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8 mars 2021


L’Union Européenne et l’impérieux défi de sa transition verte



Lancé à grand renfort de communication en décembre 2019, le Pacte vert pour l’Europe de l’Union européenne a pour objectif de faire de l’Europe le premier continent neutre pour le climat en 2050. Cet objectif s’accompagnait notamment de la volonté de dissocier la croissance économique « de l’utilisation des ressources » et de ne laisser « personne ni aucun endroit… de côté ».


Dans ses divers domaines d’actions - « De la ferme à la table », « Agriculture durable » et « Biodiversité » - le Pacte se traduit par un ensemble d’objectifs comprenant une forte réduction du recours aux pesticides et aux engrais de synthèse ainsi qu’aux antibiotiques, et une importante diminution du gaspillage alimentaire, le tout allant de pair avec une augmentation significative de la superficie cultivée sous agriculture biologique.




Un an plus tard, une étude (en anglais), menée par l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (INRAE) et AgroParisTech pour le compte du Parlement européen, estime que « Les pratiques agricoles et alimentaires de l’Union européenne sont loin de répondre à l’ambition, à la finalité et aux objectifs quantitatifs du Pacte vert pour l’Europe en ce qui concerne le climat, l’environnement, la nutrition et la santé dans ce secteur ».


Cette conclusion souligne donc la nécessité d’une mise en œuvre résolue du Pacte vert afin de corriger la trajectoire suivie pour l’heure par l’agriculture et l’alimentation européenne.


Elle s’appuie sur une série de faits qui illustrent l’ampleur du travail qu’il s’agit d’effectuer :


  1. Les émissions par l’UE de gaz à effet de serre d’origine agricole, qui avaient diminué jusqu’aux années 2010, sont restées stables depuis lors ;

  2. L’érosion de la biodiversité, la dégradation des sols, de l’eau et de l’atmosphère se poursuivent pour atteindre des niveaux alarmants, à cause, notamment, du recours généralisé et intensif aux intrants chimiques ;

  3. Une grande partie de la population européenne ne respecte pas les recommandations alimentaires correspondant aux objectifs du Pacte vert en matière de nutrition et de santé.


Ce sont là des constatations qui résonneront familièrement aux oreilles des habitués de lafaimexpliquee.org.


Pour étayer ces affirmations, le rapport rappelle les statistiques inquiétantes produites par l’Agence européenne pour l’environnement :


  1. Émissions des gaz à effet de serre (GES) : Les émissions de GES agricoles par les 27 pays membres de l’UE ont suivi une lente baisse entre 2000 et 2011, puis elles ont progressé légèrement entre 2012 et 2018, ce qui fait que ces émissions restent aux alentours de 400 millions de tonnes d’équivalent CO2. Simultanément, l’absorption nette de carbone produite par l’affectation des terres, le changement de l’affectation des terres et la foresterie a chuté assez fortement, passant d’un peu plus de 330 millions de tonnes d’équivalent CO2 en 2006 à moins de 260 millions de tonnes, une tendance qui, si elle se poursuivait, pourrait atteindre seulement environ 100 millions de tonnes en 2030 ! Le bilan carbone net et son évolution sont donc largement défavorables.

  2. Les achats de pesticides restent relativement stables depuis 2011, aux alentours de 350 000 tonnes (on note que le Portugal, le Danemark et l’Irlande ont réussi à baisser leurs achats, alors que Chypre, l’Autriche et la France ont augmenté les leurs).

  3. La consommation d’engrais azotés suit une tendance ascendante qui, si elle se poursuivait, pourrait atteindre un total de 9 millions de tonnes en 2030, comparé à un peu plus de 7 millions de tonnes, seulement, en 2009. L’Allemagne, l’Espagne et la France sont les principaux responsables de la pollution des eaux du fait de leur consommation excessive par rapport à ce qui est absorbé par les plantes.

