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30 juin 2016


Un commentaire
(voir en bas de page)


Clôtures, murs, aide et commerce équitable : pour réfléchir sur les migrations internationales


Un article publié récemment sur Global Issues, adopte une perspective différente sur les migrations internationales de celle adoptée par la plupart des médias et des personnalités politiques. Ecrit par Jose Graziano da Silva, directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) et Andrew MacMillan (ancien directeur des opérations à la FAO), l’article intitulé « Clôtures et murs : une réponse réductrice aux craintes que suscitent les migrations » (“Fences and Walls: A Short-sighted Response to Migration Fears?”, en anglais uniquement) nous rappelle que la migration vers les pays riches, un facteur de l’augmentation du poids politique des mouvements extrémistes et xénophobes, n’est que la pointe minuscule d’un énorme iceberg dont la masse est constituée de migrations internes (principalement des zones rurales vers les zones urbaines) et de migrations de populations d’un pays pauvre vers un autre où des personnes désespérées pensent pouvoir améliorer leurs conditions de vie.


Les auteurs nous rappellent aussi qu’au cours des soixante dernières années, des milliards de personnes partout dans le monde, même dans les pays riches, ont participé à l’exode rural. A cela, nous pouvons ajouter que les flux de migration internationale Sud-Sud ont été estimés à plusieurs centaines de millions de personnes. Cependant, les estimations de l’OCDE, citées dans l’article, du flux des migrants entrant dans ses (riches) pays membres n’atteignent que environ 4 millions de personnes par an, en moyenne depuis 2007, comparé à une population totale de 1,3 milliard de personnes.


Il apparait donc clairement que le poids de la migration vers les pays de l’OCDE n’a représenté que environ 0,3% de la population totale, annuellement, soit vraiment peu de chose. Voilà qui ne semble pas être un flux impossible à digérer par des pays riches dont beaucoup ont un besoin de main d’oeuvre supplémentaire dans la mesure où leur population a tendance à diminuer et deviendra bientôt insuffisante pour assurer la pérennité de leur systèmes économique et social. Est-il donc raisonnablement justifiable de jeter par-dessus bord les principes de base qui nous ont guidés depuis le Siècle des Lumières et même avant, pour cause de migration ?




L’article souligne justement que la construction de clôtures et de murs est coûteuse et ne pourra arrêter de façon effective les flux migratoires. Quand des personnes fuient devant la guerre, la faim, la pauvreté extrême et/ou la répression politique et qu’elles ont perdu tout espoir, rien ne peut les arrêter sauf l’amélioration de la situation dans leur lieu d’origine qui ne peut se faire que si l’on s’attaque véritablement aux causes profondes de la migration, que l’on rétablit la paix et améliore les conditions de vie, y compris le revenu, le logement, l’accès à l’eau potable, à l’énergie, ainsi qu’à une éducation, des services de santé et une protection sociale effective.


Mais nous pouvons raisonnablement demander : qu’est-ce qui a été fait à ce jour qui dépasse ce que l’on a l’habitude de faire en matière d’aide ?


Graziano da Silva et MacMillan notent que : « L’Union européenne a endossé le principe qu’il fallait s’attaquer aux causes profondes des migrations de l’Afrique vers l’Europe et, à l’occasion du sommet tenu à Malte en novembre 2015, a déclaré que l’investissement dans le développement rural est une priorité. Cependant les presque 30 membres de l’UE n’ont approuvé que 1,8 milliard d’euros en ressources additionnelles. C’est un montant négligeable, étant donné l’importance de la pauvreté. C’est environ le quart de ce qu’ils ont offert à la Turquie pour arrêter le flux de migrants vers l’Europe ». Et ils poursuivent : « Il faudra bien davantage de financement. Cela est explicitement reconnu dans l’approbation unanime par tous les gouvernements, en septembre dernier, des Objectifs de Développement Durable dont la formulation a été facilitée par les Nations Unies, et qui comprennent notamment l’éradication de la pauvreté et de la faim d’ici 2030. En plus d’être moralement correct, cela réduira les conflits qui souvent sont des facteurs initiaux des migrations internationales. »


Mais la question qu’il faut alors poser est : cette déclaration va-t-elle réellement aboutir à des actions ? On peut en douter quand on constate la réduction de l’aide internationale au développement et sa concentration croissante sur le soutien au développement des activités d’entreprises originaires des pays donateurs dans les pays bénéficiaires.


