La transition agricole et son effet possible sur la faim
La transition agricole et son effet possible sur la faim: coup d’oeil sur le futur
L’agriculture mondiale s’est engagée dans une nouvelle phase de son évolution qui se caractérise par des changements fondamentaux qui vont transformer la vie des agriculteurs dans toutes les régions du monde et avoir un effet prononcé sur la sécurité alimentaire de centaines de millions de personnes.
Ces changements sont à des stades plus ou moins avancés, selon les pays. Dans les pays industrialisés, l’agriculture a profondément changé depuis le milieu du XXe siècle. L’urbanisation croissante de la population et l’exode rural qui l’a accompagnée a abouti à l’émergence d’une agriculture productiviste, hautement commercialisée et orientée vers l’approvisionnement des villes en nourriture. Des structures de commercialisation et de distribution très sophistiquées ont été mises en place, et des normes de plus en plus strictes sur la qualité et la sécurité des aliments se sont peu à peu imposées.
Au début du XXe siècle la France comptait environ 5 millions d’exploitations agricoles. Ce chiffre est tombé à 2,3 millions en 1955 et 490 000 en 2010. En même temps, la distance entre la production et la consommation s’est accrue, par la mise en place de filières de commercialisation et de transformation des produits agricoles, de plateformes de distribution et de super- et hyper-marchés par lesquels transite la plupart des produits alimentaires consommés par les français. Ces changements, qui avaient déjà commencé en partie dès la révolution industrielle, ne se sont pas faits sans crises ni difficultés, mais grâce au développement de la partie non-agricole de l’économie (industries, services, etc.) les personnes quittant l’agriculture ont, dans leur grande majorité, pu trouver des sources alternative de revenus.
Le même type de transformation est à l’oeuvre dans le reste du monde, et tout particulièrement dans les pays non-industrialisés, où les plus grands changements sont encore à venir. En effet, à l’heure actuelle la population mondiale se partage à peu près de façon égale entre les ruraux et les urbains (voir tableau ci-dessous). D’ici le milieu du XXIe siècle, la population urbaine représentera plus du double de la population rurale.
Importance de la population urbaine et rurale
(en % de la population totale)
Source: FAO
Ceci veut dire qu’une partie de plus en plus grande de la population, qui auparavant consommait ce qu’elle produisait sur son exploitation agricole, sera, après migration en ville, appelée à acheter la quasi totalité de son alimentation. La croissance de la demande alimentaire urbaine sur les marchés nationaux augmentera donc très fortement, ce qui constituera alors le principal ressort de la croissance agricole, et non les marchés des produits traditionnels d’exportation qui, au contraire, connaissent déjà et connaitront encore une relative stagnation.
C’est là une évolution qui offre des opportunités à ceux des ruraux qui resteront dans l’agriculture. Sauf que l’on observe que la commercialisation croissante de l’agriculture s’accompagne en général d’un développement très rapide des circuits de distribution qui imposent leur pouvoir économique et leur normes privées de qualité des produits. Ces nouveaux circuits et leurs acteurs principaux (grandes chaines de distribution installant super et hypermarchés) tendent cependant à exclure les petits producteurs agricoles qui dans la plupart des cas n’arrivent pas - surtout s’ils ne s’organisent pas en groupement de vente et pour avoir accès aux technologies appropriées - à respecter les normes de livraison (programmation en volume et dans le temps, qualité/calibrage). Ils se retrouvent alors incapables de saisir l’opportunité offerte par l’urbanisation et risquent une marginalisation encore plus forte.
Dans cet avenir qui se présente à nous, les petits agriculteurs n’ont que quatre options:
-L’intégration au marché et leur transformation progressive en agriculteurs travaillant principalement pour le marché: on peut craindre qu’il n’y aura que peu «d’élus» qui seront capable d’opérer cette mutation parmi les petits producteurs agricoles. Seuls des gros producteurs aptes à faire les investissements nécessaires, ayant accès au financement et pouvant livrer leurs produits aux conditions imposées par les distributeurs, pourront s’en sortir. Les petits producteurs, eux, ne pourront subsister dans ce nouveau contexte qu’à conditions qu’ils s’organisent en groupements ou coopérative dont la création demandera un appui du secteur public et des consommateurs
-La prolétarisation constitue la deuxième option: une partie des petits producteurs incapables de s’adapter aux nouvelles conditions risquent d’avoir à vendre leur terre et devenir des ouvriers agricoles dans les exploitations plus vastes qui ne manqueront pas d’émerger.
