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25 août 2016
Les entreprises européennes et l’accaparement des terres : des preuves de violations des droits humains
Quand le monde prit conscience de l’accaparement des terres, la tendance était de pointer du doigt les États du Golfe, la Chine ou la Corée du Sud comme principaux responsables. Un récent rapport préparé pour la Direction générale des politiques externes du Parlement européen montre que les entreprises basées dans l’UE ont été fortement impliquées dans l’accaparement des terres et coupables de violations des droits humains.
Le rapport, « Accaparement des terres et droits humains: l’implication des entreprises et sociétés financières européennes dans l’accaparement des terres en-dehors de l’Union européenne » (Land grabbing and human rights: The involvement of European corporate and financial entities in land grabbing outside the European Union, disponible en anglais uniquement) préparé par un groupe de spécialistes de l’International Institute of Social Studies (La Haye, Pays-Bas) et de FIAN-Germany (Pour le droit à une alimentation adéquate - ) apporte des preuves de la participation active des compagnies et sociétés financières européennes dans des transactions foncières effectuées en-dehors de l’UE. Il analyse leur impact sur les communautés vivant dans les zones où les investissements ont lieu et pointe de très sérieuses limitations dans la réaction de l’UE face aux défis relatifs aux droits humains survenant dans le contexte de l’accaparement des terres. Il montre aussi que « l’auto-régulation et la responsabilité sociale des entreprises sont insuffisantes et inappropriées pour répondre aux questions de droits humains dans le contexte de l’accaparement des terres ». Il conclut en affirmant que « le caractère complexe multi-niveau de l’accaparement des terres, l’implication de différents acteurs de l’UE et les différents mécanismes d’accaparement des terres requiert la prise d’un ensemble de mesures réglementaires par divers organes de l’UE et de ses [États membres] ».
Le rapport identifie cinq mécanismes au sein de la complexité des processus d’accaparement des terres et des réseaux d’investissements, par lesquels l’accaparement des terres se fait et qui doivent être bien compris pour pouvoir faire face aux défis qu’ils génèrent en terme de droits humains :
•« Les entreprises privées basées en UE participent à l’accaparement des terres par l’intermédiaire de différentes formes de transactions foncières ;
•Les sociétés financières basées en UE, y compris des sociétés publiques et des fonds de pensions privés, participent à l’accaparement des terres ;
•L’accaparement des terres se fait par le truchement de partenariats public-privé (PPP)
•Les fonds de développement de l’UE participent à l’accaparement des terres ; et,
•Des entreprises de l’UE participant à l’accaparement des terres tirent avantage des politiques de l’UE et prennent le contrôle de ressources par l’intermédiaire des chaines de valeur. »
Des exemples concrets sont présentés dans le rapport pour illustrer chacun de ces mécanismes. Le rapport montre également que « alors que l’accaparement des terres qui expulse la population de leur territoire est chose commune, ce n’est pas nécessairement le seul moyen par lequel les États centraux et les entreprises s’engagent dans des processus de “prise de contrôle” dans le cadre desquels des violations des droits humains peuvent se produire ».
Il fait la distinction entre quatre contextes dans lesquels les droits humains peuvent être violés :
-Les personnes sont expulsées de leur terre ;
-Les personnes sont embauchées pour travailler la terre, mais dans des conditions qui relèvent de l’exploitation ;
-Les personnes sont privées d’accès à leur terre du fait de transactions foncières qui en bloquent l’accès (par exemple, leur terre peut se retrouvée enclavée dans de nouvelles plantations résultant de transactions foncières) ;
-Les personnes peuvent avoir été expulsées depuis longtemps de leurs terres qui leur appartenaient historiquement, et elles se retrouvent marginalisées et leur droit de récupérer l’accès à leur terre n’est pas reconnu.
Là aussi, dans chaque cas, des exemples précis sont présentés.
L’adoption de cette acception très large suggère que l’accaparement des terres est un phénomène bien plus étendu que ce que l’on a pu croire jusqu’à présent en l’approchant par exemple par les données présentées par la Land Matrix [voir notre article “La terre: une ressource essentielle menacée et inégalement distribuée” et sa partie portant sur l’accaparement des terres] et comprend aussi les terres tombant sous les accords REDD [lire notre article “La forêt: les communautés rurales prises entre les marchés et l’objectif de préservation de la planète” et sa partie portant sur les concessions «carbone»].
