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8 mars 2014
Ces grandes compagnies qui veulent notre bien... : l’amont
On savait notre système agroalimentaire mondial malade: au moins un milliard de personnes sous-alimentées, 2 milliards de personnes souffrant de déficiences nutritionnelles et environ 1,5 milliards de personnes en surpoids ou obèses, bref, près des 2/3 de la population mondiale «mal nourrie». Mais sait-on aussi que ce système est aux mains d’un petit groupe d’énormes compagnies qui le contrôlent et influencent la production et la consommation afin d’en tirer d’énormes profits?
Il est vrai que, d’une façon générale et tous secteurs confondus, l’économie mondiale est de plus en plus aux mains des grandes multinationales. Selon la CNUCED, il y avait environ 4.000 entreprises transnationales en 1969. En 2009, elles étaient 82.000 avec sous leurs ordres environ 690.000 filiales à travers le monde. Leur chiffre l’affaires s’accroit en moyenne de 10% par an depuis le début des années 90 et en 2010, leur poids était équivalent à au moins 25% du PIB mondial, soit 16.000 milliards de dollars (environ 7 fois le PIB de la France) et elles contrôlaient les 2/3 des échanges commerciaux internationaux. Parmi les 100 plus grandes multinationales, dont 93 ont leur siège dans un pays riche, on trouve 9 entreprises du secteur agroalimentaire. Mais l’influence réelle des multinationales va bien au-delà de ces chiffres car elles dominent une myriade d’autres sociétés par l’intermédiaire de contrats qui leur permet de les contrôler à moindre risque et sans avoir à participer à leur capital. En 2010 par exemple, ces contrats, signés principalement avec des entreprises situées dans les pays du Sud, se sont montés à 2000 milliards de dollars et ont pris la forme de sous-traitance manufacturière et d’externalisation de services, d’agriculture contractuelle, de franchisage, de concession de licences, de contrats de gestion et d’autres relations contractuelles.
Un rapport de ETCGroup (surveillance du pouvoir - veille des technologies - renforcement de la diversité) de septembre 2013 nous éclaire sur le degré de domination du marché qu’ont su atteindre les grandes compagnies de l’agrochimie dans le domaine des intrants agricoles, surtout dans la mesure où elles ont su s’organiser en gigantesques cartels. (Putting the Cartel before the Horse ...and Farm, Seeds, Soil, Peasants, etc. Who Will Control Agricultural Inputs, 2013?). Le rapport montre ainsi que dans tous les secteurs sauf celui des engrais, quatre compagnies représentent à elles seules plus de la moitié du chiffre d’affaires.
Dans le domaine des semences, la concentration est très forte puisque 3 compagnies (Monsanto, DuPont et Syngenta) contrôlent 53% d’un marché, qui pèse 35 milliards de dollars, comme le montre l’encadré ci-dessous. Le chiffre d’affaires de ces compagnies continue d’ailleurs de croitre très fortement d’année en année, notamment par des acquisitions de compagnies locales dans les pays du Sud, surtout en Inde et en Afrique, des partenariats en vue du développement de nouvelles variétés, des pressions exercées sur les gouvernements en vue du strict respect de la propriété intellectuelle (notamment par l’intermédiaire de la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition) et des campagnes d’«éducation» des producteurs.
Dans le domaine des pesticides, on retrouve un peu les mêmes multinationales. En tout, les dix plus grandes compagnies pèsent 95% du chiffre d’affaires du secteur (98% si on y rajoute la 11ème plus grande). (voir encadré)
En 2011, on estime que le marché des pesticides a augmenté de près de 15% pour atteindre environ 44 milliards de dollars (on se souviendra que la France, premier consommateur de pesticides en Europe, avait de façon erronée annoncé une diminution de la consommation de pesticide en 2012, chiffre qui avait par la suite été rectifié - voir nos nouvelles du 13 décembre 2013 dernier). La tendance est pour les grands opérateurs d’investir dans les pesticides biologiques (utilisation d’insectes ou microorganismes) notamment pour les fruits et légumes où peu d’OGM ont été développé pour l’instant. C’est un créneau qui devrait croitre très rapidement à l’avenir, aussi parce que cela devrait permettre à ces compagnies d’améliorer leur image de marque auprès du public.
