Nouvelles
9 novembre 2019
En Europe, une des régions les plus riches du monde, plus d’une personne sur six vit dans la pauvreté
En décembre 2012, nous avions publié un article qui avait suscité des réactions de surprise chez certains de nos lecteurs. Nous y soulignions la montée de la pauvreté dans les pays riches [lire]. Pour beaucoup, la pauvreté est synonyme de pays dits « en développement » les mal nommés. En réalité, la pauvreté est un phénomène global qui se nourrit de la formidable croissance des inégalités que l’on observe dans le monde depuis quelques décennies [lire]. Ces inégalités elles-mêmes découlent du mode de fonctionnement de notre système économique mondial [lire] et de la manière qu’ont nos État d’utiliser leurs frontières [lire].
EUROSTAT estime qu’en 2018 environ 16 à 17 % de la population des 28 pays de l’Union européenne, soit entre 83 et 90 millions de personnes, était en situation de risque de pauvreté, c’est-à-dire « disposant (après transferts sociaux) d’un revenu inférieur à moins de 60 % du revenu disponible médian après transferts sociaux ». Le diagramme ci-dessous montre la situation dans chacun des 28 pays de l’Union.
Part de la population des pays de l’Union européenne
en situation de risque de pauvreté (2018)
Source : EUROSTAT
télécharger le diagramme : pauvrete.jpg
Selon ces estimations, il y avait donc en 2018 plus de 9 millions de pauvres en France, plus de 11 millions de pauvres au Royaume Uni et plus de 12,5 millions de pauvres en Allemagne.
La première édition du rapport sur la pauvreté en France 2018 publié par l’Observatoire de la pauvreté et Le compas estime, pour sa part qu’« Entre 2006 et 2016, le nombre de pauvres a augmenté [en France] de 630 000 au seuil à 50 % du niveau de vie médian alors qu’en même temps la richesse nationale s’est accrue de 7 %, soit de 170 milliards d’euros » ce qui est une poursuite de « la remontée de la pauvreté à partir des années 2000 [qui] constitue une rupture dans l’histoire sociale de notre pays ».
Cette évolution est le résultat d’une « distribution inégalitaire des revenus ». En ce sens, la France ne fait guère exception dans la tendance générale d’aggravation des inégalités dans le monde, même si son système social lui a permis de mieux absorber le choc de la crise de 2008 que la plupart des pays de l’Union. On note par exemple une augmentation de plus de 30 % des ménages allocataires du RSA (Revenu de solidarité active) entre 2007 et 2017 (+380 000 ménages).
Le rapport de l’Observatoire précise également que si l’on prend comme seuil de pauvreté 50 % du niveau de vie médian (855 euros/mois en 2016), le nombre de pauvres est d’environ 6 millions (9 millions si ce seuil est placé à 60 %, soit 1 026 euros/mois comme le fait EUROSTAT). Les pauvres en France sont surtout des personnes vivant en famille monoparentale, peu diplômées, jeunes et habitant dans les grandes villes et leurs banlieues. À titre de comparaison, le niveau de vie médian en France était de 1 710 euros/mois, alors que le seuil de revenu définissant les 10 % les plus riches était de 3 131 euros/mois.
Au début de ce mois, le Secours Catholique (Caritas France) publiait son « État de la pauvreté en France en 2019 » fondé sur l’observation de plus de 72 000 situations (sur les 1 347 500 personnes accueillies en 2018) sur tout le territoire national.
Ce document montre clairement que la pauvreté en France frappe particulièrement les femmes (56,4 % des personnes accueillies, dont 32 % de femmes isolées) et les enfants (46 % des personnes accompagnées) et que les familles pauvres ont vu une baisse de revenu qui « s’explique en partie par l’accroissement de la part de ménages ne percevant aucune ressource et, parmi eux, des ménages sans droit au travail ».
