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1 avril 2015


Les raisons pour lesquelles la Révolution verte n’est toujours pas une option pour l’Afrique


Deux chercheurs, l’un provenant de l’IFPRI et l’autre de l’Université de Cornell ont analysé les raisons pour lesquelles l’approche adoptée dans le cadre de la Révolution verte, fondée sur la culture de céréales en irrigué utilisant des semences hybrides à haut rendement et des intrants agrochimiques (engrais, pesticides, herbicides, fongicides, etc…) ne marche pas en Afrique.


Autrefois, l’échec des tentatives de répliquer en Afrique l’adoption de la technologie de la Révolution verte par l’Asie a généralement été expliqué par :


  1. Le coût élevé de la main d’oeuvre dans des pays faiblement peuplés

  2. La persistence dans ces pays de grandes zones peu peuplées et dotées de terres abondantes et

  3. Des caractéristiques agroécologiques spécifiques expliquant l’importance des cultures non céréalières (racines et tubercules, plantations tournées vers l’exportation).





Trois facteurs supplémentaires peuvent ici être ajoutés à ces explications les plus fréquentes :


  1. Les modes traditionnels de consommation alimentaire qui donnent, dans de grandes partie du continent, une importance primordiale à la consommation de racines et de tubercules (par exemple l’igname, le plantain et plus récemment le manioc) ou de céréales traditionnelles, particulièrement en Afrique de l’Ouest et Centrale

  2. La priorité historique donnée aux cultures d’exportation et

  3. La relative faiblesse des systèmes de recherche et l’abandon dans lequel ils ont longtemps laissé les racines et tubercules alors qu’ils s’intéressaient surtout aux cultures traditionnelles d’exportation (comme le cacao ou le café) et, plus récemment, au maïs pour lequel beaucoup de connaissances avaient été accumulées dans d’autres parties du monde.


Avec la croissance démographique rapide et l’augmentation du déficit alimentaire observées en Afrique, beaucoup s’attendaient à ce que les efforts renouvelés de promotion de la technologie de la Révolution verte (notamment par le programme AGRA soutenu par la Fondation Gates, mais aussi par les programmes mis en place par les États à la suite de la crise alimentaire de 2008) connaitraient davantage de succès : on pensait en effet que les conditions dans les pays africains seraient, à présent, semblables à celles observées en Asie il y a quelques décennies. Mais le fait est que les technologies de la Révolution verte ne sont toujours pas adoptées sur une grande échelle en Afrique.


Pour comprendre pourquoi, les deux chercheurs ont entrepris une étude du Ghana qu’ils ont sélectionné à cause de sa croissance démographique rapide, de la remarquable performance de son secteur agricole et de sa densité moyenne de population.


Le résultat de l’étude confirme que l’approche Révolution verte n’est toujours pas vraiment adoptée au Ghana sur une grande échelle. Les auteurs l’expliquent par la persistance d’un coût élevé de la main d’oeuvre en zone rurale du fait de la rapide urbanisation. Ils observent aussi que dans les zones les plus densément peuplées, les producteurs agricoles suivent « une stratégie qui combine une diversification des sources de revenu hors de l’agriculture, la spécialisation dans la culture du manioc qui permet une production élevée sans recours aux engrais et l’utilisation de techniques permettant de réduire les besoins en main d’oeuvre telle que l’utilisation d’herbicides et la mécanisation en vue de diminuer l’impact du coût d’opportunité élevé du travail ». Il ne semble donc pas y avoir de correlation positive entre la densité de population et l’intensification de la production mesurée par les rendements à l’hectare. En fait, les données rassemblées par les deux chercheurs suggèrent même le contraire. De plus, quand des technologies plus intensives sont utilisées (engrais, pesticides) elles le sont davantage sur les cultures de tubercules ou sur l’arboriculture que sur les céréales.


Les auteurs donnent des arguments et expliquent cette situation par les caractéristiques structurelles de l’économie (urbanisation qui maintient une densité de population faible en zone rurale malgré la croissance démographique, le rôle important joué par les ressources minérales - y compris le pétrole - qui tend à attirer les travailleurs ruraux vers les villes ou les zones minières) qui contribuent à maintenir un coût élevé de la main d’oeuvre. On pourrait ajouter à cela que, dans les pays où les exportations de minéraux sont très importantes, elles contribuent à rendre l’agriculture moins attrayante et non compétitive du fait du phénomène bien connu du syndrome hollandais.


La conséquence de ces conclusions est qu’il faut reconsidérer fondamentalement la façon dont on fait la promotion de la production agricole en Afrique. Mais ce serait une erreur d’adopter l’approche qui est mise en avant par certains et qui contribuerait à marginaliser le grand nombre de petits producteurs agricoles qui caractérisent l’agriculture africaine (c’est-à-dire la promotion de l’investissement dans l’agriculture de grandes entreprises privées) et les condamner à migrer vers les villes où les possibilités d’un travail bien rémunéré restent, malgré tout, limitées, surtout pour des travailleurs non qualifiés. Plutôt, il s’agirait de consentir plus d’efforts pour développer des techniques de production qui demandent peu d’intrants et sont plus respectueuses des ressources naturelles et qui sont plus accessibles aux petits producteurs pauvres. [lire] Dans les pays où les revenus élevés provenant des exportations provoquent une sur-évaluation de la monnaie locale, on pourrait aussi justifier l’application d’une taxe sur les importations de nourriture afin de protéger l’agriculture commerciale locale qui, autrement, risque d’être éradiquée par la concurrence d’importations bon marché, ne laissant survivre dans la misère que des producteurs agricoles de subsistance peu productifs.


Terminons ce bref article par une note de précaution : l’Afrique est un continent très divers [lire p.5 à 26], et il ne s’agit pas de tomber dans la généralisation et croire qu’il est possible d’appliquer partout la même solution ! Si l’orientation générale reste valable partout (priorité à l’agriculture familiale, développement de technologies accessibles et respectueuses de l’environnement), les mesures d’accompagnement de cette stratégie devront s’adapter au contexte local spécifique.



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Pour en savoir plus :


  1. -Nin-Pratt, A. et L. McBride, Agricultural intensification in Ghana: Evaluating the optimist’s case for a Green Revolution, Food Policy 48 (2014) 153–167 (en anglais)

  2. -La Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition s’attaque aux terres et aux semences en Afrique, lafaimexpliquee.org, 2015

  3. -L’Africa Progress Panel propose d’intensifier la mise en oeuvre de recettes éculées pour réduire la faim et la pauvreté en Afrique, lafaimexpliquee.org, 2014

  4. -Il faut tourner la page de la Révolution verte et trouver de nouvelles solutions aux problèmes actuels de l’agriculture et de l’alimentation lafaimexpliquee.org, 2014

  5. -L’Afrique s’engage à en finir avec la faim en 2025: la priorité ira-t-elle enfin à l’agriculture familiale durable ? lafaimexpliquee.org, 2014

  6. -Les deux discours sur le développement agricole en Afrique, lafaimexpliquee.org, 2013

 

Dernière actualisation:    avril 2015

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