Nouvelles

 

26 décembre 2014



Au-delà de 2015 : les fondations de la « Route vers la Dignité » demanderont encore davantage de ‘travaux de terrassement’


Dans son rapport de synthèse sur l’« après 2015 », «La route vers la dignité en 2030 : En finir avec la pauvreté, transformer toutes les vies et protéger la planète », le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, tente de tirer les leçons de deux décennies de développement et propose une vision au-delà de 2015.


Il parle au nom de l’Humanité, utilise le pronom « nous » et fait des affirmations qui sonnent comme si « nous » étions un groupe bien homogène. Or, plusieurs des affirmations faites dans l’introduction du rapport qui décrit les progrès faits au cours des 7 dernières décennies ne seraient certainement pas approuvées par une partie importance des habitants de la planète, telles que : « Nous avons réduit la violence..., établi... un code de principes universels acceptés par tous... » Il reconnait cependant que « notre univers mondialisé est marqué par des progrès extraordinaires tout autant que par des manquements, des craintes, des discriminations, de l’exploitation, de l’injustice et de folies environnementales inacceptables - et non durables - à tous les niveaux », et il reconnait que ces problèmes « résultent d’actions et d’omissions qui sont l’oeuvre de personnes - institutions publiques, secteur privé et d’autres, dont le rôle est de protéger les droits humains et respecter la dignité humaine ».


La solution à tous ces problèmes, selon le Secrétaire général s’appelle « leadership et action conjointe », pointant ainsi l’incapacité qu’a le  monde de s’équiper d’une gouvernance mondiale appropriée qui pourrait effectivement diriger et coordonner les actions requises pour s’attaquer à tous les « maux » énumérés, malgré les avancées faites dans certains domaines.


Parmi les sphères dans lesquelles des résultats ont été atteints et qui sont mentionnées par le rapport, se trouvent les progrès réalisés dans la réduction de la pauvreté - « le monde a réduit de moitié la pauvreté extrême, faisant sortir 700 millions de personnes de l’extrême dénuement » -, un fait contesté pour cause de manipulation de données [lire en anglais]. Des critiques similaires ont été faites quant aux estimations relatives à la diminution de la faim [lire]. Le Secrétaire général cite également les millions de vies sauvées grâce à la lutte contre la malaria et la tuberculose, où des résultats ont été dus principalement aux financements obtenus de fondations privées qui représentent à présent plus de 50% du financement de l’aide publique, si l’on en croit l’Index of Global Philanthropy and Remittances 2013. Cette situation n’est que partiellement reconnue par le rapport qui suggère que : « les voix des populations à travers le monde ont souligné la nécessité de... nouveaux partenariats innovants, y compris avec des entreprises responsables ». Mais les implications de cet état de fait sur la gouvernance et la démocratie ne sont pas analysées, alors même que ces aspects sont pourtant une préoccupation constante du rapport.


La partie « Ce que nous avons appris de deux décennies d’expérience du développement » donne une longue liste des résultats positifs (ou potentiellement positifs) obtenus récemment, même ceux qui sont plutôt douteux. Par exemple, elle se vante que « certains pays ont démontré un réel progrès dans la réduction des inégalités » quand les statistiques produites par la Banque mondiale suggèrent que les inégalités ont augmenté dans tous les pays du monde [voir la vidéo en anglais] et que dans certains pays les 1% plus riches se sont accaparé la plus grande partie des bénéfices de la croissance de ces dernières années [lire dans le cas des États-Unis, en anglais]). Le rapport a donc tendance à donner une vision trop optimiste des résultats atteints et apporte très peu, voire rien du tout malheureusement, en terme d’analyse des ressorts qui pourraient expliquer ce qui s’est produit dans le monde depuis le lancement des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), il y a près de 15 ans. C’est là cependant le type d’analyse que l’on pouvait atteindre d’un tel rapport, et qui serait d’une grande utilité pour guider l’action future. Mais, plutôt, le rapport se complait à s’étendre longuement sur les étapes du processus Post-2015 par lequel les nouveaux objectifs mondiaux seront négociés, en concluant que « un accord commun s’est dégagé sur la nécessité d’un programme universel... centré sur la population et sensible aux enjeux de la planète... pour combler les principales lacunes relatives au développement durable des OMD... qui ne laisse personne sur la touche, assure l’égalité, la non discrimination, l’équité et l’inclusion à tous les niveaux... et assure un environnement favorable à la construction de sociétés inclusives et paisibles... avec un cadre de suivi et d’évaluation participatif, rigoureux afin de responsabiliser devant la population les gouvernements, les entreprises et les organisations internationales. »


