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Déceptions génétiquement modifiées*


par Jomo Kwame Sundaram** et Tan Zhai Gen***



Les défenseurs des plantes génétiquement modifiées (GM) ont, depuis longtemps, affirmé que le génie génétique est nécessaire pour augmenter les rendements des cultures et réduire l’exposition de l’humanité aux produits agrochimiques. Le génie génétique s’accompagnait de la promesse de deux améliorations majeures : augmenter les rendements à un prix abordable en vue de nourrir le monde, et rendre les cultures résistantes aux ravageurs afin de réduire l’utilisation d’herbicides et de pesticides chimiques du commerce.


La modification génétique des cultures par la sélection naturelle ou le croisement artificiel a été pratiquée pendant des millénaires, ce qui a produit des espèces plus productives et plus résistantes. Le terme de ‘génie génétique’ se réfère plus précisément à l’introduction artificielle de matériel génétique en vue de produire des variétés GM.





La fracture transatlantique


Un rapport par l’Académie états-unienne des sciences, d’ingénierie et de médecine (United States National Academy of Sciences, Engineering and Medicine) – cité par le New York Times – a trouvé que le gain en rendement des cultures GM américaines s’est ralenti au cours des années, ne laissant pas d’avantage significatif à ces cultures en termes de gain de rendement si on les compare aux variétés de plantes non GM. Il y a plus de deux décennies, l’Europe occidentale a largement rejeté les cultures GM alors que l’Amérique du Nord - les États-Unis puis le Canada - les a adoptées. Plus de vingt ans plus tard, les gains de rendement états-uniens ne sont pas significativement plus élevés que ceux observés en Europe occidentale.


Depuis l’adoption des cultures GM, l’utilisation des d’herbicides a augmenté aux États-Unis. La diminution d’utilisation de certains herbicides s’est accompagnée d’une forte augmentation d’utilisation du glyphosate, un ingrédient essentiel utilisé pour la culture des plantes GM. C’est là une évolution qui contraste avec la situation en France qui interdit la culture des plantes GM et où l’utilisation des herbicides a été réduite du fait des efforts de l’Union européenne.


Les cultures GM résistant au glyphosate survivent à l’épandage d’herbicide qui tue les plantes adventices non résistantes. Cependant, l’augmentation de la résistance des adventices au glyphosate a entraîné une application de doses plus massives. Par exemple, bien que les superficies couvertes de soja GM aient augmenté de moins du tiers au cours des deux dernières décennies, l’utilisation d’herbicide a doublé. L’usage d’herbicide pour la production de maïs était en diminution avant l’introduction de cultures GM, mais elle est en hausse depuis 2002.


Le glyphosate a été évalué comme cancérigène par le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé. Certains herbicides à base de glyphosate contiennent aussi d’autres herbicides plus toxiques - tel que le 2,4-D, un ingrédient essentiel de l’Agent Orange, le tristement célèbre défoliant utilisé lors de la guerre du Vietnam - pour augmenter leur efficacité contre les adventices résistantes.


Une baisse de diversité


Les cultures GM, souvent dotées de caractéristiques qui tendent à la monoculture, ont été présentées comme plus productives que les cultures non GM. Quand les producteurs adoptent les variétés de culture GM, les autres variétés sont abandonnées et l’accès à ces semences se retrouve de plus en plus entre les mains de compagnies transnationales géantes plutôt qu’entre celles d’agences publiques.


Mais quand les producteurs perdent confiance envers les cultures GM ou souhaitent se tourner vers des variétés non GM pour d’autres raisons, ils ne sont plus en mesure de revenir simplement vers leurs anciennes variétés non GM ou de les croiser. Ils sont alors contraints d’acheter des semences auprès de ces mêmes compagnies semencières transnationales et monopolistes.


De même, on ne peut pas sous-estimer l’impact sur la diversité écologique qui joue un rôle important dans la préservation des écosystèmes fragiles. La réduction de la biodiversité transforme fondamentalement les écosystèmes. Les riches connaissances traditionnelles des paysans - relatives à l’utilisation des plantes et d’autres ressources naturelles pour préserver la santé du sol et de la plante, et pour conserver l’eau et d’autres ressources naturelles - sont également négligées en faveur de solutions ‘high-tech’, génétiquement modifiées, agrochimiques ou autres ‘industrielles’ qui, à chaque fois, entraînent de nouveaux problèmes. Par exemple, les pesticides sont censés être toxiques seulement pour les animaux nuisibles et pas pour les autres, mais la plupart d’entre eux sont cancérigènes ou présentent d’autres dangers pour la santé humaine.


