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20 décembre 2013



Promouvoir  une agriculture intelligente face au climat: pourquoi tant de timidité sur les politiques?


L’agriculture intelligente face au climat (climate-smart agriculture en anglais) est devenue un sujet important dans les discussions sur le développement. Comme l’agriculture est responsable d’environ un tiers des émissions de gaz à effet de serre (GES) et qu’en plus elle est une des principales victimes potentielles du changement climatique, bien des choses ont été écrites et seront encore dites sur les nouvelles façons desquelles l’agriculture peut à la fois s’adapter et atténuer le changement climatique.


Il suffit de regarder le site Climatesmartagriculture (en anglais uniquement) publié par le Partenariat sur l’agriculture intelligente face au climat (FAO, FIDA, Banque mondiale, PAM, PNUE, Mécanisme Global et GCRAI) pour constater que le nombre des publications sur l’agriculture et le changement climatique recensées sur ce site est en augmentation constante (31 pendant les 10 premiers mois de 2013, 32 en 2012, 26 en 2011, 25 en 2010, 22 en 2009 et 4 en 2008). De même, ce sujet a vu l’organisation d’un nombre considérable d’évènements.


La plus grande partie de la littérature produite porte sur les aspects techniques de la relation agriculture-climat. Elle abonde en détails sur nombre d’options techniques qui ont été testées avec succès, généralement sur une échelle relativement petite, dans des conditions de recherche ou dans des projets. Elle montre ainsi comment l’agriculture peut s’adapter ou atténuer le changement climatique. Une grande partie de cette documentation montre que bien des options techniques ont un fort contenu en connaissances et sont souvent spécifiques aux conditions agroécologiques locales. Elle offre également des outils pour estimer l’impact de l’agriculture sur le changement climatique et comprend des discussions sur des mécanismes pour le paiement de services environnementaux, mais peu est dit quant aux politiques sauf peut-être dans quelques cas très limités en nombre.




Par exemple, la publication de la FAO sur le changement climatique et les régimes fonciers (en anglais uniquement) se déclare favorable à « des politiques foncières progressives, à présent largement reconnues et promues par les agences internationales de développement [telles que] l’octroi de droits fonciers sûrs sous diverse formes, y compris la reconnaissance des droits coutumiers, et le transfer des responsabilités d’enregistrement des droits et la gestion du foncier à des niveaux locaux, la promotion de l’accès à la terre par des groupes désavantagés [etc.] ». En 2008, la Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture qui portait sur les agrocarburants mentionne l’importance des subventions payées en vue du « niveau global des soutiens consenti pour le biodiesel et l’éthanol en 2006 [qui] avoisinerait les 11-12 milliards de dollars EU ». Les incitations pour adopter des pratiques plus favorables au climat sont en général analysées du point de vue du paiement de services environnementaux, des marchés carbone ou d’autres mécanismes de financement, plutôt que de l’analyse du cadre incitatif en place et encore moins de sa critique et de propositions en vue de sa modification. Les mesures financières présentées sont proposées comme une couche supplémentaire aidant à minimiser les incitations négatives (non mentionnées) qui sont données par le cadre en place.


Quand elles sont mentionnées, les politiques sont surtout présentées du point de vue des objectifs qu’elles sont censées atteindre (réduire les GES, améliorer la sécurité alimentaire, etc.) mais seulement très rarement de celui des instruments à utiliser pour créer l’ « environnement favorable » qui apparait de façon récurrente comme un mantra qui est censé tout dire mais qui ne suggère finalement qu’un vague contexte (voir par exemple le papier de la FAO pour la Conférence de La Haye sur l’agriculture, la sécurité alimentaire et le changement climatique en 2010:  L’agriculture intelligente face au climat - politiques, pratiques et financement pour la sécurité alimentaire, l’adaptation et l’atténuation Climate-Smart’’ Agriculture - Policies, Practices and Financing for Food Security, Adaptation and Mitigation, en anglais uniquement).


Le rapport de la FAO datant de 2012 sur l’« Action globale dans l’agriculture sur le changement climatique: liens avec la sécurité alimentaire, les politiques de marchés et du commerce dans les pays en développement » ( Global Action on Climate Change in Agriculture: Linkages to Food Security, Markets and Trade Policies in Developing Countries, en anglais uniquement) se distingue dans la mesure où il soulève la question majeure des subventions généralisées sur l’énergie qui encouragent une agriculture forte consommatrice d’énergie et qui contribuent également à rendre plus attrayante l’utilisation d’engrais riches en énergie, forte source d’émission de GES. Rappellons ici qu’au niveau mondial, les subventions sur l’énergie ont été estimées par le FMI dans son papier de 2012 sur la Réforme des subventions à l’énergie à 1.900 milliards de dollars (2,7% du PIB mondial, soit presque le PIB de l’Italie en 2011), dont 50 milliards rien qu’en Inde (à comparer avec les 20 milliards de la nouvelle loi indienne sur la sécurité alimentaire).


