Les causes de la faim:

L’insuffisance de l’appui au développement agricole

 
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L’insuffisance de l’appui au développement agricole


L’abandon dans lequel l’agriculture a été laissée dans les pays non-industrialisés et la communauté internationale porte également une grande responsabilité dans le niveau de sous-alimentation observé aujourd’hui dans le monde.


Dépenses publiques insuffisantes pour l’agriculture


Cet abandon s’est traduit tout d’abord par une régression relative des dépenses publiques faites par les états en faveur du développement agricole. Ce sont ces dépenses qui constituent la majeure partie du financement de l’agriculture (160 milliards de dollars en moyenne entre 2005 et 2007, contre à peine 7 milliards de dollars d’aide internationale et environ 10 milliards de dollars d’investissements privés - données FAO).


Les chiffres disponibles sur les dépenses publiques pour l’agriculture sont malheureusement très incomplets. On peut cependant dire que ces dépenses ont légèrement augmenté entre 1980 et 2007 en valeur absolue, alors même que leur part dans les dépenses publiques totales diminuaient fortement, passant d’environ 7 % à 4 % du total (voir graphe ci-dessous). En Afrique, le continent le plus rural et le plus agricole, elles ont même diminué en valeur absolue, tombant souvent en-dessous de 3% des dépenses publiques.


            Dépenses publiques par secteur (1980-2007)
























Source: Lowder et Carisma, Financial Flows to Agriculture FAO/ESA décembre 2011 à partir des données de l’IFPRI/SPEED sur 67 pays dont 13 à haut revenu n’appartenant pas à l’OCDE et 54 pays à revenu moyen et bas.



L’importance décroissante des dépenses pour l’agriculture dans les budgets des états a eu pour conséquence des investissements insuffisants dans les infrastructures de production et de transport en zone rurale ainsi que dans les services agricoles (recherche, vulgarisation, financement, etc.). Cet état de fait n’a pas permis de combler les faiblesses héritées de la période coloniale [lire].


La principale explication de cette évolution est que l’agriculture n’a pas été considérée par les décideurs comme un secteur d’avenir et les états ont préféré investir dans d’autres secteurs, quitte à devenir de plus en plus dépendants des importations et de l’aide alimentaire. Ainsi, le premier ministre ougandais, dans son discours d’ouverture de la Première réunion des ministres de l’agriculture des pays de la COMESA (Marché commun de l'Afrique orientale et australe), en novembre 2002, résuma la situation en affirmant que les décideurs pensent qu’il y aura toujours de l’argent «froid» provenant de donateurs en cas d’urgence alimentaire, et qu’il est donc préférable d’investir leur argent «chaud» dans d’autres activités que les donateurs ne sont pas prêts à soutenir.


L’aide internationale au développement agricole en déclin


Si l’on en croit les chiffres publiés par l’OCDE, l’aide internationale au développement octroyée par les 24 états membres du Comité d'aide au développement (CAD) de l’OCDE, après avoir connu un tassement au cours des années 90, s’est remise à augmenter au cours des années 2000, passant d’environ 50 milliards de dollars par an à un peu plus de 120 milliards de dollars courants (voir graphe). Ce montant ne comptabilise  pas l’aide apportée par les nouveaux donateurs (Chine, Pays pétroliers), les ONG et les fondations qui a fortement augmentée au cours de la dernière décennie.


Aide publique au développement des pays du CAD/OCDE

(en milliards de dollars constants 2011)



Source: Rapport 2013 sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement


Il ne tient pas davantage compte de l’argent d’investisseurs privés souvent combiné avec l’aide publique et que certains donateurs essayent de mobiliser non sans risques pour compenser la baisse des budgets d’aide, suite à la crise économique et financière. [lire]


L’aide au développement agricole a, quant à elle, connu une évolution beaucoup plus défavorable. Après un pic à près de 15 milliards de dollars (en dollars constants de 2009) représentant 17% de l’aide publique au développement, elle a diminué de moitié au cours des années 90, pour représenter à peine 3% de l’aide publique au développement, avant de remonter depuis 2005, quand la communauté internationale s’est rendu compte que l’abandon de l’agriculture était en train d’avoir des conséquences dramatiques sur la sécurité alimentaire et qu’il constituait l’une des principales raison de la flambée des prix observée en 2007-2008 [Lire davantage sur les crises alimentaires].


