Nouvelles

 

15 avril 2019



Pour gérer durablement nos ressources en eau, nous devons modifier notre consommation alimentaire 


Il y a 45 ans, presque jour pour jour, l’agronome René Dumont, professeur à l’Institut National Agronomique, alors premier candidat écologiste à la Présidence de la République en France, nous mettait en garde contre le gaspillage et notamment le gaspillage de l’eau et terminait son intervention télévisée en buvant un verre d’eau [voir la vidéo].


À l’époque, malgré sa longue expérience d’agronome de terrain aux quatre coins du monde, on ne le prenait pas au sérieux et il en était réduit à sans cesse utiliser une grande partie de son temps de parole dans les médias pour donner des preuves de crédibilité.


Qu’en est-il aujourd’hui ? La question de l’eau est devenue une préoccupation quotidienne. Si cela est vrai dans les pays pauvres en zone tropicale, ça l’est aussi dans les pays riches en zone méditerranéenne et jusque dans des régions tempérées où la disponibilité en eau de qualité paraissait naguère garantie. En France, par exemple, alors que le printemps vient de commencer, des arrêtés de vigilance sur l’eau ont déjà été pris dans les départements du Nord, de la Creuse, du Puy-de-Dôme, du Rhône et de l’Ain, et en octobre 2018, 62 départements étaient en situation de restriction d’eau [lire].


Au niveau mondial, environ 80 pays ont des populations souffrant de problèmes d’eau et 450 millions de personnes sont régulièrement confrontées à des problèmes de pénurie d’eau dont la fréquence et l’intensité devraient aller en croissant avec le dérèglement climatique en cours. Près de la moitié de l’humanité vit dans des bassins fluviaux où les disponibilités physiques en eau sont insuffisantes et environ 1,6 milliard de personnes vivent dans des zones où, bien que l’eau soit physiquement disponible, elle n’est pas accessible localement pour des causes humaines, institutionnelles ou financières.


En outre, si l’eau manque en quantité, sa qualité, elle aussi, pose désormais problème : celle-ci se dégrade car l’eau est polluée par les rejets de l’agriculture et de l’industrie, témoin la situation en France [lire], les catastrophes répétées au Brésil [lire] et la dégradation observée en Chine [lire] et en Inde [lire en anglais], où la qualité de l’eau s’est très fortement détériorée dans les États pratiquant une agriculture intensive.


Cependant, face à cette situation inquiétante, l’humanité a adopté une attitude irrationnelle et inconséquente semblable à celle d’un groupe de personnes perdues dans une zone montagneuse désertique qui décideraient, au lieu de rationner leurs provisions, d’organiser une grande fête afin de consommer dans la joie le peu de nourriture qui leur reste.


Ainsi, des investissements massifs ont fait que la superficie équipée pour l’irrigation a pratiquement triplé dans le monde au cours des 60 dernières années, d’après la FAO, et l’utilisation d’engrais chimiques et de pesticides de synthèse continue d’augmenter fortement. En France, les superficies irriguées ont triplé entre 1970 et 2010 pour atteindre environ 9 % de la superficie agricole utilisée. Cette augmentation de l’irrigation a accompagné le développement de la production de maïs fourrager lié à la croissance de l’élevage intensif et qui occupe près de la moitié des surfaces irriguées [lire]. Bref, on a augmenté notre dépendance sur une ressource aléatoire et en voie de diminution, et on a créé plus de risques de pollution !


Au niveau mondial, l’agriculture est de loin la principale utilisatrice de l’eau (environ 70 % du total) ; par conséquent, nos choix alimentaires ont un impact très fort sur l’utilisation de l’eau. Le diagramme ci-dessous donne une idée de l’eau nécessaire pour produire quelques aliments importants, sachant que ce volume peut varier, bien entendu, selon la manière dont ils sont produits. Par exemple, la quantité d’eau nécessaire à la production d’un kilogramme de viande de bœuf produit dans un système d’élevage intensif (parc d’engraissement) peut atteindre jusqu’à 100 000 litres d’eau dans des situations extrêmes, contre 15 000 litres en moyenne, et bien moins pour les animaux élevés sur des pâturages naturels ! (voir diagramme ci-dessous). Il est donc important de se renseigner sur comment un aliment donné a été produit.


Combien d’eau de pluie et d’irrigation est utilisée ou polluée

pour produire notre nourriture ?




