Nouvelles
5 janvier 2017
Une revue de deux publications récentes et des sujets de recherches à venir illustre la façon de penser de l’Union européenne sur l’alimentation et l’agriculture
Dans un article récent sur lafaimexpliquee.org, nous critiquions le point de vue des pays riches sur le futur de l’alimentation et de l’agriculture qui laissait « la part du lion aux entreprises transnationales et au système financier, et sans se soucier de la sous-alimentation dans le monde ! » [lire] Dans la présente note, nous aimerions analyser des exemples de la façon dont l’UE d’aborde les questions alimentaires et agricoles.
Pour cela, nous analysons le contenu de deux études récentes et les sujets de recherche future du Centre de réflexion du Parlement européen (European Parliament’s Think Tank). Les deux études ont été publiées fin 2016. L’une portait sur l’agriculture de précision (Precision agriculture and the future of farming in Europe - disponible en anglais uniquement) et l’autre sur les implications de santé humaine de l’agriculture biologique (Human health implications of organic food and organic agriculture - disponible uniquement en anglais).
Rappelons ici que l’agriculture de précision est un concept de gestion agricole utilisant des techniques informatiques faisant une forte utilisation de données pour analyser et optimiser les processus de production agricole en vue de réduire le plus possible les coûts et l’utilisation d’intrants (engrais, pesticides, aliments de bétail, etc.). L’agriculture biologique, quant à elle, n’utilise aucun intrant synthétique (ni engrais chimique, ni pesticides) mais repose sur l’amélioration des sols à partir de compost, d’engrais d’origine animale et végétale, la gestion des ravageurs grâce à l’utilisation des services écosystémiques, la rotation des cultures, la diversification des cultures et des animaux et le renforcement de la biodiversité.
La première de ces études semble reposer sur une hypothèse fondamentale qui n’est jamais discutée, à savoir que « l’agriculture de précision est le futur de l’agriculture européenne ». À partir d’une telle hypothèse, l’étude élabore plusieurs scénarios et produit un ensemble de recommandations sur ce que l’UE devrait faire pour promouvoir l’agriculture de précision de façon à « réduire les coûts et l’impact environnemental et produire davantage de nourriture de meilleure qualité ». Pour cela, l’étude informe sur « l’état de l’art [de l’agriculture de précision] à l’heure actuelle, les développements possibles dans l’avenir, les préoccupations et les opportunités sociétales, ainsi que les options de politiques proposées à l’attention des décideurs ». Trois principales préoccupations sont avancées par l’étude qui portent sur : (i) la protection de la propriété des données générées pour/par l’agriculture de précision ; (ii) le point de vue biaisé de l’opinion publique sur ce en quoi l’agriculture de précision consiste et qui ne prend pas en compte la diversité de ce type d’agriculture ; et (iii) la nature des objectifs pour lesquels l’agriculture de précision est promue et qui en bénéficiera. Toutes ces préoccupations sont tout à fait valables, mais on aurait pu s’attendre que l’on apporte des arguments d’abord convaincants sur pourquoi l’agriculture de précision, plutôt que d’autres alternatives, constitue réellement la meilleure approche pour atteindre les objectifs mentionnés au départ (c’est-à-dire réduire les coûts et les impacts environnementaux et produire davantage de nourriture et de meilleure qualité). Nous pensons que ce n’est pas par hasard si cette question fondamentale n’est pas posée. Les termes de référence de l’étude n’étant pas disponibles, il n’est pas possible de savoir si cette limitation vient d’une omission de la part du Centre de réflexion qui a commandé l’étude, ou bien si c’est le choix des chercheurs qui l’ont menée. Quelle que soit la réponse à cette question, il est clair que ni les grandes entreprises agrochimiques et d’analyse de données (big data) ni les banques ne se plaindront pas de cette lacune, bien au contraire ! On peut cependant douter que tous les citoyens européens s’en satisferont. À lafaimexpliquee, nous ne pouvons certainement pas nous en féliciter et nous estimons que des alternatives à l’agriculture de précision, telle que l’agroécologie ou l’agriculture biologique auraient également dû être analysées pour mieux éclairer ce que l’UE devrait faire pour atteindre une alimentation et une agriculture moins coûteuses (tous les coûts réels étant pris en compte) et plus respectueuses de l’environnement et de la santé.
