Nouvelles
13 août 2022
Médias : crise alimentaire et invasion de l’Ukraine :
mais où donc est passée l’Afrique ?
Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, cette guerre horrible a été présentée dans les médias comme la cause principale de la crise alimentaire mondiale en cours.
Sur lafaimexpliquee.org, nous avons eu l’occasion de montrer que la crise alimentaire (et l’augmentation considérable des prix alimentaires qui l’accompagne) avait débuté bien avant le jour où, le 24 février dernier, les troupes russes ont traversé la frontière ukrainienne. Nous avons également prouvé que les pays les plus vulnérables à l’arrêt des exportations de céréales ukrainiennes étaient situés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord [lire].
On peut s’étonner de ce que, pour une raison difficile à appréhender, la plupart des médias ont néanmoins continué de prétendre que cet arrêt entraînerait une famine en Afrique, en contradiction avec les chiffres disponibles et compte tenu de ce que les situations de crises alimentaires locales aiguës en Afrique sont pour la plupart des cas liés soit à des conflits, soit à des événements météorologiques extrêmes. En outre, la consommation de blé est réduite en Afrique subsaharienne et généralement limitée aux zones urbaines où les habitudes alimentaires inadaptées à l’offre locale se sont développées sous l’influence de la colonisation d’abord, puis à la suite de la dissémination de modes de consommation occidentaux (baguettes, pain et pâtes, notamment).
Il est troublant d’observer que depuis l’accord conclu le 22 juillet dernier sous l’égide des Nations Unies et de la Turquie, entre l’Ukraine et la Russie permettant de faire sortir au compte-gouttes des céréales des ports d’Odessa et de Chornomorsk, la référence à l’Afrique a pratiquement disparu des médias.
Depuis que le premier bateau céréalier a quitté Odessa au début du mois d’août, on se contente de mentionner les produits transportés (majoritairement du maïs destiné à l’alimentation animale ou la fabrication d’agrocarburant1) et les destinations des 14 vaisseaux qui ont réussi à ce jour à sortir des ports ukrainiens, c’est-à-dire le Liban, l’Égypte, le Royaume-Uni, l’Irlande, l’Italie, les Pays-Bas, la Chine et la Turquie. Où est l’Afrique dans cette liste ? On notera qu’aucun pays subsaharien n’est parmi les destinations desservies et que le seul cargo chargé de blé (environ 3 000 tonnes) devrait prendre prochainement la direction de la Turquie, et qu’on signale qu’un bateau s’apprête à partir pour approvisionner l’Éthiopie en blé (23 000 tonnes) [lire en anglais].
On ne peut que s’extasier devant l’absence quasi générale d’esprit critique et de déontologie de la part des journalistes - sauf exception - qui, après avoir annoncé à grands cris que la guerre en Ukraine provoquerait une famine qui frapperait « de plein fouet » l’Afrique, se sont arrêtés du jour au lendemain de mentionner ce continent sans aucune explication ou commentaire, comme si leurs auditeurs manquaient d’intelligence et avaient la mémoire courte.
L’accord du 22 juillet semble donc clore une période d’intense communication (de propagande ?) autour de la « famine induite par le conflit en Ukraine » pour laisser la place à une phase plus favorable aux préoccupations plus commerciales. Ainsi, un importateur a refusé le chargement de maïs du premier bateau sorti d’Odessa, pourtant destiné au Liban exsangue - pour cause de livraison retardée -, entraînant par la suite son réacheminement vers l’Égypte.
Pour l’instant, en ce début de mois d’août, l’ouverture des deux ports ukrainiens et les faibles volumes exportés d’Odessa et de Chornomorsk n’ont guère eu d’impact notable sur les prix mondiaux des céréales [voir graphe ici] qui avaient déjà commencé à amorcer une décrue en juin qui s’est accélérée en juillet, probablement en fonction des récoltes en cours et prévue dans l’hémisphère Nord. Ainsi, entre mars et juillet 2022, l’indice des prix a baissé respectivement de 11, 79 et 18 points d’indices (soit 15 %, 32 % et 12 %) pour les céréales, les huiles végétales et les produits alimentaires dans leur ensemble, selon les données de la FAO [lire] (voir graphe ci-dessous).
Évolution des indices des prix alimentaires de la FAO
(janvier 2020-juillet 2022) (2014-2016=100)
Source: données de la FAO
Il est trop tôt pour dire si cette baisse se poursuivra et quel sera le niveau des prix alimentaires à la fin de 2022, mais il est probable qu’ils resteront relativement élevés dans l’avenir [lire].
(à suivre)
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Note :
1.Au sujet des quatre bateaux qui ont quitté l’Ukraine le 8 août, il a été dit qu’ils « transportaient au moins 161 000 tonnes de maïs et de produits alimentaires vers la Turquie, la Chine et l’Italie ».
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Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :
•Guerre en Ukraine et crise alimentaire : faits et débats, 2022.
•Opinions : Sanctions, armes de privation massive par Anis Chowdhury et Jomo Kwame Sundaram, 2022.
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Dernière actualisation : août 2022