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30 août 2013


L’incroyable capacité de récupération des multinationales


Si l’on se penche sur l’histoire récente de l’alimentation et l’agriculture dans le monde, on ne peut que s’extasier -- et s’alarmer - de l’extraordinaire capacité de récupération des multinationales en particulier et du capitalisme - de l’argent et de la recherche du profit - de façon plus générale.


Si l’on considère les idées nouvelles apparues au cours des 3 ou 4 dernières décennies inventées pour remettre en cause le système agroalimentaire mondial, on ne peut que constater que, dominé par les multinationales et la recherche du profit, ce système a été capable de les récupérer à son profit et les intégrer progressivement pour en faire de nouveaux véhicules d’accumulation de profit. En les récupérant, le système a également souvent réussi plus ou moins subtilement à en dénaturer et dévoyer le sens, et à en faire des arguments de marketing pour redorer le blason de certaines grandes entreprises devant des consommateurs qui sont certes de plus en plus conscients et parfois informés, mais le plus souvent trompés par le matraquage publicitaire et le pullulement d’études plus ou moins indépendantes.





L’agriculture biologique


L’agriculture biologique est un premier exemple qui illustre très bien cette capacité. L’idée initiale de l’agriculture biologique était celle d’une agriculture fondée sur des principes agronomiques, écologiques, sociaux et politiques très contraignants où l’on parlait de solidarité, de prix équitable, de fermes de taille modeste, menant une production diversifiée, vendant sur des marchés de proximité. Or qu’en est-il aujourd’hui? D’après Philippe Baqué, (voir son livre, La bio entre business et projet de société, Contre-feux, Agone, 2012, 428 p.) sur les 40 millions d’ha certifiés bio, les 2/3 sont des pâturages ou appartiennent à des grandes exploitations de monoculture de soja, huile de palme, blé ou quinoa. Une agriculture biologique s’est développée au Sud, en Amérique Latine, en Asie et en Afrique au détriment des producteurs locaux qui sont pris dans des contrats de production rigoureux, s’ils ne sont pas chassés de leur terre. Cette agriculture bioindustrielle y produit essentiellement pour l’exportation vers les pays du Nord. [lire nos nouvelles du 14 décembre 2012). Au Nord, se mettent aussi en place des batteries bio pour la production de poulets bio comme dans le Sud-Ouest de la France et des plantations de fraises bio en Espagne - offrant des conditions de travail et de vie inacceptables pour leurs ouvrières souvent venues du Sud -, le tout destiné à être vendu dans des supermarchés (lire le dossier dans la revue Silence).


Le processus est plutôt simple: face à des consommateurs de plus en plus conscients des risques que présentent les produits de l’agriculture conventionnelle chimique, qui cherchent des produits «bio» réputés plus sains, le bio-industriel propose des produits certifiés «bio» en grande quantité. Certains consommateurs se tournent vers le bio parce qu’ils sont convaincus que l’agriculture biologique est plus respectueuses de l’environnement. Peu s’intéressent vraiment à la dimension sociale du bio et ne sont donc pas très regardant sur les conditions sociales de production des aliments qu’ils achètent. L’agro-industrie et la grande distribution se sont engouffrées dans cette brèche car elles ont compris que le «bio» était un moyen de toucher des clients plus aisés que la moyenne prêts à payer plus cher leur alimentation. Le «bio» est donc un moyen pour eux à la fois de faire des profits et de se donner une meilleure image, plus saine, plus verte...


L’environnement


L’environnement est un autre thème de prédilection des multinationales, celles-mêmes qui contribuent à sa dégradation par leurs activités. Comme nous le signalions dans nos nouvelles du 9 juin dernier, certaines multinationales savent utiliser l’environnement comme argument pour se donner une image positive. Syngenta, un des principaux semenciers et producteurs de produits chimiques pour l’agriculture se targue de défendre la biodiversité; Monsanto, qu’il n’est plus nécessaire de présenter, s’affiche comme ardent défenseur des ressources naturelles.