Le rapport offre également des descriptions de la situation dans chacune des régions du pays et souligne la part croissante que représentent les réfugiés étrangers parmi les personnes accueillies (6,4 % en 2018 contre moins de 1 % en 1999).
Au Royaume Uni, un rapport (en anglais) présentant les résultats d’une enquête ménage révélait en 2019 que 22 % de la population (soit 14,3 millions de personnes) était pauvre selon la définition adoptée par la Social Metrics Commission (SMC), un organisme indépendant créé en 2016. La moitié de ces personnes pauvres étaient dans une situation de pauvreté persistante et le tiers se trouvait avec un revenu inférieur ou égal à la moitié du seuil de pauvreté. Ce groupe de population comprenait 8,3 millions d’adultes en âge de travailler, 4,6 millions d’enfants et 1,3 million de personnes ayant atteint l’âge de la retraite.
Ces estimations sont légèrement supérieures à celles faites par EUROSTAT car la SMC définit la pauvreté par « l’expérience du manque de ressources pour faire face aux besoins », et l’aborde par une analyse des mécanismes de partage dans un ménage, par un recensement des ressources disponibles dont on déduit les dépenses incompressibles, et par une estimation des besoins en tenant compte des normes sociales en cours [pour en savoir davantage sur la mesure de la pauvreté].
Il est intéressant de noter que si la proportion des pauvres dans la population du Royaume Uni est relativement stable dans le temps, on remarque sur le long terme (depuis le début du siècle) une forte diminution de la part des pauvres constituée par des retraités (11 % en 2018 contre 19 % en 2000/2001) et une augmentation de la proportion de personnes en âge de travailler.
Manque de qualification et isolement sont des caractéristiques communes aux pauvres en France et au Royaume Uni.
On peut parier qu’avec les attaques constantes contre le système de protection sociale (retraites notamment), la dégradation des services publics (santé et transport notamment) et la précarisation croissante des actifs (par l’ubérisation rampante), la pauvreté risque de croître à l’avenir.
Voilà qui souligne la nécessité pour les États d’engager des actions résolues pour éliminer ce fléau dans un monde d’abondance.
C’est ce que Philippa Stroud, présidente de SMC souligne dans sa préface en affirmant « For me the fact that, since the early 2000s, under Governments of all colours, the overall poverty rate has remained stubbornly between 21 % and 25 % indicates the need for more radical and concerted action to tackle poverty ». (Pour moi le fait que, depuis le début des années 2000, sous des Gouvernements de diverses tendances, le taux de pauvreté soit resté obstinément entre 21 et 25 % montre la nécessité d’une action plus radicale et plus concertée de lutte contre la pauvreté).
À lafaimexpliquee.org, nous continuerons d’informer régulièrement nos lecteurs sur l’évolution de la pauvreté et des inégalités dans le monde.
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Pour en savoir davantage :
•Secours Catholique/Caritas France, Notre état de la pauvreté en France 2019, Secours Catholique (Caritas France), 2019.
•Social Metrics Commission, Measuring Poverty 2019, Social Metrics Commission, 2019 (en anglais).
•Maurin, L. et al., Rapport sur la pauvreté en France 2018, Observatoire de la pauvreté et Le compas, 2018.
•EUROSTAT, Country-level overviews of the Flash Estimates of income and inequality indicators for 2018 (FE 2018), 2018 (en anglais).
•Bellu, L.G., Liberati, P., Impacts des politiques sur la pauvreté : Définition de la pauvreté, EASYPol Series 004, FAO, 2005.
Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :
•Opinion : Comment arrêter la machine mondiale à fabriquer des inégalités ? par Jason Hickel, 2017.
•Opinion : Capitalisme mondialisé et inégalités croissantes par Jomo Kwame Sundaram et Anis Chowdhury, 2017.
•Deux «revenants» menacent la France: la pauvreté et la faim, 2012.
•Idée reçue 8 : la faim est la conséquence de la pauvreté, 2012.
Dernière actualisation : novembre 2019
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