De façon similaire, les subventions sur les engrais - en plus des éventuelles subventions sur l’énergie utilisée pour les produire - constituent dans beaucoup de pays une grande partie des dépenses publiques pour l’agriculture. D’après l’OCDE, environ 15% de l’estimation du soutien à la production (ESP) dans l’ensemble des pays de l’OCDE sont constitués par des paiements en soutien à l’utilisation d’intrants agricoles, y compris notamment les engrais. Ces paiements étaient de 20 milliards de dollars en 1986-88 et près de 35 milliards de dollars en 2011. La même année, et toujours selon l’OCDE, la part de ces paiements était de 50% au Brésil, 13% en Chine, 12% en Indonésie et 30% en Russie. D’après le projet MAFAP/SPAAA de la FAO, les subventions sur les intrants agricoles (surtout les intrants variables tels que les engrais et les semences) représentaient en proportion du total des dépenses publiques spécifiques pour l’agriculture environ un tiers au Burkina Faso et au Mali, et se montaient jusqu’à 43% en Tanzanie entre 2008 et 2011.


Même la récente (2012) publication de la FAO sur « Développer une stratégie nationale pour une agriculture intelligente face au climat » (Developing a climate-smart agriculture strategy at country level en anglais uniquement) qui examine plusieurs expériences nationales reste plutôt vague quand il s’agit du cadre de politique et d’incitation requis pour que l’agriculture évolue vers une agriculture plus durable et plus intelligente face au climat, bien qu’elle insiste sur le besoin de « construire des politiques et des institutions cohérentes en vue d’une mise en oeuvre effective ». Tout se réduit finalement à des déclarations générales sur les objectifs et à l’émission de directives qui ne sont pas proprement soutenues par des instruments qui soient en mesure de concrétiser les idées et principes énoncés. Le document mentionne que « les décideurs de politiques disposent d’un ensemble d’outils et d’instruments, tels que les programmes de crédit rural, les politiques de prix des produits et intrants, y compris des subventions sur les intrants, les droits de propriété, les services de vulgarisation ainsi que la mise en oeuvre de programme de filets de sécurité qu’ils peuvent utiliser pour modifier les incitations et la capacité des producteurs agricoles de faire des modifications dans leurs systèmes de production ». Mais cela ne suffit pas à donner des indications sur ce que cela signifie concrètement et ne fait que rajouter aux affirmations qui n’engagent à rien, comme de dire que « l’analyse des obstacles à l’adoption de pratiques d’une agriculture intelligente face au climat [...] devrait donner une indication sur comment ces leviers affectent à l’heure actuelle l’adoption et identifier les lacunes les plus importantes où de nouveaux leviers sont requis ». «Pousser l’agroforesterie sur l’agenda des politiques - un guide pour les décideurs» ( Advancing Agroforestry on the Policy Agenda - A guide for decision-makers, 2013) propose des exemptions de taxes et des paiements directs en vue du développement de l’agroforesterie à partir de l’exemple du Costa Rica, mais ce document n’analyse pas réellement et ne remet pas en cause les cadres incitatifs en place. 


Dans un monde où les politiques utilisées tendent à encourager une transition vers une agriculture plus intensive du point de vue des intrants et de l’énergie, où la recherche est de plus en plus gérée ou financée par des intérêts privés, un changement fondamental est requis si l’agriculture doit devenir plus favorable au climat. Ce changement devra comprendre notamment: (i) une suppression progressive des subventions sur l’énergie et notamment sur le carburant, (ii) la suppression des subventions sur les engrais, et (iii) une réorientation des ressources vers la recherche publique et particulièrement vers le développement de techniques agricoles peu utilisatrices d’intrants agricoles qui soient adaptées aux conditions locales. De tels changements contribueraient en même temps à la réduction des émissions de GES par l’agriculture et seraient bénéfiques à la sécurité alimentaire des producteurs, surtout dans les pays pauvres, qui ne peuvent pas se permettre d’utiliser des technologies utilisant beaucoup d’intrants. [lire]


Voilà qui suggère une explication de pourquoi la littérature reste si vague sur les politiques: une plus grande précision demanderait une remise en cause de l’évolution historique de l’agriculture lors de ces 50 dernières années vers une agriculture industrielle intensive et irait à l’encontre d’intérêts privés très puissants dont l’activité repose sur la production et la vente d’intrants aux producteurs agricoles et le développement de l’influence sur la recherche publique par des partenariats financiers ou autres pour orienter le gros de ses efforts dans le même sens [lire davantage]


On peut espérer que certaines organisations du Partenariat sur l’agriculture intelligente face au climat se réveilleront et s’engageront dans un travail d’analyse des politiques favorables à  une transition vers une agriculture intelligente face au climat afin de défendre et soutenir les changements qui paraissent indispensables si les projets, mécanismes et programmes en faveur d’une agriculture plus intelligente face au climat doivent être adoptés de façon durable, sur une plus grande échelle et à l’avantage de la masse des producteurs agricoles.

 

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Dernière actualisation:    décembre 2013