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11 octobre 2014



L’Alliance mondiale pour une agriculture climato-intelligente : nouvelle arme du capitalisme éclairé ?


Un peu plus de deux ans après le lancement à Londres de la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition lors de la réunion internationale intitulée «Nutrition pour la croissance: battre la faim par les affaires et la science», l’Alliance mondiale pour une agriculture climato-intelligente a été lancée le 23 septembre dernier à New York, lors du Sommet mondial sur le climat organisé par les Nations Unies. Sa réunion inaugurale a eu lieu le lendemain, 24 septembre.




Tout comme sa soeur ainée, cette alliance est « une coalition volontaire dirigée par les paysans groupant de multiples parties prenantes ». Mais cette nouvelle alliance est, si l’on en croit son plan d’action, « orientée vers l’action et engagée à incorporer des approches climato-intelligentes dans les systèmes agricoles et alimentaires. L’Alliance mondiale cherchera à améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations en aidant les gouvernements, les paysans, les scientifiques, les entreprises et la société civile ainsi que les organisations régionales et internationales, à ajuster les pratiques agricoles, les systèmes alimentaires et les politiques sociales de façon à ce qu’elles prennent en compte le changement climatique et l’utilisation efficace des ressources naturelles ». Beau programme, en vérité où les membres de la coalition vont s’entraider pour modifier leurs pratiques. Bel idéal d’entraide désintéressée, sans doute ! Mais les choses se passeront-elle comme annoncé ? On peut en douter.


L’Alliance annonce qu’elle va catalyser des partenariats qui « inspireront le développement et la dissémination de solutions climato-intelligentes innovantes prouvées dans diverses conditions et impliqueront un large éventail de parties prenantes publiques et autres ». Les activités prioritaires de l’Alliance se feront dans le cadre de « programmes à l’initiative des gouvernements » (non dirigés par les paysans dans ce cas ?) et « porteront sur trois premiers domaines d’action : connaissances, investissement et environnement favorable ».


Selon la vision de l’Alliance, la productivité des groupes de population les plus vulnérables sera améliorée avec pour objectif l’amélioration de leur sécurité alimentaire et des revenus des producteurs. Pour cela, il s’agira d’opérer « des transformations de façon à dépasser les frontières traditionnelles entre secteurs et entre le public et le privé ». Le document n’explique pas ce que cela signifie en termes concrets, mais on peut craindre qu’il sous-entende qu’il s’agit de promouvoir plus de partenariats public-privé ou davantage de partenariats entre des entreprises privées et des producteurs, les principes desquels restant ouverts à négociation, si nécessaire...


Le document affirme aussi que l’Alliance va « tenir compte d’autres processus internationaux liés à l’agriculture, la sécurité alimentaire, la nutrition et le changement climatique, tels que le Comité de la sécurité alimentaire mondiale des Nations Unies et les Accords multilatéraux sur l’environnement » et d’autres encore, ce qui signifie que l’Alliance est de facto une initiative séparée qui ne s’intègre pas dans les processus de gouvernance déjà en place. Mais aucune raison n’est donnée pour expliquer pourquoi une telle initiative additionnelle et séparée est nécessaire et ce qu’elle fera que les processus existant ne font pas ! On peut cependant imaginer que la raison d’être de l’Alliance -  dont les membres sont différents de ceux qui dirigent les processus en place et qui laisse une place potentielle importante aux grandes compagnies privées - est de servir de cadre à la mise en oeuvre des programmes qui n’auraient jamais été approuvés dans le cadre des processus en place.


Les résultats des actions de l’Alliance devront contribuer à une augmentation durable et équitable de la productivité et des revenus, une plus forte résilience et une réduction ou une élimination des émissions de gaz à effet de serre (GES) associées à l’agriculture. Voilà qui est bien, mais plus important encore, le Plan d’action de l’Alliance laisse la possibilité de mettre en oeuvre des activités qui ne contribueraient pas simultanément à ces trois résultats principaux. Cela veut dire que certaines activités pourraient très bien aider à augmenter la productivité sans pour autant réduire les émissions de GES (par exemple en faisant la promotion d’une utilisation plus poussée d’engrais, le lobby des producteurs d’engrais étant bien représenté dans l’Alliance), ou encore des programmes qui pourraient diminuer ou éliminer les émissions de GES sans contribuer à plus de résilience (par exemple la promotion de grandes plantations extensives sur des terres auparavant cultivées intensivement par des agriculteurs). Cette limitation très importante trouvée dans le paragraphe 6 du Plan autorise en fait l’Alliance à jouer le rôle de nouveau cadre aux membres pour poursuivre leurs activités comme si de rien n’était tout en se drapant de bonnes intentions. Le paragraphe 9 du plan fait aussi une référence optionnelle aux systèmes de connaissance indigènes et « garde à l’esprit les petits producteurs et les communautés les plus pauvres et les plus marginales », ce qui signifie en clair, comme cela est encore une fois optionnel, que l’Alliance peut très bien travailler sans les prendre en compte.


