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La menace catastrophique des antibiotiques dans notre alimentation*


par Jomo Kwame Sundaram** et Tan Zhai Gen***



L’utilisation très excessive des antibiotiques dans la production alimentaire au cours des dernières décennies a rendu un nombre croissant de bactéries résistantes aux antibiotiques. Le Département de l’agriculture des États-Unis (USDA) a estimé que l’utilisation des antibiotiques dans l’élevage animal, l’aviculture et l’aquaculture, aux États-Unis, a atteint un niveau plus de quatre fois supérieur aux recommandations faites par l’USDA. En outre, la US Food and Drugs Administration (FDA, équivalent aux États-Unis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments) a estimé que 80% de tous les antibiotiques vendus dans le pays sont utilisés sur des animaux.




Les antibiotiques bon marché : un encouragement à l’utilisation abusive


Les antibiotiques sont utilisés pour assurer une meilleure santé et une mortalité moindre des animaux élevés pour l’alimentation. Mais beaucoup de producteurs croient qu’ils constituent également un facteur de croissance. Comme les prix des antibiotiques restent à un niveau particulièrement bas, ils offrent la perspective de revenus accrus découlant d’une production supplémentaire à coût bas. Il n’y a donc peu ou pas d’incitation marchande à la réduction de l’utilisation excessive, sinon systématique, et de l’abus d’antibiotiques. Par conséquent, une telle façon d’accroître les revenus et les profits des producteurs agricoles aggrave la probabilité, et donc le risque de résistance aux antibiotiques.


L’utilisation généralisée des antibiotiques par les chaînes de valeurs alimentaires est en train de devenir catastrophique. Une étude de la FAO intitulée Facteurs, dynamique et épidémiologie de la résistance antimicrobienne dans la production animale (disponible en anglais uniquement) explique comment les bactéries résistantes aux antibiotiques se trouvant dans les animaux infectent les humains, soit par contact direct avec des animaux soit par transmission indirecte par l’intermédiaire de la nourriture que nous mangeons. Dans le passé, on associait souvent la propagation des bactéries aux voyages internationaux, mais la menace représentée par les bactéries résistantes dans notre alimentation s’avère maintenant un danger bien plus sérieux.



Recyclage des antibiotiques

Les militants écologistes ont depuis longtemps fait la promotion du recyclage agricole, citant souvent des pratiques agricoles traditionnelles. Mais l’ajout d’antibiotiques à l’alimentation animale a transformé cette pratique en menace pour la santé publique. L’alimentation contient typiquement beaucoup de médicaments, y compris certains qui ne sont utilisés pour les humains que comme antibiotique de dernier recours.


Une grande partie des antibiotiques donnés au bétail et aux volailles passe intacte dans leurs urines et leurs matières fécales, ce qui impacte directement l’alimentation provenant de l’aquaculture. De cette façon, les déjections des porcheries qui sont vidées dans les étangs de pisciculture exposent les poissons et les crevettes à de fortes doses d’antibiotiques que l’on donne aux animaux d’élevage, en plus des antibiotiques qui sont mis dans l’eau de l’étang pour éviter ou traiter les maladies aquatiques. Les bactéries résistantes générées dans cet environnement passent ensuite dans les humains qui consomment l’alimentation ainsi produite.


Bien qu’on ait déjà largement imposé des restrictions sur l’utilisation d’hormones et de stéroïdes de croissance, ce n’est que récemment que l’attention s’est portée sur l’utilisation excessive d’antibiotiques par les producteurs, alors qu’un énorme réservoir de bactéries résistantes se développait et était disséminé. En novembre 2015, des scientifiques ont découvert un gène en Chine qui peut rendre résistants plusieurs types de bactéries. Ce gène a été depuis lors trouvé chez des patients, dans de la nourriture et des animaux, dans plus d’une vingtaine de pays. Plus inquiétant encore, ces bactéries peuvent résister aux antibiotiques les plus récents.


Une menace catastrophique


Un rapport du Gouvernement britannique estime qu’environ 700 000 personnes meurent chaque année dans le monde suite à des infections dues à des bactéries résistantes. Si la tendance actuelle se poursuit, cette mortalité atteindrait 10 millions en 2050, dans un peu plus de trente ans.


Dans le futur proche, les antibiotiques deviendront moins efficaces pour le traitement des infections au fur et à mesure que les bactéries muteront pour devenir résistantes. Davantage de personnes mourront de maladies que l’on peut soigner avec des antibiotiques à l’heure actuelle. De nouveaux antibiotiques pourront éventuellement ralentir cette tendance, mais il n’y a pas eu de découverte de nouvelle classe d’antibiotiques depuis les années 1980.


Conformément au Plan d'action mondial pour combattre la résistance aux antimicrobiens de l’OMS, les pays membres se sont engagés à formuler des plans d’action nationaux contre la résistance aux antibiotiques, dans le cadre d’un effort plus vaste s’attaquant à la résistance aux antimicrobiens. L’absence d’une surveillance et d’une supervision nationale effective de l’utilisation des antibiotiques dans des produits animaux empêche de voir la gravité de la menace.


Malheureusement, dans la plupart des pays en développement, le risque émergent que représente la croissance exponentielle des dangers liés à l’utilisation excessive d’antibiotiques ne devient une préoccupation des autorités qu’à partir du moment où il menace les perspectives d’exportation. Comme dans le cas de l’utilisation inappropriée et excessive des pesticides, l’abus d’antibiotiques ne devient une préoccupation que quand cela touche la réputation nationale à l’étranger et les recettes d’exportations qui y sont liées, peu d’attention étant accordée aux risques encourus par les consommateurs locaux.




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*     Publié initialement sur Interpress Service, le 4 avril 2017, sous le titre « Catastrophic Antibiotic Threat from Food » http://www.ipsnews.net/2017/04/catastrophic-antibiotic-threat-from-food/

**   Jomo Kwame Sundaram, ancien professeur d’économie, a été Assistant Secrétaire Général des Nations Unies pour le développement économique, Assistant Directeur Général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et a reçu le Prix Wassily Leontief pour avoir fait avancer les frontières de la pensée économique en 2007.

***  Tan Zhai Gen est stagiaire au Khazanah Research Institute de Kuala Lumpur, Malaisie.


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Pour plus d’information :


- FAO, Résistance aux antimicrobiens (page Internet)

 

Dernière actualisation: mai 2017

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