de crise dans laquelle se trouve l’agriculture : situation de pauvreté et de détresse des producteurs qui entraîne des suicides de plus en plus fréquents et la fermeture ou la concentration des unités de productions agricoles qui aboutissent à un exode massif vers les villes ou le développement d’un prolétariat rural fait d’ouvriers agricoles, en partie des migrants, mal rémunérés et saisonniers.
On retrouve une situation similaire pour les travailleurs - souvent des travailleuses d’ailleurs - qui sont sous-rémunérées et travaillent dans des conditions très difficiles dans les industries agricoles et alimentaires (y compris dans les abattoirs) et les centres de grande distribution (travail peu qualifié, à temps partiel, rythmes de travail faits d’incertitude, bas salaires, etc.).
•Le déficit de gouvernance : avec la tendance à la concentration qui est à l’oeuvre dans le système alimentaire mondial, qui vient d’être évoquée, ainsi que sa financiarisation - un aspect totalement omis du rapport de la FAO et qui touche pourtant autant les marchés des produits agricoles, que l’investissement dans le domaine agricole et alimentaire, aussi bien même que l’assistance humanitaire ou les dispositifs de protection sociale qui s’établissent par endroits dans les pays pauvres - et du fait du caractère mondial de certains problèmes fondamentaux qu’il s’agit de résoudre (dérèglement climatique, appauvrissement de la biodiversité agricole, évolution technologique), il apparaît clairement qu’une gouvernance centrée sur les États n’est plus appropriée. La faiblesse des États face aux puissances industrielles, commerciales ou financières ne leur permet pas d’imposer les changements nécessaires pour répondre aux défis, cela d’autant plus que la tendance à rechercher un intérêt national à court terme encourage les comportements de « passager clandestin » (free rider) qui les affaiblit encore davantage.
Voilà à notre avis les questions fondamentales qui se posent à l’agriculture et à l’alimentation mondiale. Nous osons penser que si ces aspects ne ressortent pas clairement dans le rapport de la FAO - mais ils sont, pour la plupart, présents en filigrane - ce n’est pas par méconnaissance mais probablement par prudence politique. Mais devant la gravité des problèmes, peut-on raisonnablement se satisfaire de prudence politique ?
On peut se féliciter que ce travail de la FAO identifie clairement les principaux symptômes du mal qui ronge le système alimentaire mondial. Dans ce sens, l’analyse de la FAO est bien plus riche que celle menée par l’OCDE [lire], l’Union européenne [lire], ou encore l’IFPRI. Mais, on peut cependant regretter que la FAO ne soit pas en mesure de pousser suffisamment loin son raisonnement pour empêcher que le lecteur peu informé ne se dise, à la fin de sa lecture, que ce qu’il faut pour régler la question agricole et alimentaire c’est faire plus et en plus grand ce que l’on fait déjà, alors que c’est d’un changement de logique de fonctionnement de son système alimentaire dont le monde a besoin.
à suivre...
————————————
Voilà, en résumé, les quinze principales tendances et les dix défis qui, selon la FAO, déterminent l’avenir de notre alimentation et de notre agriculture.
Les quinze tendances :
1.Démographie : Une croissance démographique, forte en Afrique et en Asie du Sud, une urbanisation rapide et un vieillissement progressif de la population mondiale qui aura un impact sur la situation de l’emploi, les migrations, la transformation des modes et niveaux de consommation alimentaire, ainsi que sur le rythme de l’adoption de nouvelles technologies de production agricole.
2.Économie : l’avenir économique du monde est caractérisé par une grande incertitude, et dans tous les cas, il est très probable que l’écart existant entre l’économie des pays les plus riches et ceux pauvres ou émergents restera très grand, mesuré en PIB/habitant, notamment à cause du faible niveau d’investissement dans ces pays (hormis la Chine) comparés aux pays riches. Cette différence de niveau d’investissement s’observe également dans le secteur agricole et entraînerait à l’avenir une persistance de la sous-alimentation. Une éradication de la sous-alimentation exigerait annuellement 265 milliards de dollars d’investissement dans des programmes productifs et de protection sociale (à comparer à plus de 10000 milliards d’investissements annuels dans le monde - près de 400 milliards pour l’agriculture).
3.Compétition accrue pour les ressources naturelles : la pression accrue sur les ressources naturelles entraîne leur gestion non durable et leur dégradation. On estime ainsi qu’environ 1/3 des terres agricoles sont dégradées et l’agriculture reste la cause principale de déforestation, particulièrement dans les pays pauvres [lire]. De même, on estime que 40% de la population mondiale vit dans des bassins hydrographiques où les ressources en eau sont insuffisantes, et les possibilités d’accroître les superficies irriguées sont très réduites.
4.Dérèglement climatique : l’agriculture est une source majeure d’émission de gaz à effet de serre (GES) et ses émissions sont en forte augmentation alors que la capacité de séquestration de GES par la forêt semble en régression. Les changements climatiques affectent négativement les rendements dans les pays pauvres, alors que pour les pays riches, les perspectives sont plus positives. Ils ont également un effet sur la production de produits de la pêche et la qualité nutritionnels des produits alimentaires.
5.Productivité agricole et innovation : l’augmentation de la production agricole s’est faite au prix d’une dégradation des sols, d’une salinisation des terres irriguées, d’une surexploitation des ressources en eau, d’une déforestation considérable, d’une perte de biodiversité et du développement de souches résistantes d’animaux ravageurs. Depuis une vingtaine d’années, on observe un ralentissement dans l’augmentation des rendements. Mais il subsiste d’importants gains potentiels de productivité dans les pays pauvres et les dépenses de recherche et développement sont en augmentation depuis le début du siècle mais les activités de recherche sont menées principalement dans les pays riches.
