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15 novembre 2022


Le biogaz, une source d’énergie pour petits paysans pauvres en Asie dans les années 1980, est devenu une industrie commerciale rentable associée à de multiples risques


Depuis les années 1980 en Asie, le biogaz est une source d’énergie renouvelable pour des populations pauvres et isolées


Depuis plusieurs décennies, les unités de méthanisation se sont répandues dans diverses parties du monde, surtout dans les pays pauvres, notamment en Asie : au Népal dès les années 1980 [lire ici et ici, en anglais], en Inde [lire en anglais] et en Chine [lire en anglais] plus récemment.


Le principe de ces unités, initialement promues pour être établies à bas coût sur de petites fermes familiales, consiste à mettre un mélange de déjections animales et de résidus de cultures dans une cuve afin d’en encourager la fermentation bactérienne et de produire du méthane qui pourra être utilisé par la famille pour son éclairage, la cuisson de ses aliments et la fabrication d’électricité.



Source : SNV (Netherlands Development Organisation) Wikimedia Commons

Traduction par lafaimexpliquee.org - Télécharger le schéma : Methaniseur.png


Les principaux avantages prêtés à cette approche comprennent :


  1. la fourniture d’énergie à des groupes isolés de population ;

  2. la production d’une énergie renouvelable ;

  3. une amélioration des conditions sanitaires de l’habitat (plus propre, moins de fumée par rapport à la combustion de bouse séchée ou de bois de feu) ;

  4. une réduction de la déforestation, celle-ci étant en grande partie due à la collecte de bois de feu ; et,

  5. la production d’un résidu (le digestat) qui conserve des caractéristiques permettant son utilisation comme engrais par épandage sur les champs.


En outre, cette approche autorise une gestion plus efficace des GES émis par l’élevage qui est la principale source des GES provenant de l’agriculture [lire p.7]


Ces avantages paraissaient particulièrement convaincants dans des régions accidentées, isolées et pauvres, où l’électrification généralisée n’était guère envisageable autrefois.


Plusieurs pays ont mis en œuvre des programmes de promotion de ces unités de méthanisation. Ils comprenaient typiquement la formation des agriculteurs et l’octroi de subventions et de crédits avantageux, notamment pour financer la construction de la cuve de méthanisation.


Plus récemment, dans les pays riches, le biogaz est une nouvelle industrie en concurrence avec l’alimentation humaine et animale


Les liens entre l’agriculture et ses produits, d’une part, et la production d’énergie, de l’autre, ont déjà été évoqués à plusieurs reprises sur lafaimexpliquee.org [voir par exemple ici, p.9-10, ici, p9-11 et ici p.2-3].


Ces liens favorisent le développement des agrocarburants dès que les prix de l’énergie (pétrole et gaz) augmentent et cela a amené, depuis quelques années, à la création d’unités de méthanisation dans un grand nombre de pays, y compris des pays riches, parmi lesquels la France.


Un rapport de l’ADEME de 2014 [lire] montre qu’à cette date, l’Allemagne (71 000GWh/an) était le principal producteur de biogaz en Europe, grâce à une loi sur les énergies renouvelables datant de l’an 2000. En second venait l’Italie (19 100 GWh/an), où le développement a été très fort entre 2009 et 2014. En France, où la méthanisation a été initialement cantonnée aux stations d'épuration urbaines et industrielles, la méthanisation agricole s’est développée surtout après 2011, mais elle ne produisait que 1 700 GWh/an en 2014. Au Royaume-Uni, elle a surtout progressé après 2009 et représentait 4 000 GWh/an en 2014.


Les pays où le développement du biogaz a été le plus spectaculaire ont été ceux où il reposait sur la croissance des cultures énergétiques et non pas seulement sur une valorisation des déchets agricoles. C’est devenu une activité commerciale spécifique où les exploitants des unités de biogaz achètent souvent les produits qui sont transformés en énergie. L’approche est donc radicalement différente de celle suivie depuis longtemps en Asie, où elle visait à satisfaire l’autoconsommation, car elle indique une volonté politique de substituer en partie les énergies fossiles par des agrocarburants comme sources vertes renouvelables industrielles.