Alors que les cultures GM offrent quelques bénéfices, leurs avantages non démontrés en termes de productivité et l’augmentation de la résistance des nuisibles réduisent le prétendu gain que l’on annonçait pouvoir tirer de leur utilisation, par rapport à celle des variétés développées de façon conventionnelle. Les cultures GM paraissent être sans danger, mais il subsiste beaucoup d’incertitude sur leurs effets à long terme, y compris la résistance croissante des animaux nuisible et la diminution de la biodiversité. L’éthique scientifique qui conseille la précaution en face de l’incertitude semble avoir été abandonnée au bénéfice d’un opportunisme économique qui prétendait augmenter la productivité et réduire la dépendance envers les produits agrochimiques, bienfaits qui n’ont été réalisés ni l’un ni l’autre.


Le pouvoir croissant des grandes entreprises


Comme beaucoup de compagnies et conglomérats vendent à la fois des semences GM et des produits agrochimiques requis pour augmenter les rendements, le potentiel pour d’autres types d’innovations est inévitablement diminué. Des fusions et acquisitions récentes ont encore consolidé davantage les oligopoles vendant à la fois les semences et les produits agrochimiques, comme l’illustre l’offre d’acquisition de Monsanto par Bayer. Il n’est donc pas surprenant si les compagnies ont moins d’incitations pour développer de nouvelles caractéristiques ou investir lourdement pour s’attaquer à d’autres problèmes, alors qu’une résistance accrue des nuisibles provoque une augmentation de leurs ventes de pesticides et de leurs profits.


Tout cela est souvent justifié par la nécessité urgente de nourrir des centaines de millions de personnes affamées dans le monde. Cependant, bien qu’il y ait déjà suffisamment de nourriture produite pour nourrir tout le monde, le vrai problème est celui de l’accès, dans la mesure où la plupart des personnes souffrant de la faim n’ont pas les moyens d’acheter ou de produire la nourriture qu’il leur faut.


Par conséquent, alors que l’agro-industrie états-unienne a depuis longtemps prétendu que les OGM “sauveront le monde”, il y a peu de preuves dans ce sens, deux décennies plus tard. Les partisans choisissent leurs preuves pour étayer les prétentions exagérées que les variétés GM répondraient aux besoins des différentes parties du monde, bien que leur véritable bilan soit bien plus modeste et mixte.


Une grande partie de la résistance contre les cultures GM provient des intérêts et des méthodes adoptées par les transnationales qui dominent la production alimentaire directement ou indirectement par le contrôle et la promotion des semences, des produits agrochimiques, etc.



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*     Publié initialement sur Interpress Service, le 16 mai 2017, sous le titre « Genetically Engineered Disappointments » http://www.ipsnews.net/2017/05/genetically-engineered-disappointments/

**   Jomo Kwame Sundaram, ancien professeur d’économie, a été Assistant Secrétaire Général des Nations Unies pour le développement économique, Assistant Directeur Général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et a reçu le Prix Wassily Leontief pour avoir fait avancer les frontières de la pensée économique en 2007.

***  Tan Zhai Gen est stagiaire au Khazanah Research Institute de Kuala Lumpur, Malaisie.




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Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org et liés à ce sujet :


  1. Une nouvelle génération d’OGM produite à partir de la technique d’interférence par l’ARN échappe à la réglementation et risque d’envahir le marché au États-Unis. Qu’en sera-t-il dans le reste du monde ?, 2015

  2. Ces grandes compagnies qui veulent notre bien... : l’amont, 2014

  3. Biodiversité contre OGM : comment donner aux plantes une meilleure capacité de résistance à la sécheresse ?, 2014

  4. Les ressources génétiques - L’accélération de la privatisation du vivant constitue une menace pour l’alimentation et la biodiversité, 2013

  5. Idée reçue 11: les OGM sont la solution pour la faim dans le monde, 2012


 

Dernière actualisation: mai 2017

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