Nouvelles
31 janvier 2014
Développement de l’agriculture en Afrique, élimination de la faim et de la pauvreté: que peut-on attendre du sommet de l’Union Africaine?
Le XXIIème sommet de l’Union Africaine se tient du 21 au 31 janvier dans la capitale éthiopienne Addis Abeba. Le thème principal de ce sommet est l’agriculture et la sécurité alimentaire. Le sommet a été l’occasion de proclamer « 2014, Année de l'agriculture et de la sécurité alimentaire » - qui tombe la même année que l’Année internationale de l’agriculture familiale - et de commémorer le dixième anniversaire de l'adoption du Programme détaillé pour le développement de l'agriculture en Afrique (PDDAA), dont le bilan reste cependant assez mitigé comme le montrait le rapport publié en 2013 par l’ONG internationale ONE.
La note conceptuelle de l’Année de l’agriculture et de la sécurité alimentaire, intitulée «Transformer l’agriculture africaine en vue d’une prospérité partagée et un revenu amélioré, en s’appuyant sur les opportunités de croissance inclusive et de développement durable» (“Transforming Africa’s Agriculture for Shared Prosperity and Improved Livelihoods, through Harnessing Opportunities for Inclusive Growth and Sustainable Development ”) se félicite du fort taux de croissance de l’agriculture africaine (+4% en moyenne depuis 2003 - soit nettement mieux qu’au cours des décennies précédentes, mais en retrait de l’objectif du PDDAA qui était de 6% par an). Elle se propose de poursuivre cette tendance positive en maintenant l’agriculture et la sécurité alimentaire comme objectifs prioritaires pour les années à venir.
Très succincte, la note ne propose guère d’analyse des ressors de la croissance constatée, ce qui aurait probablement permis de mieux comprendre si celle-ci va dans le sens d’une plus grande sécurité alimentaire et d’un recul de la faim chronique. Elle se contente de souligner les avancées faites dans le domaine des partenariats d’investissement dans le domaine de l’agriculture et de la sécurité alimentaire sans pour autant éclairer le lecteur sur la place des communautés rurales, et notamment des producteurs les plus pauvres, femmes et jeunes, dans ces partenariats. Elle se félicite aussi du dialogue instauré au niveau national sur les politiques et programmes agricoles et alimentaires qui a abouti à la signature de nombreux compacts et programmes nationaux dans le cadre du PDDAA. On se souviendra cependant que de récentes analyses montrent que les pratiques adoptées par la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition, qui se veut inscrite dans le cadre du PDDAA et est soutenue par de multiples gouvernements africains, vont à l’encontre de ce dialogue et de cette participation - au travers de conditions imposées notamment par les grands partenaires privés soutenus par les pays industrialisés et les institutions financières internationales -, et se traduisent souvent par des pratiques exclusives envers les populations cibles mises en avant par la note.
Les orientations pour l’avenir, proposées par la note, peuvent se résumer en quatre points principaux:
•La poursuite de processus élargis de consultation et de dialogue sur l’agriculture, l’alimentation et la nutrition, avec la participation de toutes les parties prenantes (parlementaires, groupes de femmes et de jeunes, organisations paysannes, organisations de la société civile, secteur privé, etc.)
•L’échange d’expérience entre les pays membre de l’Union
•Le dialogue politique de haut niveau pour obtenir l’engagement des chef d’Etats
•Le dialogue avec les partenaires stratégiques du continent.
Elles devraient, selon la note, permettre d’atteindre les objectifs suivant:
•Une plus grande prise de conscience et un plus fort engagement de la population
•De meilleures plateformes pour des actions multisectorielles au niveau national et régional
•Un renouvellement de l’engagement des dirigeants africains par l’adoption d’une déclaration se proposant de réaliser une série d’objectifs mesurables
•Un renouvellement de l’engagement des partenaires.
Afin de préciser quelque peu ces orientations et des objectifs qui restent très généraux, la note détaille un peu plus une vision de la transformation qui devra s’opérer dans l’agriculture africaine:
•Une plus grande intégration de l’agriculture dans l’économie par de fortes relations avec les autres secteurs et le développement de chaines de valeur
•La mise au centre du dispositif des petits agriculteurs, et notamment des femmes et des jeunes
•Les principales opportunités identifiées pour l’agriculture africaine: le développement des chaines de valeurs et de l’entreprenariat agricole et alimentaire, les possibilités offertes par le développement des technologies de l’information et de la communication, et les ressources naturelles (terre, eau, ressources humaines, notamment).
Cette transformation devra reposer, selon la note, sur une augmentation de la productivité et de la valeur ajoutée, des marchés nationaux et régionaux plus fonctionnels, des investissements privés et publics accrus et une résilience plus forte face aux risques.
A la lecture, les non-dits de la note conceptuelle permettent de déduire que l’Union africaine et ses membres sont loin d’être tombés d’accord sur la meilleure façon de développer l’agriculture africaine et d’avoir choisi entre les deux discours sur le développement agricole en Afrique, à savoir:
•Une approche reposant essentiellement sur la promotion de l’agriculture familiale
•Une approche s’appuyant sur les opérateurs privés et cherchant à mobiliser des investissements effectués par des multinationales - sous forme ou non de joint ventures ou de partenariats public-privé -, des banques ou des fonds d’investissement étrangers.
D’aucun estiment que les deux approches peuvent aller de front et peuvent même se compléter, les investissements privés permettant de mettre en place des filières modernes et des services de communication et de finances efficaces. Cela pourrait être vrai à condition que les investissements privés ne se traduisaient pas par l’acquisition de dizaines de millions d’hectares de terre au détriment des communautés locales, n’allaient pas de pair avec l’imposition de politiques (notamment sur les semences) défavorable aux petits producteurs et ne mettaient pas en concurrence sur les marchés locaux des grandes unités de production bénéficiant de technologies et de moyens avancés avec des petits producteurs utilisant des technologies traditionnelles.
On aurait aimé lire dans cette note conceptuelle qu’il fallait mettre en place des règles assurant la protection des intérêts des communautés rurales (protection de leur droit à la terre, réglementation des contrats liants les producteurs et les commerçants/industriels dans les filières, etc.), d’encourager l’organisation des petits producteurs en groupements et de donner la priorité à la recherche sur des techniques de production accessibles aux producteurs pauvres (lire davantage sur les sept principes pour en finir avec la faim).
C’est aujourd’hui même que la conférence des Chefs d’Etat prendra acte des résultats des divers travaux menés depuis le 21 janvier et que les décisions et la déclaration du Sommet seront adoptées.
Il sera intéressant de voir si les débats au cours des dix derniers jours auront aidé à clarifier les options choisies par les Etats africains pour développer leur agriculture.
-------------------------------
N’oubliez pas de signer la pétition: La faim, crime contre l’humanité
Dernière actualisation: janvier 2014
Pour vos commentaires et réactions: lafaimexpl@gmail.com