Voilà un super programme que nul ne saurait probablement vraiment critiquer ! Mais la question reste entière sur comment parvenir aux résultats escomptés et quel devrait être le contenu du programme proposé pour au-delà 2015 ! Au lieu des huit OMD, le rapport propose, comme recommandé par l’Assemblée générale des Nations Unies, d’utiliser comme base de départ les 17 objectifs plus détaillés mis en avant par le Groupe de travail ouvert de l’Assemblée générale sur les objectifs de développement durable [lire le rapport]. Cette proposition fera l’objet de négociations au cours de 2015, sur la base de six éléments essentiels: les personnes, la dignité, la prospérité, la justice, le partenariat et la planète.



Pour ce qui est de l’exécution du programme, les gouvernements sont censés aligner leur budget sur ces nouveaux objectifs. Des ressources sont aussi attendues du secteur privé, avec la possibilité de les combiner avec de l’argent public, une tendance qui s’est déjà développée au cours de ces dernières années et qui soulève un certain nombre de questions [lire ici et ici]. Les gouvernements sont aussi vivement encouragés à respecter, enfin, l’engagement qu’ils avaient pris, il y a bien des années déjà, d’allouer au moins 0,7% de leur PIB à l’aide publique au développement (APD) et de maintenir la proportion de l’APD qui va aux pays moins avancés. Le rapport met également en avant pour l’avenir la lutte contre les mouvements illicites de capitaux, la coopération fiscale, la réduction des coûts du transfert de fonds par les migrants, le respect des normes fondamentales du travail, le développement de technologies durables et l’investissement dans les capacités humaines.  


Pour suivre les résultats futurs, le rapport se prononce en faveur de nouveaux paramètres pour décrire « le progrès social, le bien-être humain, la justice, la sécurité, l’égalité et la durabilité » mieux que les indicateurs utilisés jusqu’à présent, comme par exemple le PIB. Le processus de suivi-évaluation proposé est essentiellement national, avec une revue par les pairs au niveau régional, et un échange de connaissance au niveau mondial. Comme l’on pouvait s’y attendre, la gouvernance repose sur le bon vouloir des gouvernements. Aucune tentative n’est faite pour obtenir un quelconque abandon de souveraineté qui rendrait obligatoire le respect des principes proposés dans le programme et prendrait soin du risque que certains pays se comportent en « passager clandestin », ce qui découragerait les autres pays de prendre des mesures qui pourraient affecter la compétitivité de leur économie.


En résumé, ce rapport n’est pas au niveau auquel il aurait dû être. Il propose des objectifs ronflants mais comporte des lacunes importantes quand il s’agit de se mettre sur la table une description claire et bien argumentée de ce qui devrait être fait pour les atteindre et notamment quels changements à apporter à la gouvernance mondiale pour qu’ils puissent se traduire dans la réalité. Davantage de travail sera requis pour apporter plus de crédibilité et plus de chance de réussite au programme Post-2015.


---------------

Pour en savoir davantage :


  1. -Nations Unies, The Road to Dignity by 2030: Ending Poverty, Transforming All Lives and Protecting the Planet, Report of the UN Secretary-General, version préliminaire non éditée, décembre 2014, New York (en anglais)

  2. -Lafaimexpliquee.org, Dans la tradition des grandes fondations privées : le gâchis de la Fondation Gates, novembre 2014

  3. -Nations Unies, Rapport du Groupe de travail ouvert de l’Assemblée générale sur les objectifs de développement durable, août 2014, New York

  4. -Lafaimexpliquee.org, Le monde de demain:  l’inquiétante vision du Panel de haut niveau des éminentes personnalités sur l’Agenda pour le développement post-2015, février 2014


 

Dernière actualisation:    décembre 2014

Pour vos commentaires et réactions: lafaimexpl@gmail.com