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15 octobre 2017
Alimentation-santé : la priorité à l’intérêt public, une recherche indépendante et un nouveau rapport de force, sont les ingrédients indispensables pour refondre nos systèmes alimentaires et les rendre plus sains
Malgré un succès considérable en termes de croissance de la disponibilité de nourriture, nos « systèmes alimentaires ont un effet sur notre santé par voie d’un écheveau de canaux multiples et ils génèrent de sérieux coûts humains et économiques ». C’est là, résumé en quelques mots, le constat fait par un rapport publié ce mois par le Groupe international d'experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food) coprésidé par O. de Schutter, ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation.
Ce document identifie cinq canaux principaux à travers lesquels les systèmes alimentaires ont un effet sur la santé :
•Des conditions de travail dangereuses : les personnes tombent malades à cause des conditions malsaines dans lesquelles elles travaillent (les agriculteurs, ouvriers agricoles et autres travailleurs des filières alimentaires sont exposés de façon aiguë et chronique aux pesticides, risquent de se blesser au travail et souffrent de stress) ;
•Pollution de l’environnement : les personnes tombent malades à cause de contaminants dans l’eau, le sol ou l’air qui sont le résultat de la production et la transformation de la nourriture, et parce que l’élevage provoque une résistance aux antibiotiques [lire] ;
•Une nourriture contaminée, de mauvaise qualité et altérée : les personnes tombent malades parce que certains aliments qu’ils mangent sont impropres à la consommation car ils peuvent contenir des agents pathogènes ou des produits chimiques (tels que divers additifs comme des colorants, conservateurs, antioxydants, émulsifiants, acidifiants, épaississants, exhausteurs, édulcorants, sel et autres substances, y compris des nanoparticules) [lire] qui peuvent, soit être toxique, soit perturber le fonctionnement de l’organisme (perturbateurs endocriniens);
•Des régimes alimentaires inappropriés : les personnes tombent malades parce qu’elles ont des régimes alimentaires malsains qui sont une conséquence des caractéristiques du système alimentaire et qui sont une cause d’obésité et de maladies non transmissibles, y compris le diabète, les maladies cardiaques et les cancers [lire] ;
•L’insécurité alimentaire : les personnes tombent malade parce qu’elles n’arrivent pas à avoir accès à une nourriture appropriée et acceptable à tout moment [lire].
Sur la base de ce diagnostic, le rapport estime qu’il est urgent « de monter un argumentaire pour prouver qu’il faut réformer les systèmes agricoles et alimentaires afin de protéger la santé humaine. Beaucoup des conséquences sanitaires les plus sérieuses découlent de certains aspects centraux des pratiques agricoles et alimentaires industrielles : agriculture à forte utilisation de produits chimiques, élevage intensif, production de masse et grande distribution de produits ultratransformés, et développement de longues filières alimentaires mondiales dérégulées. »
Il souligne également « les faibles pouvoir et visibilité de ceux qui sont le plus touchés… [ce qui] porte atteinte à une compréhension totale des effets sur la santé » car les risques sanitaires encourus par ces personnes désarmées ne sont pas bien documentés.
Par conséquent, « le pouvoir - d’être visible, d’élaborer un discours, de décider des termes du débat et d’influencer les politiques - est au coeur de la question alimentation/santé » et, pour l’instant, le pouvoir se trouve principalement avec le secteur privé, les gouvernements et, dans les pays pauvres, les donateurs. Plus les systèmes alimentaires sont complexes, et plus le pouvoir est concentré entre les mains de ceux qui contrôlent la technologie et le savoir, rejetant à la marge la masse des consommateurs de nourriture qui n’ont pas la capacité d’influencer les décisions stratégiques et de proposer des solutions.
Voilà qui suggère « des mesures urgentes… pour réformer les pratiques à la base des systèmes alimentaires et transformer les façons dont on rassemble et transmet les connaissances et les processus aboutissants à une compréhension de la situation et la fixation des priorités. »
Les auteurs identifient cinq leviers utiles pour construire des systèmes alimentaires plus sains :
•Promouvoir une pensée en termes de systèmes alimentaires : « nous devons systématiquement mettre en évidence les relations multiples entre les différents impacts sur la santé, entre la santé humaine et la santé de l’écosystème, entre l’alimentation, la santé, la pauvreté et le dérèglement climatique, et entre les durabilités sociale et environnementale. [Alors] seulement… pourrons-nous évaluer correctement les priorités, les risques et les compromis » ;
•Repositionner la recherche en cohérence avec l’intérêt général et le bien public : l’influence des intérêts particuliers a introduit des biais délétères dans la recherche et les solutions [lire] ;
•Mettre en évidence les alternatives : cela requiert « d’en savoir davantage sur les impacts positifs sur la santé et les externalités positives de systèmes alimentaires alternatifs » de manière à pouvoir concevoir des alternatives et des modes d’organisation plus bénéfiques de nos systèmes alimentaires ;
•Adopter le principe de précaution : prendre le temps d’accumuler les connaissances indispensables pour aider les décideurs politiques à agir dans un contexte excessivement complexe ;
•Concevoir et mettre en oeuvre des politiques alimentaires dans le cadre d’une gouvernance participative : une large participation du public et des « victimes » potentielles de notre système alimentaire peut aider à dépasser les intérêts particuliers et nos biais traditionnels.
« Toute une série d’acteurs - décideurs politiques, grandes et petites entreprises privées, fournisseurs de services de santé, groupes environnementaux, défenseurs des consommateurs et de la santé, producteurs agricoles, travailleurs du secteur agroalimentaire et citoyens - doivent collaborer et prendre une responsabilité partagée » dans le processus de construction de systèmes alimentaires plus sains.
À lafaimexpliquee.org, nous estimons que ce rapport de l’IPES-Food est une contribution valable qui va tout à fait dans la direction de notre propre réflexion. La question reste en suspens sur comment créer le rapport de force qui peut aboutir au changement indispensable. L’expérience en cours, en France, des États Généraux de l’Alimentation qui sont fortement dominés par les grands intérêts privés (groupes agro-industriels et de la grande distribution, en particulier), montre que l’établissement d’un tel rapport de force n’est pas facile même dans un contexte qui est généralement considéré comme celui d’une démocratie avancée. Il nous restera d’évaluer, avec le temps, ce que le résultat final de ce processus sera et dans quelle mesure il aboutira à un système alimentaire plus sain en France.
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Pour en savoir davantage :
•C. Rocha et al., Unravelling the Food–Health Nexus: Addressing practices, political economy, and power relations to build healthier food systems. IPES-Food. 2017. (en anglais uniquement).
Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org et liés à ce sujet :
•L’agriculture et l’alimentation aux États-Unis : situation actuelle et (peut-être) future, 2017
•J. K. Sundaram et T. Z. Gen, La menace catastrophique des antibiotiques dans notre alimentation, 2017
•Y a-t-il un nouveau paradigme de la recherche agricole ?, 2017
•La faim est une question politique: elle ne pourra être vaincue sans une plus grande démocratisation, 2014
•Les principaux acteurs des politiques agricoles et alimentaires et leurs motivations, 2013
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Dernière actualisation: octobre 2017