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2 février 2014



Le monde de demain:  l’inquiétante vision du Panel de haut niveau des éminentes personnalités sur l’Agenda pour le développement post-2015


Le Panel de haut niveau des éminentes personnalités sur l’Agenda pour le développement post-2015, convoqué par le Secrétaire général des Nations Unies en juillet 2012, a rendu public en septembre 2013 son rapport «Pour un nouveau partenariat mondial vers l’éradication de la pauvreté et la transformation des économie par le biais du développement durable».


Le panel, co-présidé par le Président de l’Indonésie, la présidente du Libéra et le premier ministre britannique, et qui comprend notamment comme membre le PDG d’Unilever et un ancien Directeur général de l’AFD, nous en dit long sur le monde qu’on nous prépare.





Derrière les grandes déclarations du Panel sur «[sa] vision et la responsabilité qui [lui] est dévolue, [qui] est de mettre fin à l’extrême pauvreté sous toutes ses formes dans le contexte du développement durable et de mettre en place les éléments constitutifs d’une prospérité durable pour tous», le groupe nous donne sa vision du monde de demain.


Le rapport dit tout ce qu’il faut pour être politiquement correct aujourd’hui:


  1. Il faut éliminer la pauvreté extrême d’ici 2030 et aller au-delà des objectifs du millénaire du développement en atteignant les plus pauvres et les exclus

  2. Il faut développer une gouvernance et des institutions qui garantissent l’Etat de droit et la liberté d’expression

  3. Il faut mieux intégrer les trois dimensions (économique, sociale et environnementale) du développement durable et remettre en cause les modes de production et de consommation non durables.


Voilà qui peut difficilement être contesté!


Pour cela, le Panel propose ce qu’il appelle des grandes réorientations transformatrices:


  1. Ne laisser personne de côté

  2. Placer le développement durable au cœur des débats

  3. Transformer les économies pour créer des emplois et favoriser un mode de croissance inclusif

  4. Construire la paix et créer des institutions efficaces, transparentes et responsables pour tous

  5. Créer un nouveau partenariat mondial qui doit reposer sur «une compréhension commune de notre humanité partagée, en soutenant le respect mutuel et le partage des avantages dans un monde de plus en plus petit». Les parties prenantes identifiées pour ce partenariat comprennent les gouvernements (centraux et locaux), les personnes vivant dans la pauvreté, les handicapés, les femmes, la société civile ainsi que les communautés autochtones ou locales, les groupes traditionnellement marginalisés, les institutions multilatérales, le milieu des affaires, le milieu universitaire et le mécénat privé.


C’est le moment où le rapport commence à dévoiler son projet. On voit se dessiner derrière le partenariat proposé un monde où les grands acteurs sont les Etats (considérés bien entendus comme bienveillants envers leur population) et les organisations multilatérales (outils de Etats), le secteur privé (les mondes des affaires et des fondations), la société civile (essentiellement les ONG et associations à qui est donné le rôle de conscience et de contrôle des pouvoirs publics - où sont les processus démocratiques représentatifs et les mouvements politiques?), le monde universitaire et puis, enfin, les individus. Point de mention du secteur de l’économie sociale et solidaire, des groupements économiques et autres coopératives pourtant célébrées en 2012; pas davantage de mention des organisations politiques et de façon plus générale de l’action politique. Les individus sont seuls, laissés à eux-mêmes, avec la possibilité de voir les ONG et associations éventuellement défendre leurs intérêts face aux gouvernants. La «démocratie» proposée repose sur Internet, les plus favorisés pouvant prendre part au débat par les réseaux sociaux et le collaborat (crowdsourcing) et faire connaitre ainsi aux autres «partenaires» quels sont leurs «besoins». L’organisation économique est également très révélatrice: une nébuleuse de petites entreprises individuelles ou de PME, et des grands groupes, véritables chefs d’orchestre, qui permettent «à̀ toutes les populations de rejoindre l’économie moderne» et de «faire accéder les micro-entreprises et les petits entrepreneurs à des marchés plus importants», et qui s’occupent de «répondre aux besoins des consommateurs défavorisés».