Certains financiers se sont engagés comme intermédiaires dans le marché du carbone, utilisant notamment le REDD, l’initiative des Nations Unies pour la réduction des émissions provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts lancée en 2008, pour se faire des profits sur le dos des communautés rurales et saisir l’occasion de prendre une option sur de larges étendues de forêts qui risquent de prendre de la valeur à l’avenir [lire].


En avril 2013, une trentaine d’entreprises multinationales (parmi lesquelles Mars, Nestlé, Unilever, Ben&Jerry’s et Starbucks), ont même eu l’impudence de demander au gouvernement des Etats-Unis de prendre des mesures pour lutter contre le réchauffement climatique, alors que bien d’entre elles sont connues pour être parmi les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre et pour avoir financé des lobbies chargés d’empêcher toute réforme de la politique environnementale dans la mesure où elle serait contraire à leurs intérêts principaux.





Le commerce équitable


La projection récente d’un documentaire sur le «Business du commerce équitable» sur Arte au début du mois d’août, en mettant le doigt sur le dévoiement qui a accompagné l’expansion récente du commerce équitable, montre comment les grandes chaines de distribution ont su s’allier avec certains opérateurs peu regardants du commerce équitable pour élargir leur gamme de produits vers les produits dits «équitables» ou «éthiques» (on joue sur les mots pour mieux tromper le consommateur) en faisant des marges colossales tout en se donnant une image éthique. Par effet de retour, la croissance des activités des opérateurs impliqués dans ces arrangements ne leur permet plus de contrôler si les critères du commerce équitable sont véritablement respectés chez leur partenaires du Sud et les oblige parfois à «oublier» certains critères de base du commerce équitable pour s’approvisionner auprès de grandes exploitations, voire auprès de certaines multinationales qui en profitent pour se donner une belle image (voir l’exemple d’Unilever au Kenya qui fait l’objet d’une partie du documentaire diffusé sur Arte).


S’il faut dénoncer ces violations des principes du commerce équitable et de son esprit, on doit aussi regretter que ces révélations ne manqueront pas d’avoir un effet négatif sur ceux des opérateurs du commerce équitable qui favorisent une approche intégrée par des filières équitables depuis les coopératives de petits producteurs jusqu’aux boutiques équitables de distribution (en France le meilleur exemple en est Artisans du Monde) et qui se trouvent en grande difficulté du fait d’une part de la crise économique et d’autre part de la concurrence des prétendus «produits équitables» vendus dans les grandes surfaces.


Lutter contre la faim et nourrir la planète


Pour terminer, il faut mentionner l’extraordinaire offensive des multinationales, notamment en Afrique, qui cherchent à mettre à profit les conséquences et la prise de conscience qui ont fait suite à la crise alimentaire commencée en 2007, ainsi que l’incapacité (et/ou l’absence de volonté réelle d’agir) des Etats. Nous en avons déjà parlé à plusieurs reprises dans nos nouvelles sur l’Investissement. Un grand boulevard semble s’ouvrir aux grands investisseurs, surtout en Afrique, où, sous prétexte de résoudre le problème de la faim et assurer l’approvisionnement de l’Humanité en alimentation, des dizaines de millions de paysans se trouveront marginalisés, condamnés à devenir ouvriers agricoles ou à venir gonfler les bataillons de pauvres vivant dans les bidonvilles des grandes métropoles du Sud, le tout sous les applaudissement des leaders de ce monde. Ces investisseurs y voient une occasion pour se donner une image positive tout en engrangeant des profits immédiats ou futurs par voie de spéculation sur la terre.






Devant ce constat implacable, on pourrait être tenté de jeter l’éponge et baisser les bras en se disant qu’il n’y a rien à faire. Mais ce serait là un renoncement inacceptable. Dans cette situation intolérable, il faut puiser l’énergie et la motivation pour sans cesse informer le public sur ce qui se déroule devant nous derrière le paravent des bonnes intentions et des beaux discours qu’affichent ceux qui sont en train de piller la planète et d’exploiter ses populations les plus défavorisées.

 

Dernière actualisation:    août 2013

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