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11 novembre 2013



L’Inde approuve ce qui sera le plus grand programme de sécurité alimentaire jamais mis en oeuvre


Le 2 septembre dernier, la Chambre Haute du Parlement indien a approuvé la nouvelle loi sur la sécurité alimentaire. Elle bénéficiera à environ 800 millions de personnes (75% de la population rurale et 50% de la population urbaine) et impliquera la distribution annuelle de plus de 60 millions de tonnes de céréales (l’Inde produit à peu près 280 millions de tonnes de céréales par an). La mise en oeuvre de cette loi coûtera 1250 milliards de roupies (près de 20 milliards de dollars). Ce sera là, et de loin, le plus grand programme de sécurité alimentaire jamais mis en oeuvre.




Le programme coûtera donc environ 25 dollars par bénéficiaire, chaque personne qualifiant pour le programme obtenant 5 kg de céréales fortement subventionnées par le gouvernement de l’Etat (l’Inde est une fédération de 28 Etats et sept Territoires de l’Union) et qui seront mis à disposition à travers le système de distribution publique déjà en place. Les femmes enceintes et allaitantes obtiendront des repas gratuits jusqu’à six mois après l’accouchement ainsi qu’une allocation monétaire supplémentaire. Un repas gratuit sera aussi donné aux enfants de moins de 14 ans, aux personnes sans ressources ou sans domicile, aux victimes de catastrophe ou aux personnes se trouvant au bord de l’inanition. Les Etats et Territoires de l’Union seront responsables de l’identification des ménages bénéficiaires et ils pourront définir leurs propres critères de sélection.


Cette loi sera le principal instrument pour mettre en oeuvre le Droit à l’Alimentation qui est déjà reconnu par la Constitution indienne. L’Inde était le premier exportateur mondial de riz en 2012 et elle dispose de stocks alimentaires abondants. La FAO estime à plus de 220 millions le nombre d’indiens se trouvant en situation de faim chronique, ce qui fait de l’Inde le pays au monde où il y a le plus de personnes sous-alimentées.


Les critiques estiment qu’avant de lancer ce programme, le gouvernement aurait dû réformer le système public de distribution que l’on prétend biaisé, objet de pratiques corrompues et source de marché noir. Ils affirment aussi que les mesures envisagées pour réformer ce système sont clairement insuffisantes. Beaucoup croient que l’impact envisagé de la distribution de nourriture sera bien moindre que ce qui est espéré, car d’autres facteurs tels que l’absence d’eau potable, d’assainissement et d’un système de santé performant fera qu’une grande partie de la nourriture distribuée ne sera pas bien assimilée par les bénéficiaires.


Ils font remarquer que pour être plus efficace dans la réduction de la faim, la loi devrait être soutenue par une campagne d’éducation nutritionnelle et elle devrait promouvoir un régime alimentaire plus équilibré, surtout pour les enfants, et ne pas se satisfaire de distribuer des céréales dans des quantités qui de toutes les façons sont inférieures aux besoins. L’opposition politique pense que le coût budgétaire de la mise en oeuvre de la loi n’est pas soutenable et que la loi a essentiellement des objectifs électoraux. Le gouvernement, pour sa part, affirme que le coût représenté par le programme sera moins de 2% du PIB et qu’il génèrera des avantages considérables en terme de nutrition améliorée, de santé et de productivité accrue des bénéficiaires.


Les représentants du monde des affaires critiquent la loi dans la mesure où elle fera très probablement du secteur public le principal acheteur et agent de stockage dans le pays, ce qui entraînera, d’après eux, une nationalisation de facto du secteur agricole. D’autres critiques pensent que le programme contribuera à la hausse des prix des céréales, du fait d’une demande accrue, et qu’il aura un impact négatif sur la production d’oléagineux et de légumineuses qui est déjà insuffisante, en rendant la production de céréales plus attrayante pour les producteurs.


Au niveau international, on peut déjà constater quelques effets de la loi. En effet, il est très probable que la récente proposition des 46 pays membres du «Groupe des 33» de rouvrir les discussions sur les subventions agricoles à l’OMC, y soit liée. L’Inde, la Chine et l’Indonésie font partie de ce groupe. Cette proposition cherche à exempter l’achat de nourriture en vue du stockage du calcul de la Mesure globale du soutien (MGS) qui fait l’objet d’un rapport périodique dans le cadre de l’Accord sur l’agriculture de l’OMC. Le nouveau directeur général de l’OMC qui vient d’être élu, Roberto Azevedo, a déclaré en octobre que l’Inde violerait prochainement son engagement sur la MGS à l’occasion de la mise en oeuvre de la loi. Rappelons ici que la dernière notification de l’Inde à l’OMC disponible sur le site de l’OMC, montrait pour l’année 2003-04 une subvention sur les intrants agricoles de 9 milliards de dollars et des opérations sur les stocks de sécurité d’environ 5,5 milliards de dollars. Sous l’exemption dite «de minimis», l’Inde est autorisée à soutenir chaque année son agriculture à concurrence de 10% de la valeur totale de sa production annuelle qui est aux alentours de 250 milliards de dollars. Il apparait donc clairement que l’exécution de la nouvelle loi sur la sécurité alimentaire pourrait se voir attaquée devant l’OMC, à moins que la proposition du Groupe des 33 soient prise en considération.


Pour conclure, nous ne pouvons ici que saluer l’énorme effort consenti par l’Inde. Il est pleinement conforme au second de nos Sept principes pour en finir avec la faim. Cependant, il est probable que, au fur et à mesure de sa mise en oeuvre, cette loi demandera quelques ajustements pour prendre en compte certaines des critiques formulées à son encontre. En particulier, il nous parait indispensable que le Gouvernement indien fasse le nécessaire pour assurer la transparence et la clarté du processus de sélection des bénéficiaires et de distribution de la nourriture. De même il devra très certainement prendre en compte la nécessité de promouvoir un régime alimentaire équilibré.


Il sera fascinant de voir quel impact ce programme aura sur la faim et la nutrition dans le pays. Les leçons qui pourront en être tirées seront inestimables pour tous les gouvernements qui sont vraiment décidés à en finir avec la faim.

 

Dernière actualisation:    novembre 2013

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