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30 mai 2016
Comment les pays riches voient-ils le futur de l’alimentation et de l’agriculture ?
L’Organisation de Coopération et de développement économiques (OCDE) dont le siège se trouve au Château de la Muette, à Paris, a été le club des pays riches depuis sa création en 1948. Elle vient de publier un document sur sa façon de voir les ‘Perspectives d'avenir pour l'alimentation et l'agriculture dans le monde’ qui repose sur d’intenses recherches, du travail de modélisation et intègre des discussions avec un large éventail d’experts.
Comme c’est le cas d’habitude avec ce type de travail de prospective, il utilise des scénarios qui ‘ne sont pas conçus pour indiquer les perspectives « les plus probables », mais pour embrasser les aspects pertinents des évolutions possibles ». Il est intéressant de noter que ce travail ne semble pas avoir bénéficié d’une contribution particulière de la FAO, l’agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation qui a pourtant accumulé au cours des dernières décennies une grande expérience en matière d’analyse de perspectives agricoles à long terme. Encore plus frappant est le fait que le rapport est totalement muet sur la question de la faim, au moment où le monde, où vivent environ 1 milliard de personnes en situation de sous-alimentation chronique, a été le témoin d’une recrudescence des engagements des États envers son éradication.
L’OCDE envisage trois scénarios alternatifs :
1.Le scénario « Croissance fragmentée reposant sur les énergies fossiles » qui illustre un monde où les pays cherchent à atteindre chacun leur autosuffisance alimentaire en utilisant des technologies fondées sur l’utilisation d’énergies fossiles et ou aucun changement fondamental n’est envisagé dans la façon dont opère le système agricole et alimentaire.
2.Le scénario « Croissance durable portée par l’engagement citoyen » où l’accent est mis sur des technologies préservant les ressources naturelles et l’environnement.
3.Le scénario « Croissance rapide reposant sur la coopération internationale » qui se fonde sur la coopération internationale, un développement rapide et diversifié des technologies et du commerce aux mains des grandes compagnies multinationales.
Les conclusions que l’OCDE tire de ce travail peuvent se résumer en trois points principaux :
-Les prix alimentaires pourraient continuer à croître
-Les revenus agricoles augmenteront mais la part de l’agriculture dans le PIB et l’emploi continuera à baisser
-Les maladies animales transfrontalières et la sécurité des aliments continueront à constituer une menace.
Les scénarios 1 et 3 reposent sur une utilisation accrue d’intrants agricoles (engrais, pesticides, etc.). Le scénario 1 « pourrait exacerber l’insécurité alimentaire et les risques liés à la sécurité des aliments, et accroître la pression exercée sur l’environnement naturel ». Le scénario 3 devrait « améliorer les perspectives de croissance économique de la majorité des régions du monde… [et] amplifier les risques que fait courir le changement climatique et les menaces qui pèsent sur la biodiversité ».
Le scénario 2 envisage des changements technologiques majeurs qui amélioreraient la durabilité du système alimentaire du point de vue de l’environnement tout en adaptant ses activités au comportement des consommateurs. Ce dernier scénario semble inspiré par des tendances observées parmi les consommateurs privilégiés des pays riches. Dans tous les cas cependant, plus de pression serait exercée sur l’environnement, bien qu’à un niveau nettement moindre dans le cas du scénario 2.
Quelles sont les recommandations que l’OCDE formule à partir de ce travail analytique ?
•pour influencer la consommation :
•mettre en oeuvre la « réforme des subventions et de la fiscalité » et mener des « campagnes de sensibilisation des consommateurs » afin d’accélérer la tendance à des modes de vie et des modèles de consommation plus durable, tout en préservant les spécificités culturelles régionales
•pour influencer la production :
•réévaluer les politiques existantes qui soutiennent l’utilisation d’énergie fossile et d’intrants à fort contenu énergétique dans l’agriculture et les autres secteurs, et prendre comme indicateur de productivité non seulement le rendement mais aussi une éventuelle dégradation des ressources naturelles et l’émission de gaz à effet de serre
•pour améliorer le fonctionnement des marchés :
•mettre en place des réglementations du marché des produits alimentaires qui soient plus cohérentes afin de faciliter le commerce international qui est vu comme le moyen principal pour amortir les chocs sur l’offre au niveau local ou régional (sécheresse, inondations, maladies, etc.)
•pour améliorer la gestion des risques :
•développer des outils d’assurance et de financement bancaire, ainsi qu’un système de sécurité sociale.