6.Ravageurs et maladies transfrontalières : l’intensification et la mondialisation entraînent une augmentation des risques et les maladies zoonotiques peuvent avoir de sérieuses répercussions sur l’économie et la santé humaine d’autant plus que l’on observe un niveau croissant de résistance des pathogènes aux produits de traitement et aux médicaments.
7.Conflits, crises et catastrophes naturelles : le nombre de conflits et de catastrophes naturelles a connu une poussée au cours des dernières décennies, et les zones de conflits sont l’objet d’environ 80% des appels humanitaires. On s’attend à ce que les catastrophes naturelles et les conflits coïncident davantage à l’avenir.
8.Pauvreté, inégalités et insécurité alimentaire : en recul dans le monde, la pauvreté et l’insécurité alimentaire continue de progresser en Afrique. L’agriculture a un rôle essentiel à jouer dans le combat contre la pauvreté et la faim, mais elle ne suffit pas à elle seule. L’éducation, la diversification économique dans des activités rurales non agricoles, et la mise en œuvre de mécanismes de protection sociale, notamment, sont des ingrédients indispensables de la lutte contre ces fléaux. Les inégalités de revenu entre les pays riches et les pays pauvres ne se sont guère réduites (à l’exception peut-être de la Chine) et elles pourraient continuer à provoquer des migrations massives, qui pourraient devenir ingérables
9.Nutrition et santé : le «triple fardeau» de la malnutrition (sous-alimentation, carences en micronutriments et surpoids/obésité) demeure une urgence sanitaire mondiale. Si la sous-alimentation paraît en diminution [lire], les carences affectent plus de 2 milliards de personnes et le surpoids est en augmentation rapide partout dans le monde, du fait de la dégradation de la qualité de l’alimentation (augmentation de l’importance de des aliments transformés qui comportent souvent des quantités excessives de sucre, de sel et de conservateurs). Cette situation a un impact très grave sur la santé.
10.Changement structurel et emploi : le poids économique de l’agriculture mesuré en part du PIB que représente le secteur, diminue presque partout dans le monde. Cela est aussi vrai, mais à un degré moindre, pour l’emploi agricole. Le morcellement des unités de production agricoles et le vieillissement de la population agricole (les jeunes étant attirés par les villes) tendent à freiner les changements en zone rurale et attiser les tensions sociales en milieu urbain.
11.Migration et féminisation de l’agriculture : la pauvreté, la multiplication des conflits et des catastrophes naturelles ont entraîné une augmentation des migrations et des déplacements forcés. Avec le dérèglement climatique, on peut s’attendre à une accélération des catastrophes naturelles. La féminisation de l’agriculture alourdit souvent le fardeau des femmes, mais leur offre aussi des opportunités, notamment dans la transformation des produits agricoles.
12.Des systèmes alimentaires en transformation : l’urbanisation donne une importance croissante à la transformation et à la distribution de l’alimentation où les grandes surfaces pèsent d’un poids de plus en plus important (jusqu’à 75% dans les pays riches), ce qui entraîne une forte tendance à la concentration et l’industrialisation des filières alimentaires et pose la question de la capacité des petits producteurs de respecter les normes imposées par la distribution et ainsi d’avoir accès au marché. Cette transformation pose la question de la traçabilité et de l’empreinte écologique de l’alimentation.
13.Pertes et gaspillage alimentaires : un tiers de l’alimentation produite dans le monde est perdue ou gaspillée, ce qui correspond à un gaspillage de ressources naturelles et d’énergie, et des émissions accrues de GES. L’évolution de ces pertes et de ce gaspillage est difficile à estimer étant donnés les changements à l’oeuvre dans les filières alimentaires.
14.Gouvernance pour la sécurité alimentaire et la nutrition : les gouvernements montrent de moins en moins d’empressement envers les programmes de promotion de la « bonne gouvernance », au profit de programmes ayant un impact direct sur le développement, alors même que la réalisation des Objectifs de développement durable nécessite une gouvernance mondiale et nationale responsable et efficace.
15.Financements pour le développement : la tendance est à un accroissement des financements vers les pays à revenu intermédiaire, des finances extérieures d’origine privée (investissements directs étrangers) et à la mobilisation de ressources financières locales.
Les dix défis :
1.Améliorer durablement la productivité agricole pour satisfaire une demande croissante.
2.Garantir une base de ressources naturelles durable.
3.Lutter contre les changements climatiques.
4.Prévenir les ravageurs et maladies transfrontaliers.
5.Éradiquer la pauvreté extrême et réduire les inégalités.
6.Éliminer la faim et toutes les formes de malnutrition.
7.Améliorer les opportunités rémunératrices en milieu rural.
8.Renforcer la résilience face aux crises de longue durée, aux catastrophes et aux conflits.
9.Rendre les systèmes alimentaires plus efficaces, inclusifs et résilients.
10.Établir une gouvernance nationale et internationale cohérente et efficace.
————————-
Pour en savoir davantage :
-FAO, L’avenir de l’alimentation et de l’agriculture: Tendances et défis - En bref, FAO, 2017
-FAO, The future of food and agriculture Trends and challenges, FAO 2017 (rapport complet en anglais)
-Hilal Elver, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation, A/HRC/34/48, 2017
Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org et liés à ce sujet :
-La “Nouvelle vision pour l’agriculture” du Forum de Davos est en marche…, 2017
-MacMillan, A. Le moment n’est-il pas venu de repenser la gestion de notre alimentation ? Options, 2014
-Sept principes pour en finir durablement avec la faim, 2013
Pour vos commentaires et réactions: lafaimexpl@gmail.com
Dernière actualisation: mars 2017