Or, la communauté internationale s’était engagée à soutenir davantage la production alimentaire dès le premier Sommet mondial de l’alimentation tenu à Rome en 1996, un engagement qui n’a malheureusement pas été suivi d’effets véritables. Cette évolution de l’aide à l’agriculture s’est accompagnée d’une inversion du rapport entre l’aide au développement agricole et de l’aide alimentaire, cette dernière devenant plus importante, notamment si l’on considère l’aide apportée par l’Union Européenne.


Il est inutile de mentionner ici le caractère presque ridicule de l’aide octroyée. Il suffit de comparer le pic de 15 milliards par an des années 80 avec les 350 milliards de dollars annuels de subventions à l’agriculture dans les pays de l’OCDE, les plus 10 milliards annuels de subventions à la production d’agrocarburants, ou les milliers de milliards mobilisés depuis 2008 pour contrôler la crise financière internationale.



        Evolution de l’aide au développement agricole

(Moyenne mobile sur cinq ans des engagements, en prix constant 2009)




















Source: OCDE-CAD - Aid to agriculture and rural development, décembre 2011, www.oecd.org/dac/stats/agriculture




Ces chiffres suggèrent que la communauté internationale a négligé l’agriculture bien davantage que ne l’ont fait les pays eux-mêmes. Elle porte donc une lourde responsabilité dans la situation agricole et alimentaire actuelle, sachant que le poids de l’aide apportée par rapport aux ressources dont ils disposent est minime et incomparable avec le poids des dépenses agricoles dans les budgets des états les plus pauvres.


Des services agricoles exsangues et inadaptés

Une des conséquences des faibles ressources consacrées au développement agricole a été une dégradation continue des services agricoles dans les pays non industrialisés.

Les systèmes de vulgarisation ont été démantelés ou privatisés et se concentrent le plus souvent sur les plus gros producteurs, dans les zones les plus productives et sur les produits dont la commercialisation est la plus rentable (souvent, encore, des produits d’exportation traditionnels ou certaines nouvelles exportations). Les petits producteurs et les femmes ne sont, dans leur grande majorité, jamais contactés par ce qui reste des services de vulgarisation [lire sur l’exclusion].

Les systèmes de recherche, démantelés lors de la période de l’ajustement structurel dans les pays pauvres, n’ont été rétablis que dans des domaines très limités. Leur travail porte essentiellement sur des technologies basées sur l’utilisation intense d’intrants et d’équipement, qui ne sont accessibles qu’aux producteurs les plus riches ayant accès à des sources de financement. Peu de recherches sont menées pour développer des technologies nécessitant peu d’emploi d’intrants commerciaux ou pour chercher des innovations technologiques adaptées aux petites exploitations.

Les systèmes de financement de l’agriculture, ont, eux aussi connu des changements drastiques au cours des trois dernières décennies. Le gros du financement de l’agriculture est à présent aux mains de banques surtout privées appliquant des conditions très strictes. Les banques dites «agricoles», quand elles subsistent, ont en général été autorisées à diversifier leurs activités, et le financement de l’agriculture ne représente souvent plus qu’une fraction de moins en moins importante de leurs activités. Les taux d’intérêts sont élevés, des garanties strictes doivent être fournies par les emprunteurs (titres fonciers, propriétés immobilières, sources de revenus autre qu’agricoles, etc.) et les conditions (durée du crédit, période de grâce) souvent inadaptées à l’agriculture. Ces conditions disqualifient les petits producteurs qui n’ont pour la plupart pas de titre foncier, ni d’autres possessions ou d’autres sources de ressources fiables. De plus, les banquiers rechignent à s’engager pour une multitude de petits montants dont la gestion est coûteuse et préfèrent accorder des gros crédits à un petit nombre de gros producteurs. Il y a certes eu des expériences intéressantes de crédit de groupes plus accessibles aux petits producteurs, mais elles n’ont généralement seulement concerné qu’une faible proportion des petits producteurs. Le micro-crédit, quant à lui, du fait de ses caractéristiques (petits montants accordés pour des périodes courtes, taux d’intérêt élevé), n’est pas vraiment adapté aux besoins de l’agriculture et n’a en général financé que peu d’investissements agricoles.

