Nouvelles
5 janvier 2023
Assurance multirisque climatique : avantages et limites
La nouvelle assurance multirisque climatique française
Au 1er janvier 2023, en France, un nouveau dispositif d’assurance agricole climatique est entré en vigueur. Ce dispositif, dit « Ominibus », permet l’application d’une assurance multirisque climatique subventionnée à 70 % et avec un seuil de perte requis pour le déclenchement de 20 % et une franchise de 20 %. Dans le cas de dommages plus élevés, les agriculteurs bénéficient également de la solidarité nationale, avec un seuil de déclenchement à un minimum de 50 % de dégâts et une prise en charge par l’État à hauteur de 90 % de l’indemnisation versée aux assurés. Les assureurs, pour leur part, doivent adhérer à un pool de coréassurance pour assurer la pérennité du dispositif.
Lac de Sainte-Croix (12/11/2022)
La nouvelle formule vise à permettre un accès plus large à l’assurance, le taux de participation des producteurs n’étant jusque là que de l’ordre de moins de 20 %, avec de grandes disparités selon les filières. Elle se veut plus juste et mobilisera un volume de subventions double de celui disponible auparavant (600 millions d’euros) [lire] qui reste modeste par rapport à l’ensemble du soutien apporté à l’agriculture en France qui est d’environ 9 milliards d’euros annuels [voir graphe]. Cette formule est conforme à la norme européenne.
La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), premier syndicat agricole français avec plus de 200 000 adhérents, s’est félicitée de cette nouvelle assurance qui, pour elle, « est au cœur du dispositif » de gestion des risques et des « conditions pour réussir cette transition ». Les conditions requises pour « cette transition », précise le syndicat, comprennent en outre la lutte contre l’artificialisation du foncier, le stockage de l’eau et l’irrigation, l’innovation (sans précisions), le développement des énergies renouvelables [lire], la conclusion d’accords commerciaux, l’approvisionnement en nourriture et l’information du consommateur, la rémunération des agriculteurs et une approche territoriale [lire].
Des risques climatiques accrus
La mise en œuvre de ce nouveau dispositif fait suite à un accroissement des dommages liés au climat, comme le gel tardif du printemps 2021 qui endommagea 105 000 ha de vignes et 20 000 ha de betteraves sucrières.
La conséquence de la multiplication des événements climatiques a fait que le montant total des indemnisations agricoles a été supérieur de 9 % à l’ensemble des primes versées. En 2021, l’assureur Groupama affirme avoir essuyé une perte sèche de 200 millions d’euros [lire]. Lors d’une interview à la radio [écouter, surtout à partir de 2’40], en septembre 2022, le directeur général de cet assureur, qui est également président de l’association des assureurs mutualistes, souligne l’explosion du coût total des catastrophes. Pour lui, il y a « un changement de braquet depuis 2016 » puisque la charge moyenne des sinistres climatiques a quasiment doublé, passant de moins de 2 milliards d’euros à 3,5 milliards en 5 ans. L’augmentation s’est poursuivie en 2022 dans la mesure où il y avait déjà plus de 5 milliards d’euros de dégâts rien que pour le premier semestre, c’est-à-dire « trois fois la norme », surtout du fait de la grêle.
Ces faits pointent la non-durabilité du système d’assurance préexistant, tandis que l’accélération du changement climatique augure d’une détérioration ultérieure de la situation.
Avantages de l’assurance
Le nouveau dispositif, qui est en fait un partenariat public-privé assez semblable à ce qui est utilisé aux États-Unis depuis quelques années [lire en anglais], devrait réduire l’échelle et la durée de l’impact des sinistres, améliorer la résilience des opérateurs et la rapidité de leur rétablissement [lire en anglais]. De la sorte, il pourrait également orienter la mobilisation des ressources financières vers des utilisations plus stratégiques et, souvent, plus efficaces [lire en anglais], notamment en vue de l’adaptation au changement climatique et de la diminution des émissions de GES (gaz à effet de serre).
Limites de l’assurance
Les avantages de l’assurance peuvent cependant souffrir de certaines limites, et cela pour plusieurs raisons.
La première limite est liée au taux de couverture de l’assurance. Si elle n’est utilisée que par une minorité de producteurs, et notamment ceux qui peuvent supporter le coût de la franchise et la prime qui reste onéreuse malgré les subventions et du fait de l’augmentation des sinistres, elle pourrait accroître les inégalités entre gros et petits producteurs et orienter une partie plus importante de l’aide de l’État vers les premiers. Elle contribuerait donc à faire porter par les producteurs les plus pauvres un part disproportionnée des conséquences du changement climatique. L’assurance source d’inégalités, c’est ce que soulignait déjà l’économiste J. Stiglitz, dans un autre contexte, il y a une dizaine d’années, quand il critiquait la nouvelle politique agricole états-unienne qui donnait plus d’importance à la subvention de l’assurance agricole qu’à l’aide directe aux agriculteurs [lire].
La seconde limite est que l’assurance subventionnée peut diminuer l’envie des opérateurs de réduire les risques. L’expérience montre que l’assurance peut améliorer la résilience et l’adaptation à condition qu’elle fasse partie d’une stratégie plus large en faveur d’une évolution de l’agriculture vers une vulnérabilité moindre aux événements météorologiques [lire en anglais]. Isolée, au contraire, l’assurance peut être perçue par les producteurs comme une alternative à l’adaptation - et donc un frein au changement -, ce qui, bien entendu, est la recette du désastre [lire ici et ici en anglais]. Ce danger est également souligné par le GIEC [lire en anglais] et illustré par le programme très conservateur de la FNSEA qui, au lieu d’envisager la reconversion vers des cultures mieux adaptées et diversifiées, cherche à tout prix de maintenir le système agricole tel qu’il est [lire], y compris en utilisant des approches très critiquées, comme celle des bassines agricoles qui ont fait polémique en 2022 [lire].
Par ailleurs, il est intéressant de noter que les unités de production plus diversifiées, cultivant davantage d’espèces ou engagées dans des activités plus variées, sont moins susceptibles de contracter une assurance, dans la mesure où la diversification permet par elle-même de limiter les risques, particulièrement ceux liés aux ravageurs, aux maladies et à la sécheresse [lire en anglais].
Conclusion
Cette courte revue permet de conclure qu’une assurance multirisque climatique peut être bénéfique pour les producteurs et encourager l’adaptation de l’agriculture au changement climatique, si elle est accessible à tous les agriculteurs et si elle fait partie d’une stratégie et d’un programme plus vaste visant à rendre l’agriculture plus durable et respectueuse du climat.
Dans l’absence de ces conditions, elle peut accroître les inégalités entre producteurs et devenir un obstacle au changement.
————————————-
Pour en savoir davantage :
•FNSEA, Les conditions pour réussir cette transition, Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles, (en ligne).
•Meuwissen, M.P.M. et al., Prospects for agricultural insurance in Europe, Agricultural Finance Review, 2018 (en anglais).
•Linnerooth-Bayer, J, et al., Financial instruments for disaster risk management and climate change adaptation, Climate Change, 2014 (en anglais).
•GIEC/IPCC: Managing the Risks of Extreme Events and Disasters to Advance Climate Change Adaptation. A Special Report of Working Groups I and II of the Intergovernmental Panel on Climate Change, 2012 (en anglais).
Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :
Pour vos commentaires et réactions : lafaimexpl@gmail.com
Dernière actualisation : janvier 2023