                                 Source: Nations Unies          Télécharger le diagramme : Eau et aliments.png


Sachant qu’on estime qu’en France une personne utilise environ 200 litres d’eau par jour pour les besoins quotidiens comme l’hygiène et l’assainissement, contre seulement 30 litres par jour pour un habitant d’une ville d’Afrique [lire], il est utile de voir ce que l’eau consommée dans notre alimentation représente. Le résultat est impressionnant puisque si l’on considère l’eau utilisée pour produire le blé, les viandes de bœuf, de porc et de poulet et le lait consommé en moyenne par les Français, son total représente plus de 10 fois la consommation moyenne d’un individu pour ses besoins quotidiens (voir tableau ci-dessous).


Consommation moyenne d’eau pour l’alimentation en France (2013)



Source : calculs effectués à partir de données FAOSTAT et ONEMA


Bien sûr, cette consommation d’eau se compose de trois types principaux : l’eau de pluie (pour la plus grande partie du blé et une partie de la production animale), l’eau d’irrigation (pour une partie de la production de viande, puisque les animaux d’élevage consomment au niveau mondial environ la moitié du grain produit et la totalité des cultures fourragères - dont une part est irriguée), et l’eau potable publique ou privée (pour les besoins quotidiens, mais aussi pour abreuver le bétail).


Dans notre quotidien, nous pouvons faire quelque chose pour contribuer à améliorer la situation de l’eau :

  1. En modifiant notre consommation alimentaire pour l’orienter vers des produits nécessitant moins d’eau, ce qui permettra de lutter contre le gaspillage ;

  2. En choisissant des produits issus de l’agriculture biologique moins polluante car elle n’utilise pas d’engrais ou de pesticides de synthèse ;

  3. En changeant nos pratiques quotidiennes (utilisation de réducteurs de débit sur les robinets, douches courtes plutôt que bains, chasses d’eau à double commande, etc.) [lire] et en limitant au mieux l’utilisation de plastique et en le recyclant autant que possible [lire].


La modification de notre consommation alimentaire permettra également de réduire les gaz à effets de serre (GES) produits par l’agriculture [lire] sans pour autant provoquer de problème nutritionnel, bien au contraire. Les politiques publiques de nos pays, si elles sont profondément réformées, peuvent faciliter cette réorientation [lire]. Il faudra notamment abandonner la stratégie inégalitaire et très coûteuse du « tout pour l’irrigation » pour investir davantage de ressources dans la recherche publique en vue de la sélection de variétés végétales et de techniques culturales mieux adaptées à l’évolution des conditions climatiques et de la disponibilité en eau. Ce ne sera pas facile, car de puissants lobbys, tels que le Malabo Montpellier Panel poursuivent sans relâche la promotion de l’irrigation [lire en anglais] et de la mécanisation de l’agriculture [lire en anglais] en Afrique, au profit de grandes entreprises de travaux publics, de l’industrie automobile et des investisseurs privés.


En ce début de XXIe siècle, nous avons enfin compris que R. Dumont avait raison. Maintenant il faut agir avant qu’il ne soit trop tard.



—————————————

Pour en savoir davantage :


  1. Le Monde/AFP, Brésil : après la rupture d’un barrage minier, les chances « minimes » de retrouver des survivants, Le Monde, 2019.

  2. Service-public.fr, Restrictions d'eau : quels sont les départements concernés ? 2018.

  3. Valot, M., La qualité de l’eau se dégrade encore en France, Le Monde, 2017.

  4. Bao Xiaodong, Chine. Un avenir noir pour le fleuve Bleu, Courrier International, 2012.

  5. Lerbourg, J., Des surfaces irrigables en baisse à partir de 2000, Primeur, No. 292, Agreste, 2012.

  6. Florian, 16 astuces pour économiser l’eau et réduire sa facture, Nature Obsession, 2012.

  7. René Dumont, Campagne présidentielle 1974, 19 avril 1974, Archive INA, 1974.

  8. ONEMA, Les usages de l’eau, Les Agences de l’eau, septiemecontinent.com, site web.



Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. Politiques pour une transition vers des systèmes alimentaires plus durables et plus respectueux du climat, 2018.

  2. L’omniprésence du plastique : du plastique protégeant la nourriture à la nourriture contenant du plastique, 2018.

  3. L’utilisation de pesticides continue sa progression en France, 2018

  4. Alimentation, environnement et santé, 2014/2017.

  5. Le climat change, l’alimentation et l’agriculture aussi, 2016.

  6. Meat Atlas: un bilan sans concession sur la viande dans le monde, avec quelques notes d’espoir, 2014.

  7. L’eau - La stratégie du «tout pour l’irrigation» a abouti à un système inégalitaire fragile et gaspilleur, 2013.


 

Dernière actualisation:    avril 2019

Pour vos commentaires et réactions: lafaimexpl@gmail.com