Le reste du texte reproduit des idées politiquement correctes telles que la participation, l’intégration, l’inclusion et « la parole donnée aux producteurs » (quelqu’un devra expliquer pourquoi cette dernière référence est nécessaire puisque l’Alliance est censée être « dirigée par des producteurs » ?).


Le menu proposé est semblable à celui offert par l’Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition : réforme des politiques (dans quelle direction ?), investissements (par qui ? selon quels principes ?) et établissement de liens (par exemple entre les producteurs et les grandes entreprises internationales ?).


Pour ce qui est de la gouvernance, « l’Alliance disposera d’une structure organisationnelle légère composée d’un Comité stratégique et d’une Unité d’appui et de facilitation hébergée à la FAO », et des plateformes seront organisées annuellement pour discuter les réalisations. Aucune précision n’est donnée sur comment l’Alliance sera « dirigée par les producteurs », ni par quel type de producteurs.


A l’heure actuelle, le membres comprennent 14 pays (y compris la France, les États-Unis et le Royaume Uni), seulement deux organisations de producteurs, 28 autres membres de types variés parmi lesquels plusieurs organisations internationales, des associations environnementales et pro-engrais, ainsi que deux compagnies privées, les géants des engrais Yara et Mosaic (voir liste détaillée ci-dessous). Plusieurs autres compagnies multinationales ont déjà exprimé leur soutien à l’Alliance.


Les organisations de la société civile ont fortement critiqué l’Alliance, soulignant notamment le caractère vague de ses objectifs et son modus operandi, et insistant sur les problèmes de gouvernance internationale qu’elle pose. Certains ont aussi vu dans l’Alliance un contre-feu pour faire barrière aux progrès récents de l’agro-écologie [lire notamment la critique de Coordination Sud].


Il est trop tôt pour imaginer ce que cette Alliance fera. Mais il sera essentiel de surveiller ses activités en espérant qu’elle ne répètera pas en les amplifiant les activités de la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition. [lire] Si l’on prend en compte le rôle de fer de lance que semble prendre la FAO dans cette initiative, on peut douter que les questions fondamentales qui devraient être soulevées pour développement d’une agriculture véritablement climato-intelligente seront réellement abordées par l’Alliance. [lire]


Liste des membres au 23 septembre 2014:

Costa Rica, Irlande, France, Japon, Mexique, Pays-Bas, Nigeria, Niger, Norvège, Philippines, Espagne, Royame Uni, États-Unis, Viet Nam, The Alliance of Religions & Conservation (ARC), Asia Farmers’ Association for Sustainable Development (AFA), Association for Agricultural Research Asia Pacific (NAARAP), Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR), Central Himalayan Environment Association (CHEA), The Inter-American Institute of Agricultural Sciences (IICA), Center for International Forestry Research (CIFOR), Institute of Himalayan Environmental Research and Education (INHERE), Colorado State University, CSA Youth Network, Environmental Defense Fund (EDF), Netherlands Development Organization (SNV), Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), Food, Agriculture and Natural Resources Policy Analysis Network (FANRPAN), The Fertilizer Institute (TFI), Organisation Internationale du Café, Le Forum global sur la recherche agricole (GFAR),The International Fertilizer Industry Association (IFA), The World Business Council for Sustainable Development (WBCSD), International Plant Nutrition Institute (IPNI), International Union for Conservation of Nature (IUCN), Mosaic Company, The Nature Conservancy Organic Consumers Association, Pan African Vision for the Environment (PAVE), Rainforest Alliance, Tropenbos International, World Agroforestry Centre (ICRAF), World Farmers Organization (WFO), Programme alimentaire mondial (PAM), World Resources Institute (WRI), Yara International ASA.


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Pour en savoir davantage :


Sur l’agriculture climato-intelligente :

  1. -Global Alliance for Climate-Smart Agriculture - Action Plan - Provisional copy (en anglais seulement)

  2. -Climate-Smart Agriculture, Site web de la FAO (en anglais seulement)

  3. -« Global Alliance for Climate-Smart Agriculture » : Un jeu de dupes ?, Coordination Sud

  4. -Promouvoir  une agriculture intelligente face au climat: pourquoi tant de timidité sur les politiques ? www.lafaimexpliquee.org


On the New Alliance for Food Security and Nutrition

  1. -La Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition : un coup pour les capitaux internationaux ? par N. McKeon www.lafaimexpliquee.org

  2. -Une première analyse de la mise en oeuvre de la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition du G8 confirme les craintes que l’on pouvait avoir, www.lafaimexpliquee.org

 

Dernière actualisation:    octobre 2014

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