  4. L’unique note positive est relative à l’utilisation d’antibiotiques dans l’élevage qui est en très nette diminution, passant d’environ 160 mg/PCU (milligrammes par kilogramme de poids standardisé des animaux) à moins de 110 mg/PCU, ce qui, si cette évolution se confirmait, pourrait aboutir à une utilisation d’à peu près 20 mg/PCU seulement [lire sur les conséquences de l’usage des antibiotiques].


Le Pacte vert envisage également une forte progression de l’agriculture biologique, l’objectif étant qu’en 2030, celle-ci recouvre au moins 25 % des superficies cultivées dans l’UE. En réalité, elle ne représentait que 8 % en 2018, et, si la tendance à l’accroissement rapide observée depuis 2012 persévérait au même rythme, elle n’occuperait que 12,3 % des superficies en 2030, selon les estimations des auteurs, soit moins de la moitié de l’objectif déclaré.


Cependant, ces performances très médiocres pourraient être grandement améliorées si suffisamment d’efforts étaient faits pour promouvoir l’agriculture biologique. Il s’agirait, en particulier, d’accompagner techniquement et financièrement les producteurs décidés à abandonner l’agriculture conventionnelle forte utilisatrice de produits chimiques de synthèse. C’est à ce prix que l’UE pourrait rehausser ses résultats pour les rapprocher des objectifs qu’elle s’est fixés. Développer l’agriculture biologique (qui par définition n’a guère recours aux substances chimiques de synthèse et limite strictement l’usage des antibiotiques) permettrait en effet de réduire considérablement l’utilisation de pesticides, d’engrais azotés et d’antibiotiques.


Pour ce qui est des GES, les avis divergent sur l’impact qu’a sur eux l’essor de l’agriculture biologique. Il apparaît favorable si l’on se satisfait de mener l’analyse au niveau de la parcelle (GES/ha cultivé) et plutôt défavorable si l’on se place du point de vue du produit (GES/kg). Cependant, le résultat est résolument positif, si l’on replace l’agriculture biologique dans le cadre d’une transition alimentaire dont elle n’est qu’un élément et qui doit absolument entraîner un ensemble de transformations dans notre mode de nous nourrir, avec leurs dimensions politiques, temporelles et socio-économiques [lire].


Quoi qu’il en soit, il est clair que l’UE devra intensifier son action pour réussir les transitions alimentaire et climatique. Celles-ci ne seront possibles que si les aides et incitations données aux opérateurs économiques dans le cadre des programmes de relance et des budgets nationaux et de l’Union accordent une place suffisante aux mesures qui leur seront favorables et si ces moyens financiers sont accompagnés de réglementations, d’information et de formation tant des producteurs que des consommateurs.




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Pour en savoir davantage :


  1. Guyomard, H., Bureau J.-C. et al., Le pacte vert et la PAC: adapter les pratiques agricoles et préserver les ressources naturelles de l’UE – implications stratégiques - Synthèse, Parlement européen, 2020

  2. Guyomard, H., Bureau J.-C. et al., The Green Deal and the CAP: policy implications to adapt farming practices and to preserve the EU’s natural resources. European Parliament, 2020 (en anglais).

  3. Union européenne, Un pacte vert pour l’Europe - Notre ambition: être le premier continent neutre pour le climat, Site web.



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Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. Opinions : Repenser l’alimentation et l’agriculture – Nouvelles pistes par Andrew MacMillan, 2021.

  2. En France, le bio continue sa progression rapide, 2020.

  3. Obstacles à la transition - Pourquoi est-il si difficile de rendre notre système alimentaire plus durable et plus respectueux du climat ? 2019.

  4. Opinions : La menace catastrophique des antibiotiques dans notre alimentation par Jomo Kwame Sundaram et Tan Zhai Gen, 2017.

  5. Alimentation, environnement et santé, 2017.

 

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Dernière actualisation :    mars 2021