L’approche commerciale encouragée par les États est actuellement favorisée par l’explosion des prix du gaz qui fait de la production de biogaz une activité de plus en plus rentable. Certains estiment ainsi que « le secteur européen du biogaz peut remplacer 20 % du gaz russe d’ici 2030 », soit 35 milliards de m3 de biogaz par an. En outre, la méthanisation produit un résidu (le digestat) d’un volume considérable pouvant servir d’engrais de substitution aux engrais de synthèse très énergivores [lire]. Les effets potentiels négatifs de ce digestat sont cependant soulignés par certains chercheurs, car il contient des produits dangereux (antibiotiques [lire], médicaments divers, et restes animaux issus des abattoirs) [lire].


On s’attend donc à une relance immédiate du développement du biogaz. En France, le « gisement global mobilisable » à l’horizon 2030 pour la méthanisation est évalué à 56 GWh d'énergie primaire. Il est composé à 90 % de matières agricoles [lire].


La croissance de la méthanisation n’est cependant pas sans risques, comme l’illustre l’étude par l’ONG d’enquête journalistique splann sur le cas de la Bretagne, une région d’élevage où les déjections animales font problème [lire]. Peu nombreux dans cette région, il y a dix ans, 186 méthaniseurs parsèment en 2022 son paysage. Ils seront 100 de plus d’ici un an [lire]. À l’heure actuelle, la plupart des implantations sont de petite taille et localisés sur des fermes agricoles, mais des unités plus grandes devraient profondément modifier la situation.


De multiples dérogations, l’absence de mesures de préventions et des inspections rares font des méthaniseurs des dispositifs ne respectant pas les normes et des sources de risques de pollution des eaux, voire d’explosion. Les accidents se multiplient, surtout quand le volume des unités est augmenté en l’absence d’étude technique sérieuse, ce qui est fréquent [lire].


Alors que les agriculteurs étaient les premiers acteurs de la méthanisation au départ, ce sont à présent les industriels de l’énergie qui font une apparition en force et prennent le contrôle de ces activités [lire]. Les agriculteurs deviennent ainsi les fournisseurs de matière première à une nouvelle industrie de transformation des produits agricoles aux mains d’industriels et en compétition avec leurs utilisations traditionnelles (alimentation humaine et animale). On peut craindre « un scénario à l’allemande » dans lequel les cultures énergétiques concurrencent les cultures alimentaires. On peut constater qu’un volume croissant de maïs va directement dans les méthaniseurs, car le maïs récolté produit plus de méthane que le fumier. Ceci se fait en dépit de la réglementation et parce que l’énergie paye mieux, maintenant, que les produits agricoles traditionnels [lire].


Conclusion : ce qui compte dans l’innovation technologique, c’est les circonstances de son utilisation 


L’exemple du biogaz qui vient d’être évoqué montre qu’une technologie donnée peut être utilisée dans des contextes et selon des modalités très variés. En fonction de ce contexte et des modalités, elle peut avoir des conséquences très différentes, qui peuvent être positives, dans certains cas, et inquiétantes, au contraire, dans d’autres.


Cela suggère que l’hypothèse que les innovations technologiques pourraient résoudre les problèmes auxquels l’humanité fait face (malnutrition, changement climatique, perte de biodiversité, etc.) est trop simpliste. En effet, une innovation, même quand elle paraît efficace, peut s’avérer néfaste si sa mise en œuvre se fait selon des modalités et dans un contexte, en particulier institutionnel, qui ne sont pas appropriés. Le développement numérique et les dangers qu’il crée - si toutes les précautions indispensables ne sont pas prises - en sont une autre illustration convaincante [lire p.4-7].



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Pour en savoir davantage :


  1. Splann, En Bretagne, la méthanisation sous pression, ONG d’enquête journalistique bretonne, 2022.

  2. ADEME, Benchmark des stratégies européennes des filières de production et de valorisation de biogaz, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, 2014.

  3. Sood, D K. Biogas in Nepal--Retrospects and prospects. United States: N. p., 1983. Web (en anglais).



Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. En dehors des sentiers battus - une solution pour diminuer les GES en réduisant les inégalités, 2022.

  2. Guerre en Ukraine et crise alimentaire : faits et débats, 2022.

  3. Le climat change,... l’alimentation et l’agriculture aussi, 2021.

  4. La terre: une ressource essentielle menacée et inégalement distribuée, 2013.

  5. La vérité sur les crises alimentaires : la responsabilité accablante de politiques économiques désastreuses, 2012.

 

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Dernière actualisation :    novembre 2022