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27 juillet 2015



Forces et faiblesses de l’accord atteint lors de la Conférence sur le financement du développement d’Addis Abeba.


Lors de la troisième Conférence internationale sur le financement du développement, tenue à Addis Abeba, en Ethiopie, du 13 au 16 juillet dernier, les 193 pays participants se sont mis d’accord sur plusieurs mesures destinées à améliorer la façon de laquelle le développement est financé. Parmi les points d’accord, on trouve des mesures visant à améliorer la collection des taxes nationales et à lutter contre l’évasion fiscale et les flux financiers illégaux. Un consensus à également été atteint sur le besoin d’octroyer de l’aide publique au développement, particulièrement aux pays les moins avancés. Les participants à la conférence plaident également en faveur de l’alignement de l’investissement privé sur l’objectif de développement durable au travers d’un environnement de politique favorable et des incitations. Plusieurs initiatives nouvelles ont été lancées à Addis, notamment dans les domaines de la technologie, de l’infrastructure, de la santé, les petites entreprises et de la taxation.





Une décision importante pour le combat contre la faim fut l’adoption par les pays d’un nouveau pacte social en faveur des groupes de personnes pauvres et vulnérables. Ce pacte affirme qu’il est nécessaire de mettre en place des systèmes et des mesures de protection sociale pour tous. C’est à probablement la première fois qu’une réunion internationale de haut-niveau prend acte de ce que le développement économique à lui seul n’est pas suffisant pour combattre la faim et la pauvreté, mais que des programmes de protection sociale sont indispensables pour que tous puissent profiter des bienfaits du développement, dans la mesure où la protection sociale est une façon de redistribuer la richesse créée par la croissance économique et qu’elle contribue également à augmenter les capacités et les opportunités des personnes pauvres et vulnérables de prendre part aux activités économiques.


Ce changement de philosophie est apprécié à lafaimexpliquee.org où nous avons plaidé en faveur de ce type d’approche. [lire]


Il est aussi satisfaisant de voir pour la première fois, les agences romaines, la FAO, le FIDA et le PAM, dans le document qu’elles ont présenté conjointement - « Atteindre l’objectif Faim Zéro - le rôle critique des investissements dans la protection sociale et l’agriculture » (Achieving Zero Hunger - The critical role of investments in social protection and agriculture, disponible en anglais seulement) - ont ajouté à leurs estimations des besoins d’investissement pour développer l’agriculture, une estimation des investissements requis dans le domaine de la protection sociale afin d’en finir avec la faim, la malnutrition et la pauvreté. Du coup, ces agences adoptent « une nouvelle approche qui combine l’investissement public dans la protection sociale avec les efforts tant publics que privés pour amener les niveaux d’investissement dans les secteurs productifs - principalement dans les zones rurales et particulièrement dans l’agriculture - à des niveaux bien supérieurs à ce qui serait envisagé dans un scénario ‘habituel’ ». Le montant estimé est « un total moyen de financement annuel de 267 milliards de dollars » comprenant « 151 milliards de dollars pour des investissements supplémentaires dans les secteurs productifs en faveur des plus pauvres - 105 milliards pour le développement rural et agricole, et 46 milliards pour les zones urbaines ». Pour ce qui est des programmes de protection sociale, « un investissement annuel de 116 milliards de dollars dont 75 milliards iront aux zones rurales où vivent le plus grand nombre de pauvres, et 41 milliards pour les zones urbaines ». Les efforts d’amélioration de la collection des taxes et de combat contre l’évasion fiscale déjà mentionnés ci-dessus, auront un rôle central dans la levée des ressources requises pour cet entreprise.


La tendance est donc positive, mais comme c’est souvent le cas dans ce type d’accord, il présente aussi des faiblesses et, derrière les apparences très lisses et les déclarations des délégués, il reste beaucoup d’aspects qui laisse apparaitre des fissures dans la belle construction :


  1. L’aide publique au développement, bien qu’elle ait atteint un niveau record en 2014 (134 milliards de dollars) est encore bien en-dessous des besoins, et la plupart des pays de l’OCDE ne respectent pas leur engagement de consacrer 0,7% de leur PIB à l’aide au développement. De plus, il faut se rappeler qu’une part importante de ce qui est comptabilisé comme aide est en fait constituée de dépenses militaires.

  2. Aucun accord ne s’est fait sur les modalités concrètes de lutte contre la fraude fiscale internationale.

  3. Un manque de clarté sur le financement relatif au changement climatique : il est compris dans le financement du développement, mais les montants spécifiques et les modalités n’ont pas été précisées, laissant ce travail à la charge de la Conférence Paris Climat 2015 qui se tiendra plus tard cette année.

  4. Des doutes sur les espoirs mis dans le rôle du secteur privé - Pourquoi le secteur privé changerait-il sa façon de faire des investissements pour les rendre plus favorables aux pauvres que ce qu’ils n’ont été jusqu’à présent ? Les chiffres montrent que, dans le passé récent, l’investissement privé a certes produit de la croissance, mais il a également contribué à l’accroissement des disparités de revenus partout dans le monde.


La déclaration du Forum de la société civile organisé à Addis Abeba critique l’absence de décisions concrètes orientées vers l’action. Elle regrette l’opposition forte des pays de l’OCDE à l’idée de création d’une organisation internationale chargée du contrôle fiscal sous l’égide des Nations Unies. Cette organisation pourrait lutter contre l’évasion fiscale des entreprises internationales. Elle regrette également le manque d’attention portée au travail décent dans le texte sur les investissements privés, l’absence de référence à une protection sociale minimale qui « assurerait un accès universel aux services publics et chargée de la redistribution » et aux droits humains dans le domaine des questions relatives au genre. Le Forum de la société civile réitère sa « préoccupation quant au soutien inconditionnel apporté aux partenariats public-privé et aux instrument de financement combinant les financements publics et privés » [lire sur le blending]


Comme souvent, malheureusement, et malgré des signes encourageants, il faut reconnaitre que la Conférence d’Addis n’a produit qu’un accord assez faible et incomplet qui laisse pendantes plusieurs questions importantes et n’affirme pas un ferme engagement en vue de la mise en oeuvre d’un plan d’action convaincant pour l’éradication de la pauvreté, la faim et la malnutrition, et qui puisse mener à un développement véritablement durable. Les membres de la « Communauté internationale » ont, comme d’habitude, été incapables d’arriver à un accord orienté vers l’action qui irait au-delà de leurs étroits intérêts nationaux afin de s’attaquer aux problèmes mondiaux auquel l’humanité doit faire face [lire]. Voilà qui n’est guère encourageant dans la perspective de la Conférence Paris Climat 2015.


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Lectures complémentaires :


  1. -Nations Unies, Les pays parviennent à un accord historique pour financer le nouveau Programme de développement durable, Communiqué de presse, 2015

  2. -DECLARATION FROM THE ADDIS ABABA CIVIL SOCIETY FORUM ON FINANCING FOR DEVELOPMENT (en anglais uniquement)

  3. -Roger, S., A Addis Abeba, l’ONU parvient à un accord sur le financement du développement, Le Monde 2015


Articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org et liés à ce sujet :


  1. -Allocation monétaire pour éliminer la faim, 2015

  2. -L’équité intergénérationnelle est possible : à condition de changer profondément les principes qui gouvernent le monde, 2015

  3. -Le «Blending»: formule magique pour mobiliser plus de ressources pour le développement ou subvention à l’endettement?, 2013

  4. -L’insuffisance de l’appui au développement agricole, 2013

  5. -Sept principes pour en finir durablement avec la faim, 2013

 

Dernière actualisation:    juillet 2015

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