Peu d’études de grande envergure ont été faites pour estimer le coût de l’utilisation de pesticides en termes de jours de travail perdus, frais de traitements médicaux et d’hospitalisation. Le PNUE a cependant fait une étude sur 37 pays d’Afrique sub-saharienne et estime ce coût à 4,4 milliards de dollars en 2005 (sans compter les pertes en vies humaines et les effets sur l’environnement comme la diminution du nombre d’abeilles, etc.), soit tout de même environ 4% de la production agricole totale de l’ensemble de l’Afrique sub-saharienne (52 pays).
Pour ce qui est des engrais, c’est le secteur où la concentration est la moins forte puisque les dix plus grandes compagnies de représentent «que» 41% du chiffre d’affaires (voir encadré).
La croissance du marché des engrais, moindre que celui des semences ou pesticides, était néanmoins estimée à plus de 7% en 2011, où il a atteint 160 milliards de dollars, soit d’environ 7% du PIB agricole mondial. C’est important quand on considère la forte augmentation des prix des engrais vers 2007-2008, notamment si on les compare à l’évolution des prix agricoles qui pourtant avaient connu une envolée.
Dans le cas des produits vétérinaires, on retrouve à nouveau une concentration plus forte: les 10 plus grandes compagnies pèsent plus de 80% d’un secteur dont le chiffre d’affaires total est de l’ordre de 22 milliards de dollars (voir encadré).
On peut donc constater que dans tous ces domaines, le marché est tout sauf vrai un marché concurrentiel. Malheureusement, il n’y a pas d’étude pour l’instant permettant de connaitre les implications de cette structure très concentrée. On peut cependant s’attendre à ce que les profits retirés de leur activité par ces compagnies géantes dans ces secteurs peu concurrentiels doivent être très élevés et que les prix payés par les producteurs pour ces intrants bien supérieur à ce que leurs coûts de production et un bénéfice «raisonnable» pourraient justifier. Pour ce qui est du coût réel de l’utilisation de ces produits en terme de santé et de dégradation de l’environnement, il est probablement bien supérieur au prix payé même gonflé par les pratiques de cartel des compagnies de l’agrochimie, comme le suggère l’étude très partielle du PNUE en Afrique sub-saharienne.
C’est ce qui fait qu’il parait indispensable que des études sérieuses soient entreprises au plus vite pour estimer de façon aussi complète et incontestable que possible le coût de ce système et de l’utilisation de tous ces intrants afin de pouvoir l’intégrer dans le coût final de ces produits. Cette internalisation des coûts pourrait se faire progressivement - pour permettre au système de s’ajuster peu à peu - par l’intermédiaire d’une taxe qui aurait le triple bénéfice de:
•mobiliser des ressources qui pourront être utilisées entre autre pour financer la recherche publique en vue de développer des technologies agricoles plus durables et plus accessibles pour les producteurs pauvres [lire davantage sur cette idée]
•décourager l’utilisation des produits de l’agrochimie
•rendre plus attractifs les produits provenant d’une agriculture utilisant des technologies à faible utilisation d’intrants (agroécologie, agriculture biologique) dont les prix sont, en général à l’heure actuelle, plus élevés que ceux de l’agriculture conventionnelle chimique.
Le Groupe des experts de haut niveau du Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) aurait certainement un rôle central à jouer dans ce travail d’une importance extrême pour «guérir» notre système agroalimentaire bien malade.
Il est fort à parier que la partie est loin d’être gagnée et que les lobbys de l’agrochimie feront tout leur possible pour que de telles études véritablement indépendantes ne voient jamais le jour.
(prochainement: les multinationales de l’alimentation)
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Pour en savoir plus:
-lire aussi un autre rapport d’ETCGroup: Qui contrôlera l’économie verte? Novembre 2011
Dernière actualisation: mars 2014
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