Nouvelles
17 juillet 2015
Gouvernance de la sécurité alimentaire : donner du pouvoir aux communautés, réguler les entreprises privées, par Nora McKeon
Moins d’un an après voir publié « La Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition : un coup pour les capitaux internationaux ? », Nora McKeon est de retour avec un nouveau livre « Gouvernance de la sécurité alimentaire : donner du pouvoir aux communautés, réguler les entreprises privées » (Food Security Governance: empowering communities, regulating corporations - en anglais uniquement), publié chez Routledge, (2015, 246 p.).
Se plaçant ouvertement du point de vue d’une militante qui a combattu pendant des décennies en faveur des petits paysans, McKeon commence par passer en revue l’histoire de la gouvernance de notre alimentation depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et analyse les évènements qui se sont produits au cours des 70 dernières années en tant qu’une histoire de « renoncement de la responsabilité publique en faveur du marché et des entreprises multinationales » (p.21).
S’appuyant sur l’approche marxiste d’analyse des systèmes alimentaires (Food Regime Analysis) proposée par McMichael et qui repose sur l’analyse historique comparative de différents modes d’organisation du système alimentaire mondial, McKeon remarque que le système alimentaire dominant aujourd’hui est un « système alimentaire mondial dirigé par les grandes entreprises privées » qui se caractérise par « une concentration incroyable du pouvoir des entreprises agroalimentaires transnationales… [dans les domaines] de l’approvisionnement en intrants, et du commerce, de la transformation et de la distribution des produits agricoles et alimentaires ». Ce système repose sur l’idée de « modernité », de « progrès » et de « science » et s’appuie sur les mécanismes du « marché ». A partir de l’analyse d’un ensemble de citations de représentants ou de défenseurs de ce système non durable du point de vue social et environnemental, McKeon montre comment le language utilisé souvent masque des faiblesses rédhibitoires du raisonnement adopté par les apologistes de ce système qui le présentent comme le résultat d’une évolution « naturelle » - comprenez inévitable - de notre système alimentaire. Malgré les efforts de ce système dominant pour englober la production alimentaire - à l’aide du processus à présent bien connu d’accaparement des terres [lire] - c’est encore à l’heure actuelle l’agriculture familiale qui produit la plus grande partie (environ 70%) de notre nourriture.
McKeon souligne que, à côté de ce système dominant, existent des système alternatifs qui sont plus durables et qui s’appuient sur des réseaux alimentaire locaux. Ces systèmes voient leur importance croître, mais ils doivent être défendus, ce qui justifie le côté partisan du livre (p.57). Pour que ces alternatives puissent se développer, McKeon estime qu’il faut changer de paradigme. En particulier, la productivité (et la production) doivent être évaluées en tenant compte des externalités tant négatives que positives qu’elle implique. Le concept de sécurité alimentaire doit être revisité et enrichi à partir de ceux de souveraineté alimentaire et de droit à l’alimentation.
Dans le chapitre 4, McKeon analyse les réactions à la crise des prix alimentaires de 2007/2008 et le rôle que cette crise a eu dans le lancement de la réforme du Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA), entreprise en 2009, et qui a vu une forte participation des mouvements sociaux et de la société civile. Elle estime que la réforme du CSA représente une avancée majeure si on la compare à la situation chaotique qui préexistait avant la crise, où la gouvernance publique était plus fragmentée et où les initiatives privées (souvent dominées par les multinationales) avaient une importance et une influence grandissante.
Alors qu’on peut s’accorder avec elle sur le fait que la renaissance du CSA, la participation formelle de la société civile et tout particulièrement des organisations de producteurs, ainsi que l’appui intellectuel apporté par le Groupe d’experts de haut niveau constituent certainement des pas dans la bonne direction, il faut cependant reconnaitre que la réforme du CSA a eu un résultat bien moindre que ce que beaucoup pouvaient espérer au moment de son lancement. Il est vrai que le CSA est devenu une enceinte primordiale de discussion, mais le statu des résultats des travaux menés dans son cadre est celui de recommandations qui ne lient pas légalement les membres du Comité : le Comité génère des idées, des normes et des conseils que ses membres peuvent ou non mettre en application. Il ne dispose pas des moyens pour traduire ses résultats en action, bien moins même que les Alliances qui ont été créées récemment (telle la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition du G8 ou l’Alliance mondiale pour une agriculture climats-intelligente) qui sont pourvues de ressources et qui ont été établies en-dehors du système de gouvernance mondiale et n’ont pas de relations formelles avec le CSA.
Dans les trois derniers chapitres du livre, McKeon passe en revue plusieurs mécanismes de gouvernance locale et réfléchit sur comment les résultats des processus mondiaux de gouvernance (comme par exemple les Directives volontaires pour une Gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts, les Principes pour un investissement agricole responsable, et d’autres encore) pourraient influencer le niveau local. Le livre n’est cependant pas très explicit sur comment ces deux ensembles de processus (locaux et mondiaux) se rencontrent et interagissent, et à quel niveau cette interaction a lieu. Le niveau national, qui reste encore le principal niveau auquel sont formulées, promulguées et mises en oeuvre les politiques et normes n’est pas suffisamment analysé, alors que son rôle reste aujourd’hui essentiel. C’est là une lacune majeure qui devra être comblée par l’auteur dans ses ouvrages futurs.
Il découle de cela que la conclusion du livre et les recommendations qu’il formule resteront, pour beaucoup de lecteurs, un peu trop générales.
Plus tard dans l’année, une conférence ouverte sur la durabilité globale et l’alimentation locale (Global Sustainability and Local Foods) organisée par l’Université américaine de Rome et à laquelle McKeon participera, sera certainement une opportunité de discuter ces questions.
Malgré ces limites, le livre est extrêmement bien documenté et contient une mine de références ainsi que des informations sur des évènements qui étaient connus que par quelques initiés. Cela fait du livre une lecture obligée pour ceux qui sont intéressés par l’histoire et le futur de notre système agricole et alimentaire.
————————-
Lectures complémentaires :
-McKeon, N., Food Security Governance: empowering communities, regulating corporations, Routledge 2015 (246p) - en anglais uniquement
Articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org sur ce sujet :
Dernière actualisation: juillet 2015
Pour vos commentaires et réactions: lafaimexpl@gmail.com