Mais l’aide internationale n’est qu’une partie de ce qu’il faudrait faire, et les auteurs avancent très justement que « une façon plus durable de réduire l’écart entre les villes et les campagnes est l’opportunité offerte par un commerce alimentaire plus équitable, dans la mesure où l’alimentation est le produit le plus vendable pour la plupart des communautés rurales ».


Graziano da Silva et MacMillan font le bon diagnostic, mais ils ne vont pas au bout de ses implications.


L’idée de prix plus équitables a été à la base du mouvement du Commerce Equitable qui s’est développé au cours des 4 ou 5 dernières décennies et qui cherche à changer dans la pratique la façon de faire du commerce international en vue de réduire les inégalités dans le monde et promouvoir un développement durable. Mais, à ce jour, le Commerce Equitable ne représente encore qu’une part microscopique du commerce mondial (bien moins de 0,1%) et les efforts d’inclure les principes d’un commerce plus équitable dans les Objectifs de Développement Durable (ODD) approuvés récemment se sont soldés par un échec lamentable.


Cependant, la transformation des modalités du commerce qui permettrait effectivement de fixer la population dans sa zone d’origine, ne coûterait, contrairement à une idée reçue, que peu aux consommateurs. Ainsi, un doublement du prix payé aux producteurs d’aliments très largement échangés au niveau international tels que le cacao, le café ou les bananes n’augmenterait le prix au consommateur que de moins de 10%. Pour d’autres produits, tel que l’habillement par exemple, l’augmentation du prix au consommateur serait bien moindre encore, dans certains cas moins de 1% !


La solution est donc connue, comme le disent très bien les auteurs, mais le monde n’est pas prêt à la mettre en oeuvre, et nos pays préfèrent édifier des clôtures et des murs, saper leurs principes fondamentaux et donner un pouvoir croissant à des démagogues xénophobes et racistes.


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Pour en savoir davantage


  1. -Graziano da Silva, J. et  A. MacMillan, Fences and Walls: A Short-sighted Response to Migration Fears?”, Global Issues, June 2016 (en anglais seulement)

  2. -MacMillan, A., Lampedusa, Westgate et la Famine dans la Corne de l’Afrique - C’est trop facile d’oublier, Opinions, lafaimexpliquee.org, octobre 2013



Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org et liés à ce sujet :


  1. -Sommet de La Valette sur les migrations : 1,8 milliards d’euros pour l’Afrique en vue de résorber les migrations Afrique-Europe - Illusion ou inconscience ?, novembre 2015

  2. -Forces et faiblesses de l’accord atteint lors de la Conférence sur le financement du développement d’Addis Abeba, juillet 2015

  3. -L’équité intergénérationnelle est possible : à condition de changer profondément les principes qui gouvernent le monde, mai 2015

  4. -Le moment n’est-il pas venu de repenser la gestion de notre alimentation ?, juin 2014

  5. -Le commerce international des produits agricoles, mars 2014

  6. -L’insuffisance de l’appui au développement agricole, novembre 2013

  7. -Le «Blending»: formule magique pour mobiliser plus de ressources pour le développement ou subvention à l’endettement ?, mai 2013



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Commentaire:

- Jacques du Guerny (03/7/2016):

    Merci pour un papier clair, mais deux remarques :


  1. 1.    Il serait intéressant d’avoir une étude sur le besoin réel d’assistance internationale d’un certain nombre de pays dont les dirigeants ont des priorités qui n’ont que peu à voir avec la situation alimentaire de leur population. Je me souviens d’une étude sur un pays de la Corne de l’Afrique dont les dirigeants considéraient que les problèmes agricoles et alimentaires étaient du ressort de l’assistance internationale pendant que leurs ressources nationales étaient consacrées aux dépenses militaires.

  2. 2.     L’espèce humaine a toujours migré, sinon elle ne serait jamais sortie d’Afrique… La question est pourquoi cela se passe bien à certaines époques, certains lieux ou nombres. Par exemple, le rapatriement du million 2 de Français d’Algérie en 62 s’est relativement bien passée : on avait les ressources alors que le pays était moins riche…

 

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Dernière actualisation:    juin 2016