Nouvelles
22 juillet 2015
Rapport 2015 de l’OCDE et de la FAO sur les perspectives agricoles : un optimisme myope… ?
Se félicitant de ce que la chute du prix du pétrole rende l’énergie et les engrais moins chers, ce qui contribuera à une augmentation de la production agricole mondiale - en favorisant une agriculture énergivore au détriment d’une agriculture durable -, et prévoyant un ralentissement de la demande alimentaire mondiale, l’OCDE et la FAO s’attendent à une confirmation de la diminution graduelle des prix réels des produits agricoles, même si ceux-ci devraient rester au-dessus des prix observés avant la crise alimentaire de 2007-2008.
Ces deux organisations internationales qui sont censées influencer les politiques agricoles mondiales font penser, en cette période estivale où se déroule le Tour de France, à un coureur cycliste qui aurait les yeux fixés sur son compteur alors qu’il dévale, à tombeau ouvert, une dangereuse route de montagne, étroite et très sinueuse, bordée d’un profond précipice… « Jusqu’ici, tout va bien… ». Perspectives, vous avez dit ?
Ombre supplémentaire au tableau, les deux organisations s’attendent à une concentration accrue des exportations en provenance d’un nombre de plus en plus limité de pays, alors que le nombre de pays qui auront recours au marché mondial pour leurs importations alimentaires ira en croissant. [lire sur le commerce international] N’est-ce pas là une recette pour de futures crises alimentaires telles que celle observée dans la deuxième moitié de la première décennie de ce siècle, une perspective qui n’est que brièvement évoquée dans le rapport publié par les deux organisations en ce mois de juillet.
Comment, alors que l’on se prépare à la Conférence Paris Climat 2015 et que l’on fait le bilan des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) en cette année-butoir 2015, peut-on raisonner ainsi et se féliciter de la poursuite des tendances insoutenables que suit notre système alimentaire mondial ? Au lieu de se réjouir d’une conjoncture qui est en grande partie la conséquence d’une lutte géopolitique planétaire où les relations entre les États-Unis et la Russie se sont fortement dégradées et où l’Arabie Saoudite cherche à affaiblir l’Iran…, ne faudrait-il pas plutôt mener une réflexion à plus long terme et attirer l’attention des lecteurs sur les risques qu’une telle perspective - si elle est effectivement avérée - présenterait pour la durabilité de l’agriculture mondiale et l’amélioration de l’alimentation de la population de la planète ? Certes, les deux organisations répondront que ce n’est pas là le but du rapport qu’elles viennent de publier, mais est-ce là un argument valable?
En affirmant, sans broncher, que « la consommation par habitant de produits de base sera proche de la saturation dans beaucoup d’économies émergentes », la FAO et l’OCDE ne se positionnent-elles pas, dans leur rapport conjoint de 2015 sur les perspectives agricoles, dans le cadre étroit d’un productivisme myope qui ignore les conséquences sociales et environnementales qu’aurait l’avenir ainsi esquissé ? Oublient-elles que deux des principaux pays émergents, la Chine et l’Inde, ont à eux seuls dans leur population plus du tiers des personnes souffrant dans le monde de sous-alimentation chronique, soit près de 330 millions de personnes ? [lire] Voilà qui tranche étonnamment avec la teneur des débats qui viennent d’avoir lieu lors de la Troisième conférence internationale sur le Financement du développement et avec le document qui avait été préparé par la FAO à cette occasion : il pointe en effet - et pour la première fois - le rôle critique des investissements dans la protection sociale pour enfin éradiquer la faim dans le monde ! Nous aurons l’occasion de revenir sur cette question prochainement sur lafaimexpliquee.org.
La FAO et l’OCDE montrent, dans leur travail de prospective, qu’elles ne sont cependant pas entièrement insensibles à la question de la durabilité. Mais c’est pour souligner avec un optimisme qui parait exagéré, dans le chapitre spécial consacré au Brésil, que « la croissance de l’agriculture [brésilienne] peut être écologiquement durable ». Géant agricole, le Brésil a consenti des investissements énormes dans la recherche agronomique, avec pour conséquence l’une des croissances de la productivité agricole les plus fortes au monde. Cette productivité, ainsi que l’accroissement des superficies mises sous culture (souvent au détriment de la forêt amazonienne; + 34 millions d’hectares entre 1990 et 2012, soit pratiquement l’équivalent de la superficie agricole de la France) a permis au Brésil de devenir l’un des plus grands exportateurs de produits agricoles et le premier producteur d’éthanol au monde (à partir du sucre de canne). Mais elle a aussi impliqué une croissance très forte de l’utilisation des engrais et pesticides et une détérioration de l’environnement. Elle s’est également accompagnée d’une explosion de la culture d’OGM (le Brésil est le deuxième producteur mondial d’OGM derrière les États-Unis). Malgré les efforts faits pour améliorer la viabilité écologique de l’agriculture brésilienne, la politique agricole en place reste très libérale et dispose de peu de moyens financiers et réglementaires pour influencer les décisions des producteurs quand on la compare aux autres puissances agricoles mondiales, les États-Unis et l’Union européenne notamment, et elle parait tout à fait insuffisante pour pouvoir faire véritablement de l’agriculture brésilienne une agriculture plus durable, moins énergivore et plus respectueuse des ressources naturelles.
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Pour en savoir davantage :
-OCDE/FAO, Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2015-2024, 2015
Articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org sur ce sujet :
Sur le Brésil :
Dernière actualisation: juillet 2015
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