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26 avril 2023


Une nouvelle méthode de traitement des cultures : le pesticide à ARN


En février 2015, lafaimexpliquee.org attirait l’attention sur une nouvelle méthode biotechnologique consistant à bloquer certains gènes afin de les rendre incapables de remplir leur rôle dans la production de protéines spécifiques en utilisant une technique fondée sur le phénomène d’interférence produit à l’aide d’un ARN1 dit « interférant ».


Cette technologie avait été découverte au cours des années 1990. Une première application à l’agriculture avait concerné les pommes de terre, avec pour objectif de diminuer les taches noires apparaissant lors du stockage. On était parvenu à bloquer la synthèse de protéine responsable de ces taches et la nouvelle variété de pommes de terre obtenue fut approuvée par le Département de l’agriculture américain en 2015 [lire].


Par la suite, Monsanto/Bayer appliqua cette technologie pour éliminer les larves de la chrysomèle des racines du maïs en créant un maïs transgénique (approuvé en 2017 aux États-Unis par l’Agence de protection de l’environnement). Cette variété de maïs fut rendue capable, par manipulation génétique, à la fois de sécréter des protéines insecticides et de produire un ARN interférent capable de bloquer chez la larve la production de protéines qui lui sont vitales. Ce principe de double protection est de plus en plus prisé, car il rend l’adaptation aux méthodes de lutte par les ravageurs plus difficile et donc moins probable [lire en anglais].



Larve de la chrysomèle des racines du maïs


Cette technologie est maintenant à la base d’un nouveau type de pesticide pulvérisable pour protéger les cultures par une pluie d’ARN interférant synthétisé en laboratoire (souvent à partir de microorganismes spécialement programmés à cet effet).2 Cet ARN, une fois absorbé par les ravageurs visés, perturbe la production d’une de leurs protéines vitales.


Il faut se rappeler que, dans une cellule, les protéines sont produites par la lecture de bouts d’ARN qui contiennent un code spécifique pour chaque protéine. Ces ARN, dits « messagers », sont des répliques de bouts de code inscrits dans l’ADN3 stocké dans le noyau de la cellule. Ils sont envoyés hors du noyau vers le cytoplasme de la cellule où se fait la synthèse des protéines. 



Fabrication d’un ARN messager


L’ARN interférent synthétique pulvérisé est conçu de manière à venir perturber la production d’une protéine vitale chez le ravageur en bloquant le « bon » ARN envoyé par l’ADN du noyau. Une fois ce processus de synthèse ralenti ou bloqué, le ravageur meurt, ce qui permet de protéger la plante et assurer la production.


La spécificité de l’ARN interférent par rapport à une protéine donnée du ravageur cible, fait dire aux champions que cette technologie présente aucun risque pour les autres organismes, y compris pour les humains. Certains scientifiques soulignent cependant qu’il est capital de vérifier que la séquence génétique ciblée par l’ARN interférent n’existe que chez le ravageur cible (ce qui est loin d’être sûr), et qu’elle (ou une séquence voisine) n’existe pas chez d’autres organismes vivants qui pourraient alors être touchés, ce qui pourrait créer un déséquilibre dans l’écosystème.


Une autre question est aussi en suspens : une fois dans l’environnement, les ARN interférents (de très grosses molécules organiques) sont appelés à être dégradés, et nul ne sait quel pourrait être l’effet des molécules dégradées restant dans l’environnement, que ce soit pour les ravageurs visés ou pour tout autre être vivant [lire en anglais].


On voit donc que plusieurs points demeurent en suspens par rapport aux risques que présentent cette nouvelle forme de lutte contre les ravageurs, et qu’il est grand temps que l’on mène les études nécessaires pour y trouver des réponses, avant d’autoriser des essais en plein champ et bien sûr avant d’approuver éventuellement l’utilisation de ces méthodes sur une grande échelle.


Pour l’instant, étant donné la nouveauté de cette technologie, on constate également un vide juridique très préoccupant qui laisse la voie libre aux activités des laboratoires des multinationales spécialisées dans les pesticides qui cherchent, à tout prix, à lutter contre les déséquilibres résultant d’un modèle agricole industriel qu’elles veulent absolument préserver, car leurs énormes gains financiers en dépendent.



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Notes


  1. 1.ARN : acide ribonucléique.

  2. 2.Une autre possibilité, encore à l’étude, est de modifier génétiquement des virus ou des bactéries pour les rendre capables de produire l’ARN interférent, et de les lâcher dans la nature, avec l’espoir qu’ils soient ingérés par les ravageurs cibles [écouter].

  3. 3.ADN : acide désoxyribonucléique.


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Pour en savoir davantage :


Lire :

  1. OCDE, Considerations for the Environmental Risk Assessment of the Application of Sprayed or Externally Applied ds-RNA-Based Pesticides, Series on Pesticides No. 104, Direction de l’environnement, 2023 (en anglais).

  2. Shaffer, L., RNA-based pesticides aim to get around resistance problems, PNAS, 2020 (en anglais).


Écouter :

- Les pesticides à ARN : dangers d’une révolution agricole, France Culture, 2023.



Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. Chaque année, il y a 385 millions de cas d’intoxication involontaire aiguë par les pesticides, affirme une étude du PAN, 2021.

  2. Les pesticides : une question qui empoisonne notre agriculture, 2020.

  3. La production et l’utilisation des pesticides : une atteinte aux droits à l’alimentation et à la santé, 2017.

  4. Une nouvelle génération d’OGM produite à partir de la technique d’interférence par l’ARN échappe à la réglementation et risque d’envahir le marché aux États-Unis. Qu’en sera-t-il dans le reste du monde ? 2015.

 

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Dernière actualisation :    avril 2023