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4 mai 2019
Les Nations Unies nous avertissent: il faut arrêter le grand saccage des ressources naturelles
Pour doubler le produit intérieur brut depuis 1970 et faire sortir des milliards de personnes de la pauvreté, l’humanité a adopté un modèle de développement dévastateur et non viable qui se situe aux antipodes du développement durable qu’elle s’est engagée à poursuivre, si l’on se fie aux Objectifs de développement durable (ODD). En effet, pour atteindre ces résultats, nous avons plus que triplé l’utilisation des ressources naturelles, sommes responsables de 90 % de la perte de biodiversité et du stress hydrique, avons fait exploser les émissions de gaz à effet de serres provoquant le réchauffement climatique, et avons pollué l’environnement tout en aggravant les inégalités économiques.
C’est là le bilan sans appel fait par le Panel international des ressources travaillant sous l’égide des Nations Unies dans son récent rapport sur les Perspectives des ressources mondiales 2019.
En 2017, l’humanité a extrait 92 milliards de tonnes de l’environnement, soit l’équivalent de près de 9 millions de Tour Eiffel en une année ! Un chiffre qui donne le vertige… et qui devrait encore augmenter à l’avenir pour atteindre 190 milliards de tonnes en 2060 si la tendance se poursuivait.
Trois chiffres supplémentaires illustrent la tendance :
•L’extraction de combustibles fossiles, pour sa part, a été multipliée par 2,5 depuis 1970 pour atteindre 15 milliards de tonnes par an, soit l’équivalent de plus de 30 000 cargaisons du TI Europe, le plus grand navire pétrolier du monde.
•L’extraction de biomasse est passée de 9 à 24 milliards de tonnes par an, soit en 2017 l’équivalent d’environ 31 fois la production mondiale totale de riz.
•La quantité d’eau utilisée a augmenté de 2 500 à 3 900 km3 par an, soit l’équivalent de 40 fois le contenu en eau du Lac de Genève en 2017.
Cette voracité est en partie due au fait que l’humanité a favorisé l’amélioration de la productivité du travail plutôt que l’efficacité de l’utilisation des ressources naturelles.
L’alimentation se trouve pointée du doigt dans le rapport dans la mesure où ce sont notre agriculture et notre alimentation qui sont les principales sources de perte de biodiversité et de stress sur les ressources en eau. Cela confirme ce qui a déjà été affirmé à plusieurs reprises par lafaimexpliquee.org.
Si l’on considère les impacts mesurés par habitant dans les régions, l’Amérique du Nord est la championne du monde des gaz à effets de serre, suivie de près par l’Europe, alors que l’Amérique Latine est la championne de la dégradation de la biodiversité et l’Asie de l’Ouest (Proche Orient) la championne du stress hydrique. L’Asie et Pacifique et l’Afrique sont les régions où les impacts par habitant sont tous inférieurs à la moyenne mondiale.
Le rapport souligne qu’il s’agira de mettre en œuvre des mesures très énergiques, concertées et urgentes pour freiner et inverser la tendance, car il va sans dire que la poursuite de la tendance actuelle mènerait à la catastrophe.
Le Panel estime que « le découplage de l’utilisation des ressources naturelles et des impacts environnementaux de l’activité économique et du bien-être de l’homme est un élément essentiel de la transition vers un avenir durable ». Pour cela, il s’agit non seulement d’augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources naturelles par une amélioration des technologies, mais aussi de « passer des flux linéaires à des flux circulaires en combinant des cycles de vie prolongés des produits, une conception et une normalisation intelligentes des produits, ainsi que leur réutilisation, recyclage et reconditionnement ».
Les mesures proposées pour parvenir à ce résultat restent relativement vagues ; elles comprennent « des programmes de recherche publics, des mesures d’incitation à la recherche et au développement privés » et le soutien au pilotage de technologies innovantes. En termes d’incitation, le Panel propose une taxe carbone généralisée dont les revenus seraient distribués aux ménages et aux gouvernements sous la forme d’un « dividende carbone mondial par habitant », une subvention sur le reboisement et la restauration des habitats d’origine, ainsi que sur la bioélectricité avec capture et stockage du carbone et sur la capture directe du dioxyde de carbone de l’air. Il suggère également une suppression des incitations à la production d’agrocarburants, entre autres. Enfin il s’agira, selon le rapport, de modifier profondément l’alimentation, notamment en réduisant la consommation de viande et le gaspillage alimentaire.
Le rapport reste très « prudent » quant à la nécessité éventuelle d’une réforme profonde du système économique mondial, contrairement à ce que, par exemple, la FAO indiquait dans son travail sur une alimentation future durable qui demanderait notamment un fonctionnement plus compétitif, transparent et juste des marchés, la mise en œuvre de systèmes de protection sociale efficaces et de régimes fiscaux équitables ainsi qu’une lutte renforcée contre les flux financiers illicites [lire].
Certains spécialistes sont sceptiques quant à la possibilité qu’un découplage entre les activités économiques et l’utilisation des ressources naturelles et la production de gaz à effet de serres puisse être réalisé dans un scénario de croissance économique. Ils fondent cette opinion sur une analyse de données montrant que si une tendance relative au découplage a été observée pendant le XXe siècle, la situation s’est inversée en ce début de XXIe siècle. Ces analystes estiment que « la croissance verte est probablement un objectif erroné et que les décideurs devront se tourner vers des stratégies alternatives » [lire].
Tout porte à croire que seul un changement fondamental de notre économie et des ressorts qui en déterminent la dynamique nous permettra de faire face au défi de la durabilité. Le problème, au-delà des questions de technologies et de transformation de nos vies individuelles, c’est que l’on peut s’attendre à une forte résistance au changement de la part de puissants groupes de pression politico-économiques qui sentent leurs intérêts menacés et qui feront tout leur possible pour influencer nos dirigeants à ne rien faire qui puisse contrecarrer leurs ambitions de profit à court terme.
Il s’agira donc que tous se mobilisent tant en modifiant leur comportement individuel qu’en exerçant pleinement leurs droits et devoirs de citoyens.
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Pour en savoir davantage :
•Oberle, B. et al., Perspectives des ressources mondiales 2019 : des ressources naturelles pour l’avenir que nous voulons - Résumé à l’intention des décideurs, Panel international des ressources, Programme des Nations Unies pour l’environnement, 2019.
•Oberle, B. et al., Global Resources Outlook 2019, Main report with summary, annexes and case studies, United Nations Environment Programme, 2019 (rapport complet en anglais).
•Hickel, J., and G. Kallis, Is Green Growth Possible? New Political Economy, 2019 (en anglais).
•Bellù, L.G., et al., L’avenir de l’alimentation et de l’agriculture - Parcours alternatifs d’ici à 2050, Résumé, 2018, FAO.
Sélection d’articles récents déjà parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :
•Pour gérer durablement nos ressources en eau, nous devons modifier notre consommation alimentaire, 2019.
•Quel avenir pour notre alimentation ? Trois scénarios brossent le tableau de futurs bien différents, 2018.
•Le climat change, l’alimentation et l’agriculture aussi, 2016.
Dernière actualisation: mai 2019
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