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21 novembre 2013
Le nouveau «Farm Bill» américain: plus pour les riches, moins pour les pauvres ?
D’après le rapport 2013 de l’OCDE « Politiques agricoles: suivi et évaluation », les Etats-Unis ont apporté un soutien de 156 milliards de dollars à leur agriculture en 2012, dont 30 milliards en soutien aux producteurs, 41 milliards en soutien aux consommateurs et 81 milliards en services généraux de soutien (recherche, écoles agricoles, services de commercialisation et d’inspection, etc.). Ce soutien représentait plus du tiers du soutien total apporté par les pays de l’OCDE à leur agriculture (415 milliards de dollars).
Dans un commentaire publié sur le site du New York Times (Opinion Pages), Joseph Stiglitz, Prix Nobel 2001, souligne la folie de la politique alimentaire des Etats-Unis: des milliards de dollars sont payés à des producteurs riches qui produisent plus que ce qui est nécessaire, alors que les bénéficiaires pauvres des bons d’alimentation obtiennent à peine 4 dollars par jour.
Selon l’Environmental Working Group cité par Stiglitz, « de 1995 à 2012, 1% des exploitations ont reçu environ 1,5 millions de dollars chacune, ce qui représente plus du quart de toutes les subventions agricoles ». Les paiements de subventions agricoles américaines ont été profondément inéquitables dans la mesure où « environ les trois quarts des subventions sont allées à seulement 10% des exploitations ».
Le soutien apporté aux consommateurs, principalement par l’intermédiaire du Programme d’assistance nutritionnelle supplémentaire (Supplemental Nutrition Assistance Program - SNAP), a très largement profité aux pauvres (80% des 47 millions de bénéficiaires sont en-dessous du seuil national de pauvreté), mais malgré cela, on estime qu’environ 17 millions de personnes n’ont pas mangé suffisamment en 2010 aux Etats-Unis [lire].
Stieglitz critique violemment le Caucus Républicain pour chercher une prolongation du Farm Bill qui « effectuerait des coupes dans la maigre assistance donnée aux concitoyens plus vulnérables et utiliserait les économies ainsi faites pour continuer à engraisser une petite minorité de riches fermiers américains » sous prétexte qu’il s’agit d’équilibrer le budget de la nation.
La proposition des républicains envisage de « réduire de 40 milliards de dollars sur 10 ans le budget des bons d’alimentation - en plus des 5 milliards de dollars de coupe déjà effectifs - ». Elle recommande également de transférer une partie de « l’aide publique [à l’agriculture] par paiements directs - payés à un taux fixe aux producteurs chaque année pour les encourager à continuer de produire un certain produit, quelque soit la situation du marché - vers le paiement de subventions sur les primes d’assurance». «Mais ce changement est peu susceptible de revenir moins cher. Pire encore, contrairement aux paiements directs, les subventions sur les primes d’assurance n’auraient pas de plafond pour les producteurs qui bénéficieraient de cette largesse », continue Stiglitz. [lire davantage sur les subventions aux assurances]
Cette proposition républicaine biaiserait clairement encore davantage la distribution des ressources payées dans le cadre du Farm Bill et elle continuerait largement à perpétuer son effet pervers sur le marché mondial où ces paiements donnent un énorme avantage aux producteurs américains sur les autres producteurs et tout particulièrement ceux des pays non industrialisés.
Rappelons ici que sur un marché mondial de plus en plus ouvert sur lequel les divers accords commerciaux laissent peu de latitude aux pays pour protéger leur agriculture, les producteurs entrent dans la compétition internationale avec atouts très différents: les uns, qui ont une faible productivité et pratiquement aucune aide - et qui constituent la masse des pauvres et de ceux qui ont faim dans le monde - doivent entrer en compétition avec d’autres qui profitent d’un niveau incroyable d’aide de la part de leur gouvernement et ont une productivité très élevée (voir tableau).
* estimation pour 2010
Sources: calculé par l’auteur sur la base de données de la FAO et de l’OCDE
Comparé au Farm Bill américain, la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC) de l’Union Européenne pour 2014-2020, qui vient d’être approuvée hier par le Parlement Européen, semble suivre une évolution plus positive, même si celle-ci ne se produit que de façon excessivement lente. Elle montre en effet une réduction de 12% des subventions qui sont ramenées aux alentours de 50 milliards d’euros par an (environ 65 millions de dollars). La nouvelle PAC est plus verte (30% des paiements directs devront être liés au respect d’au moins trois normes environnementales et au moins 5% de la superficie des fermes bénéficiaires devront avoir une fonction écologique). Elle envisage également une réduction des disparités dans des paiements qui jusqu’alors étaient très largement en faveur des plus grands producteurs. La part des ressources allant à la production animale, qui avait bénéficié bien moins des subventions de l’UE que les grandes cultures, sera augmentée. Malheureusement, le plafonnement des paiements à un maximum de EUR300 000/exploitation ($400 000) n’a pas été retenu.
Cette nouvelle PAC, a fait l’objet d’une réaction très forte de la part des gros céréaliers qui ont organisé des manifestations et ont bloqué les routes aujourd’hui même autour de Paris. Mais il semble qu’il y a peu de chance que ces manifestations puissent entraîner une remise en cause de la nouvelle politique.
Lire aussi:
- J.Stieglitz, The Insanity of Our Food Policy (en anglais)
- OCDE, Politiques agricoles: suivi et évaluation, 2013 (en anglais)
- M. Maetz, Deux «revenants» menacent la France: la pauvreté et la faim, www.lafaimexpliquee.org, 2012
- M. Maetz, Subventions record sur les assurances aux Etats-Unis, 2012
Dernière actualisation: novembre 2013
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