Dans la seconde étude, qui porte sur l’agriculture biologique - il n’est pas clair comment ces deux études s’intègrent dans un cadre cohérent de recherche du Centre de réflexion -, les auteurs notent bien à propos que « très peu d’études ont été menées qui analysent directement les effets de l’alimentation biologique sur la santé humaine ». Ils mentionnent quelques-uns des effets positifs trouvés dans les études disponibles - comme sur les allergies des enfants ou l’obésité, mais ils les qualifient de non concluants, et ils notent que les consommateurs d’aliments biologiques adoptent souvent un comportement qui mène à des modes de consommation alimentaire plus sains associés à des émissions de GES réduites. Dans un paragraphe plutôt étrange, les auteurs ajoutent que « l’agriculture biologique à la fois est une source d’alimentation contenant peu de résidus de pesticides et propose un environnement dans lequel sont développées des techniques agronomiques de protection des plantes sans pesticides » et complètent cette affirmation en disant que « les dites techniques peuvent être adoptées par la production agricole conventionnelle ce qui aiderait à une transition vers une lutte intégrée contre les ravageurs et une diminution de l’exposition de la population et de l’environnement aux pesticides » niant ainsi de facto les différences existant entre les agricultures conventionnelles et organiques. Voilà qui ne semble pour le moins pas être une attitude bien rigoureuse ! Les différences sont aussi pratiquement niées en termes de contenu des aliments, y compris le contenu en antibiotiques pour lesquels « une transition hypothétique vers la production biologique de tout le secteur de l’élevage ne serait, à elle seule, qu’une partie de la solution du problème de la résistance acquise aux antibiotiques, dans la mesure où des facteurs extérieurs à la production animale, tels que leur utilisation par les humains, n’en seraient pas affectés ». En d’autres termes : si un problème requiert pour être résolu la mise en œuvre de deux solutions, ne les mettez en œuvre ni l’une ni l’autre dans la mesure où chacune séparément ne résoudrait pas le problème. Pour nous, à lafaimexpliquee, il s’agit là d’un exemple d’anthologie de logique Groucho-Marxienne, le rire en moins. Pour ajouter deux cerises sur le gâteau :
-les recommandations se terminent par un ensemble d’options alternatives qui sèmeront la confusion dans l’esprit du décideur le plus bienveillant, et
-les auteurs « omettent » de mentionner les avantages environnementaux de l’agriculture biologique sur celle conventionnelle, un domaine où pourtant des preuves solides existent.
En conclusion : il nous semble que nous sommes là en face de cas qui demanderaient certainement davantage d’investigations en vue de la mise en application du conseil que nous avions donné à nos chères lectrices et lecteurs dans notre article du 27 décembre 2016 : « Quand vous lisez un article ou une étude, vérifiez toujours qui sont les auteurs et qui les finance avant de prendre pour argent comptant leurs conclusions ! »
Y a-t-il des volontaires pour ce travail ?
Dernier point : en regardant le programme des recherches du Comité sur l’agriculture et le développement rural du Parlement européen, nous remarquons qu’il y aura (au moins) trois travaux de recherche en 2017 qui sont pertinents pour la discussion que nous avons ici :
-Les conséquences des politiques de changement climatiques pour l’agriculture - suivi de la COP 21
-Soutien en matière de politiques relatives au compromis productivité contre durabilité dans l’agriculture de l’UE : vers une production agricole viable et une croissance verte
-Préserver les sols agricoles dans l’Union européenne.
Espérons que ces études apporteront des recommandations claires, indépendantes, bien documentées et convaincantes aux législateurs européens !
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Pour en savoir davantage :
-Van Woensel, L., Precision agriculture and the future of farming in Europe, Scientific Foresight Unit (STOA) Directorate for Impact Assessment and European Added Value Directorate-General for Parliamentary Research Services, European Parliament, Brussels, December 2016 (en anglais uniquement)
-Mie, A. et al., Human health implications of organic food and organic agriculture, Scientific Foresight Unit (STOA), Directorate for Impact Assessment and European Added Value Directorate-General for Parliamentary Research Services, European Parliament, Brussels, December 2016 (en anglais uniquement)
-European Parliamentary Research Service Blog (en anglais uniquement)
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Dernière actualisation: janvier 2017