-La diversification vers des activités non agricoles: certains petits producteurs trouveront des emplois dans de nouvelles activités qui se développeront en zone rurale (commercialisation et transformation de produits agricoles, approvisionnement de l’agriculture en intrants et équipements, etc.)
-L’exode rural: enfin, la grande majorité, comme dans les pays industrialisés, se verra obligée de partir et émigrer vers la ville à la recherche d’un emploi. Et c’est dans ces grandes villes et à leur périphérie qu’on les retrouvera, souvent en situation de grande précarité. C’est là que progressivement que se déplacera, avec eux, la sous-alimentation et l’insécurité alimentaire (voir encadré), car alors qu’en Europe l’exode rural s’est fait en même temps que des millions d’emplois se créaient avec le développement de l’industrie et des services, ce développement n’est pas du tout certain dans les pays où cette transition s’opère aujourd’hui, comme le montre l’observation de la situation actuelle dans les grandes métropoles asiatiques, africaines et latino-américaines. En Afrique, en particulier, on peut s’attendre à un décalage d’une génération entre l’exode rural et l’installation d’industries manufacturières et de services susceptibles d’absorber l’afflux de main-d’oeuvre provenant des zones rurales (on observe cependant quelques installations de manufactures comme le textile au Lesotho et les chaussures en Ethiopie).
Inde – L’insécurité alimentaire dans les villes
L’augmentation des inégalités dans les villes, la diminution des dépenses publiques de santé et de nutrition, l’augmentation de la précarité de l’emploi et la baisse des rémunérations (surtout pour les femmes), le développement des bidonvilles dépourvus des infrastructures sanitaires les plus élémentaires et l’augmentation continue du coût du logement et des produits de base, créent des conditions d’urgence alimentaire permanente dans l’Inde urbaine. La situation est en générale pire dans les villes petites et moyennes que dans les grandes métropoles.
En 2001, environ un indien sur quatre était urbain, et 23 pourcent des urbains vivaient dans des bidonvilles. En 2004-05, environ 10 pourcent des indiens urbains travaillant dans le secteur formel étaient considérés comme pauvres, contre 24 pourcent dans le secteur informel. 16,7 pourcent de la population urbaine consommait moins de 1890 calories/personne/jour, et la situation s’était dégradée légèrement au cours des 10 années précédentes. La proportion d’enfants souffrant d’anémie était de 72,2 pourcent et 30 pourcent avaient une insuffisance pondérale.
L’Inde a mis en place depuis plus de cinquante ans un vaste système de distribution publique de nourriture (Public Distribution System) qui est devenu plus sophistiqué avec le temps (ciblage). Les principales priorités à l’ordre du jour sont : (i) le développement de l’emploi, (ii) la généralisation de l’eau potable et de l’assainissement, (iii) l’éducation nutritionnelle, (iv) la promotion de coopérative de consommateurs, et (v) le ciblage des interventions vers les quartiers et groupes de population les plus vulnérables.
(basé sur : MS Swaminathan Research Foundation and World Food Programme, Report on the state of food insecurity in urban India , Chennai 2010
Bien sûr, il existe, surtout en Europe, des cas de petits producteurs qui arrivent à subsister correctement sans s’intégrer dans le circuit commercial dominant, en établissant des circuits parallèles courts qui leur permettent de livrer des produits plus directement aux consommateurs urbains - ventes directes (vente à la ferme, vente collective, vente sur les marchés, vente en tournées à domicile ou par correspondance, AMAP, accueil à la ferme, etc.) ou indirectes avec un intermédiaire (restauration traditionnelle ou collective, commerçant-détaillant). En France, environ une exploitation sur six pratique des ventes directes ou indirectes. Cette pratique est tout particulièrement répandue pour la production agricole biologique. Mais cela ne représente encore, même en Europe, qu’une fraction de la consommation alimentaire, en augmentation lors de ces dernières années, certes, mais menacée par la perte de pouvoir d’achat résultant de la crise économique en cours.
(septembre 2012)
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Dernière actualisation: décembre 2018
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