Les causes de la faim :
L’héritage de la colonisation
L’héritage de la colonisation
Pour certains d’entre nous il pourrait sembler abusif de se reporter à l’héritage de la colonisation comme cause de la faim aujourd’hui, peut-être parce que certains gouvernements de pays anciennement colonisés ont trop souvent invoqué la colonisation comme alibi de leur inaction ou comme raison de leur incapacité à véritablement développer leur économie et résoudre les questions sociales auxquelles ils ont à faire face.
Cependant, force est de constater que nous sommes tous héritiers de notre histoire et les pays anciennement colonisés ne font pas exception. Ils ont hérité d’un certain nombre de caractéristiques qui découlent directement de leur passé colonial et qui les rend moins aptes à assurer un développement harmonieux synonyme d’éradication de la faim et de la pauvreté. Nous allons les passer en revue et voir comment ces caractéristiques réduisent les opportunités qu’ont les petits producteurs agricoles, les plus frappés par la sous-alimentation, d’améliorer leurs conditions de vie.
La période coloniale a été le moment privilégié de la promotion des produits tropicaux d’exportation. Les puissances coloniales ont établi un système dont le but était de fournir des produits tropicaux pour la consommation en métropole (coton, café, cacao, thé, sucre, épices, jute, caoutchouc, etc.). Tous les efforts étaient tournés vers l’augmentation de la production de ces denrées, au détriment de la production vivrière qui ne bénéficiait d’aucun soutien. Cela a entrainé une forte dépendance des producteurs (et des pays après l’indépendance) envers un nombre très limité de produits dont les marchés avaient un potentiel de croissance limité et qui étaient sous le contrôle de compagnies basées dans les anciennes métropoles.
De plus, ce système ne laissait pratiquement aucune place à la transformation locale des produits, une activité qui aurait pu créer des emplois et jeter les bases d’une industrialisation de ce qui était alors des colonies. Ce système subsiste d’ailleurs encore très largement aujourd’hui où le système douanier encourage l’importation dans les pays industrialisés des matières premières et pénalise celle de produits transformés qui sont soumis à de très fortes taxes d’importation.
Ainsi, aujourd’hui encore, la commercialisation et la transformation des produits tropicaux restent très largement entre les mains de quelques compagnies multinationales souvent originaires des ex-puissances coloniales (exemple: la CFDT/Dagris/Geocoton, Louis Dreyfus et Cargill pour le coton ; Barry Callebaut et ADM pour le cacao ; Nestlé, Phillip Morris/Kraft et Sara Lee pour le café ; Chiquita, Dole et Del Monte pour les bananes), ou des compagnies nationales à forte participation étrangère voire qui se trouvent sous contrôle étranger. Le cas de l’industrie du chocolat est très éloquent à cet égard, où parmi les principales compagnies l’on ne trouve qu’une seule originaire d’un pays anciennement colonisé et producteur de cacao (Garoto pour le Brésil), alors que toutes les autres sont originaires de pays industrialisés tels la Suisse, la Belgique, la France, l’Allemagne, le Royaume Uni ou les Etats-Unis (voir diagramme).
Les grandes compagnies productrices de chocolat industriel (2003)
Source: CNUCED
Enfin, la domination du marché par ces compagnies s’est fait au détriment des producteurs, dans la mesure où des monopoles ou des cartels ont permis à ces compagnies de capter une rente importante.
La promotion de la culture des produits tropicaux est allé de pair, dans bien des pays, avec le développement de plantations et la confiscation des terres aux utilisateurs antérieurs. Cette politique, souvent accompagnée de la saisie des meilleures terres par des colons originaires des métropoles (notamment mais pas exclusivement en Afrique du Nord, Orientale et Australe) ou des compagnies multinationales (Amérique Centrale, Asie), a spolié les communautés locales de leur terre, les jetant dans la marginalisation en ne leur laissant que le choix entre la culture sur des terres marginales pauvres ou le statut d’ouvrier agricole. Au moment de l’indépendance, ces terres n’ont dans leur majorité pas été restituées à leurs propriétaires ou utilisateurs antérieurs. Beaucoup restèrent aux mains de ceux qui les avaient prises pendant la période coloniale; d’autres donnèrent naissance à des grandes propriétés privées appartenant aux élites locales; d’autres enfin furent transformées en entreprises publiques qui, depuis, ont en grande partie été privatisées.
L’accent mis sur les cultures d’exportation a aussi marqué de son empreinte toute l’économie, entrainant notamment la mise en place d’infrastructures de communication et de commerce tournées vers l’extérieur. Ceci a abouti au développement de villes portuaires qui, dans bien des cas, sont devenues les capitales économiques des pays concernées (la période post indépendance a vu beaucoup de pays tenter de créer des capitales politiques plus centrales, tel Brasilia au Brésil, Dodoma en Tanzanie, Yamoussoukro en Côte d’Ivoire ou Abuja au Nigeria). Le système routier, souvent rudimentaire, était limité aux routes reliant au port les principales zones de production de produits tropicaux d’exportation proches de la côte. Le résultat aujourd’hui, c’est qu’il est plus facile et moins couteux d’approvisionner les grandes villes côtières à partir du marché mondial qu’à partir des zones de production vivrière situées à l’«intérieur» du pays, contribuant souvent par la même à mettre les producteurs locaux en situation ne non compétitivité avec les produits d’importation, comme par exemple dans le cas de la production de riz en Afrique de l’Ouest.
Ces quelques caractéristiques (spécialisation, question foncière et difficulté à entrer en compétition avec les produits importés) sont autant de contraintes au développement des zones rurales des pays non-industrialisés où se trouve la majeur partie des personnes sous-alimentées.
Mais il reste à mentionner une autre conséquence essentielle de la période coloniale: c’est l’héritage politique. Il s’agit de la mise en place de régimes non démocratiques au moment des indépendances. En effet, dans la plupart des pays où la décolonisation s’est faite pacifiquement, le colonisateur s’est arrangé pour remettre le pouvoir à une élite, souvent militaire, bureaucratique ou parfois économique, souvent proche des grands propriétaires fonciers et presque toujours autoritaires, voire dictatoriaux. Ces pouvoirs ont souvent financé leur administration d’une taxe sur les produits d’exportation et ont mis en place des politiques défavorables au monde rural (Lire davantage...). Ils se sont aussi parfois alliés aux compagnies étrangères qui les ont financés officiellement ou par la corruption, et les ont utilisés pour contrôler les mouvements revendicatifs de leurs employés locaux ou de leurs fournisseurs en matière première agricole. En échange de cet appui financier, les gouvernements ont assuré une certaine stabilité politique. Le cas d’école est la collusion qui existait entre certains dictateurs d’Amérique Centrale et la compagnie United Fruit, principal producteur de bananes dans la région.
(septembre 2012)
Dernière actualisation: septembre 2012
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