Mais le rapport n’élabore guère la question pourtant fondamentale du mode de développement de technologies de production plus durables. Comment se fera-t-il ? Par qui ? A quelles conditions ? Comme si cela allait se produire automatiquement par le truchement de la magie du marché ! Le rapport néglige le fait que le développement de technologies favorables à l’environnement et n’utilisant que peu d’intrants est peu susceptible d’être attrayant pour des compagnies privées qui ne sont prêtes à investir dans la recherche que si les technologies produites peuvent se traduire par des ventes d’intrants ou d’équipement pouvant leur rapporter des profits. Ce n’est là pas vraiment une surprise, car l’OCDE n’est guère réputée pour être une grande partisane de l’action et de la recherche publiques.
En analysant les recommandations qu’elle fait, on voit clairement que l’OCDE estime que l’économie alimentaire mondiale devrait, comme le reste de l’économie mondiale, continuer de dépendre de façon croissante du commerce international (qui est pourtant un consommateur d’énergie et n’est pas favorable aux producteurs et pays les plus pauvres) et sur le développement continu du système financier (une tendance qui a déjà été observée dans les modification du fonctionnement des opérations d’urgence qui ont vu une évolution d’un système fondé sur des flux en nature de nourriture vers la mise en oeuvre de solutions financières - distribution d’argent liquide - gérées par des opérateurs financiers transnationaux) [sur cette modalité, lire]. Cette approche ‘financière’ ne cherche pas à réduire les risques - qui sont vus comme résultant du changement climatique et non en tant que conséquences des technologies utilisées sur l’environnement - en transformant fondamentalement les technologies mais envisage plutôt des solutions financières desquelles, très probablement, les groupes de population les plus vulnérables risquent d’être exclus. D’une certaine façon, dans ses recommandations, l’OCDE accompagne des tendances déjà avérées, et se limite à quelques ajustements inévitables dans les technologies à un moment où les préoccupations relatives à l’environnement et au changement climatique font la une des médias. Mais elle ne fait aucune tentative d’aller plus loin et d’envisager les implications des changements proposés et la nécessité de revoir entièrement le système alimentaire mondial pour que les évolutions nécessaires puissent réellement avoir lieu.
Pour nous à lafaimexpliquee.org cette façon de voir le futur de l’agriculture et de l’alimentation est inacceptable et dangereuse, et totalement incompatible avec une éradication de la faim dans le monde [lire à ce sujet nos ‘Sept principes pour en finir durablement avec la faim’] :
-sur la consommation, nous sommes d’accord pour dire que le cadre incitatif doit être modifié profondément, mais nous ajoutons que cela se traduira par une augmentation considérable des prix alimentaires (ce qui aura également pour conséquence positive de réduire le gaspillage alimentaire) qui devrait aller de pair avec des mesures accrues de protection sociale [lire ici]
-sur la production, nous sommes d’accord avec la nécessité de proposer de nouvelles technologies mais nous suggérons de pousser plus avant la réflexion sur comment de telles technologies pourraient être développées et, en particulier, sur le besoin de relancer la recherche publique pour produire des technologies adaptées à une grande diversité de situations, basées sur les connaissances, créatrices d’emplois et accessibles à la masse des petits producteurs pauvres [lire ici]
-sur les marchés, nous sommes d’accord sur la nécessité d’améliorer la fluidité des flux des produits alimentaires, mais aussi, et de façon plus importante encore :
•la re-localisation de la production alimentaire à proximité des grands centres de consommation afin de réduire, autant que faire se peut, l’impact du transport de nourriture
•la recherche d’une cohérence des réglementations alimentaires qui ne devrait pas mener vers une dégradation de la qualité des aliments (nivellement vers le bas des normes alimentaires) et devrait prendre en compte la diversité des cultures locales
-la gestion des risques devrait être prise en compte au stade de développement des technologies de production et non pas uniquement être traitée par des instruments financiers
-les implications sociales des changements envisagés, et tout particulièrement sur les producteurs pauvres et l’insécurité alimentaire devraient constituer un critère essentiel dans l’évaluation des politiques et programmes : ils ne peuvent en aucun cas simplement être appréciés par leur résultat en terme de production ou d’impact sur l’environnement.
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Pour en savoir davantage :
-OCDE, Perspectives d'avenir pour l'alimentation et l'agriculture dans le monde, OCDE 2016
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Dernière actualisation: mai 2016