Sur cette base, le rapport affirme que les compagnies basées en UE ont été parties prenantes de 323 transactions affectant 5,8 millions d’hectares, dont 60% en Afrique, 26% en Amérique Latine et 14% en Asie. Les deux pays les plus activement impliqués sont le Royaume Uni (124 transactions, 2 millions d’hectares) et la France (40 transactions, 0,6 million d’hectares).
Mais l’implication réelle, au travers de réseaux d’investissement, peut être encore bien plus importante. Par exemple, selon une étude de 2010 citée par le rapport, DWS, le fonds allemand d’investissement, a financé des compagnies qui contrôlent plus de 3 millions d’hectares, alors que les estimations de la participation allemande dans l’accaparement des terres mentionne en général un chiffre de 0,3 million d’hectares seulement. D’autres cas présentés par le rapport montrent que l’accaparement des terres se fait parfois par des entreprises qui bénéficient du soutien d’agences d’aide (voir par exemple la compagnie Feronia Inc., basée à Toronto, qui a obtenu plus moins directement des fonds ou du soutien, entre autres, d’institutions financières africaines bilatérales ou multilatérales, du FIDA, de l’UNIDO, d’AGRA, du DFI britannique, de l’agence de coopération italienne, de l’AFD française (Proparco), de la Banque africaine de développement, et de beaucoup d’autres agences d’aides ou de banques de développement européennes).
Le rapport mentionne également des cas de violence à l’encontre d’opposants aux projets soutenus par l’UE et qui ont vu l’assassinat de militants (voir par exemple le cas de Berta Cáceres et Nelson García au Honduras, Feronia en RDC, Marlin au Guatemala, meurtres de membres des Guarani-Kaiowá au Brésil, etc.).
Le rapport passe aussi en revue la réponse de l’UE à l’accaparement des terres et conclut en faisant une série de recommendations sur comment l’UE peut « jouer un rôle pour arrêter l’accaparement des terres et réagir activement aux violations des droits humains ». En particulier, il argumente en faveur, entre autres, des mesures suivantes :
•Une série de mesures réglementaires qui sont conçues pour s’attaquer à la racine du problème, telles que :
•La modification des clauses portant sur les droits humains dans les accords commerciaux et d’investissement
•La reconnaissance de plaintes faites par des individus ou des groupes dont les droits humains ont été négativement affectés
•La réalisation systématique d’évaluations préalables d’impact sur les droits humains
•La conduite d’évaluation d’impact sur les droits humains par le Parlement européen et la Commission
•L’abandon de l’objectif relatif aux agro-carburants et l’exclusion de la bioénergie de la prochaine directive de l’UE sur les énergies renouvelables
•La fin du soutien apporté à la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition en Afrique
•Le soutien à la mise en oeuvre des Directives volontaires pour une Gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts du CSA
•La création au niveau de l’UE d’un registre de tous les acteurs européens participant à des transactions foncières hors de l’Union
•L’accès assuré par les membres de l’UE aux victimes à des facilités judiciaires effectives, y compris en assumant la juridiction dans les cas de violations des droits humains par les acteurs basés dans l’Union
•La poursuite et l’intensification du soutien et de la protection des défenseurs des droits humains
•La production d’une ‘boite à outils’ sur l’accaparement des terres pour le personnel du siège de l’UE, des capitales des pays membres, des délégations, des représentations et des ambassades de l’Union.
Il sera intéressant de voir dans quelle mesure ces recommandations seront effectivement mises en oeuvre dans un futur proche et si elles parviendront réellement à éliminer la participation des entreprises et sociétés financières européennes dans l’accaparement des terres.
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Pour en savoir davantage
-Direction générale des politiques externes du Parlement européen, ‘Land grabbing and human rights: The involvement of European corporate and financial entities in land grabbing outside the European Union, 2016 (disponible en anglais uniquement)
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Dernière actualisation: août 2016