Les services de statistiques agricoles ont eux aussi été soumis à des coupes très fortes au moment de l’ajustement structurel et n’ont guère été renforcés de façon durable depuis, ce qui rend souvent difficile l’obtention des données complètes et fiables nécessaires pour informer les décisions éventuelles en faveur de l’appui au secteur agricole.


Enfin, dans bien des pays, la question foncière constitue l’un des freins principaux à la réduction de l’insécurité alimentaire dans les zones rurales. Les petits producteurs n’ont pas de sécurité foncière et peuvent facilement être dépossédés, ce qui les fait hésiter à investir en vue d’améliorer leur terre. Peu de producteurs disposent de titres fonciers individuels et les droits fonciers traditionnels des communautés rurales ne sont, dans la plupart des cas, pas reconnus ou suffisamment protégés, ce qui crée des possibilités d’accaparement des terres en vue de l’établissement de plantations ou des ranchs gérés par des compagnies multinationales ou par des éléments de l’élite locale, souvent liés au pouvoir politique. Le cadastre n’existe pas où, s’il existe, il ne couvre que les zones urbaines et périurbaines et peut-être quelques périmètres aménagés (périmètres irrigués par exemple). Là aussi, les faibles ressources allouées aux services fonciers ou aux services judiciaires pouvant servir de recours, laissent peu de sécurité et d’opportunités pour les petits producteurs. [lire davantage sur les questions foncières]























Un faible niveau d’organisation des producteurs et des circuits commerciaux


L’abandon de l’agriculture s’est également traduit par un faible appui aux efforts des producteurs pour s’organiser. L’absence d’organisations fortes de producteurs laisse ceux-ci isolés tant dans leurs activités de production que dans celle de commercialisation et de lobbying.


Ceci rend difficile l’accès des producteurs aux intrants et aux équipements productifs, qui autrement auraient pu être achetés groupés, à moindre prix, ou faire l’objet de coopératives de mise en commun, pour les «gros» équipements comme les tracteurs, les moissonneuses ou les facilités de stockage. Cela limite aussi les opportunités de formation et d’information des producteurs sur les technologies améliorées et les marchés.


Du point de vue de la commercialisation, les producteurs individuels se retrouvent en situation de faiblesse face aux acheteurs moins nombreux et qui s’organisent pour limiter la concurrence (spécialisation par produit, quasi monopole et organisation en zones d’influence) et qui savent utiliser leurs faiblesse (besoins d’argent liquide, incapacité de stocker correctement leur production, etc.).


Les circuits commerciaux nationaux, eux-mêmes, sont souvent mal organisés, sauf pour les produits d’exportation traditionnelle, et incapables d’entrer en compétition avec des circuits d’importation efficaces, courts et bénéficiant d’un avantage compétitif dans la mesure où les infrastructures de liaison entre les centres urbains et les ports sont bien meilleures que celle liant les grandes villes avec les zones rurales.


Enfin, sans organisation, impossible pour les producteurs de faire pression sur les pouvoirs publics pour modifier les politiques et programmes de façon à ce qu’ils leur soient plus favorables.


Conclusion


Il apparait clairement de cette énumération que le manque de soutien à l’agriculture a fait que les petits producteurs des pays non-industrialisés se trouvent dans une situation difficile et n’ont que peu d’opportunités pour améliorer leur conditions de vie et leur sécurité alimentaire, du fait du peu d’efforts faits par les Etats et leurs partenaires, pour leur donner des atouts supplémentaires.


Les raisons politiques de cette situation sont analysée dans «Le paradoxe des politiques agricoles et alimentaires».



Materne Maetz

(septembre 2012 - actualisé en juillet 2013)



Lire aussi :


  1. -La privatisation de l’aide au développement : intégrer davantage l’agriculture au marché mondial, 2018

 

Dernière actualisation: novembre 2018

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