La population se retrouve donc bien «au cœur [du] nouveau partenariat mondial» en tant que producteurs et consommateurs individuels livrés au marché, mais non en tant que citoyens, la dimension politique étant entièrement occultée par la dimension économique et masquée derrière le chaste paravent de la gouvernance.


Ce nouveau monde et ce partenariat peuvent déjà être vus à l’oeuvre dans le cadre de la  Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition dont nous avons déjà eu l’occasion de présenter les premiers effets néfastes, et son principe a été repris la semaine dernière par les Etats africains réunis à Addis Ababa lors du XXIIème sommet de l’Union Africaine, bien que dans ce cas, les parlementaires et les organisations paysannes sont clairement mentionnés comme membres actifs du processus de dialogue et de participation, ce qui permet de laisser une place au politique.


Et qui assurera le nerf de la guerre dans ce nouveau monde qu’on nous prépare? Qui financera le développement? L’aide y sera en diminution et se contentera d’un rôle de soutien au secteur privé qui sera le principal financier des investissements dans les pays pauvres: une approche déjà mise en oeuvre dans le blending adopté par l’Union européenne. Le rapport précise: «la plus grande source de financement à long terme sera le capital privé, issu des grands fonds de pension, des fonds communs de placement, des fonds souverains, des entreprises privées, des banques de développement et autres investisseurs». Le rapport poursuit: «L’argent existe (l’épargne mondiale devrait dépasser 18000 milliards de dollars cette année) et les promoteurs de projets durables cherchent des capitaux. [...] Ces flux de capitaux privés augmenteront et seront moins enclins à de brusques fluctuations si le système financier mondial est stable et bien régulé», sans pour autant faire une quelconque proposition sur la réglementation que cela nécessiterait. Il ne viendrait pas davantage à l’esprit des auteurs du rapport, qui pourtant se font les avocats de la lutte contre l’évasion fiscale, de taxer cette masse d’épargne mondiale et d’utiliser une partie de cette manne pour assurer des investissements qui ne jetteraient pas les pays pauvres et leurs ressources dans les mains des multinationales et des fonds de pensions domiciliés dans les pays riches! Le rapport adopte tellement le point de vue des pays riches qu’il n’hésite pas à prendre comme comme symbole pour la lutte contre la faim une miche de pain!


Pour ce qui est de l’agriculture, aucune innovation n’est avancée, contrairement à ce qui est préconisé pour les autres secteurs: l’avenir de l’agriculture se trouve, d’après le rapport


  1. dans l’irrigation - alors que le monde sera bientôt en situation de pénurie d’eau et que l’irrigation, de plus en plus chère à développer, a été source d’inégalité et d’exclusion dans le passé [lire La stratégie du «tout pour l’irrigation» a abouti à un système inégalitaire fragile et gaspilleur] -

  2. et dans les engrais et les pesticides - malgré l’engagement pris évoluer vers un développement plus durable.


Rien n’est dit de ce qui devrait arriver aux subventions agricoles - sujet qui fâche, mais qui aussi est source de concurrence déloyale et de pratiques non durables - et en particulier aux subventions sur les agrocarburants dont le développement est cependant mentionné brièvement comme source supplémentaire de demande agricole.


La machine est donc en route pour inscrire dans les textes et généraliser une nouvelle approche du développement dont on commence à voir la mise en oeuvre un peu partout dans le monde. Le rapport de force a changé à bord du bateau ivre du développement et il est prêt à prendre un nouveau cap.


Est-il encore temps de l’arrêter et d’avoir un Agenda pour le Développement post-2015 qui soit plus favorable aux 3,5 milliards de personnes les plus pauvres du monde et ne soit pas simplement la pérennisation du processus qui a permis à 1% de la population mondiale de prendre possession de près de la moitié des richesses du monde?


Rien n’est moins sûr.



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N’oubliez pas de signer la pétition: La faim, crime contre l’humanité

 

Dernière actualisation:    février 2014

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