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8 novembre 2016


La course aux super cultures : quelles solutions pour améliorer l’efficacité de l’utilisation des nutriments du sol par les plantes ?



L’azote (N) est un élément majeur entrant dans la composition des plantes et un facteur essentiel de leur croissance. Bien que l’azote soit un élément disponible en grande quantité dans notre environnement (notre air est composé à 80% de la molécule N2), il ne peut pas être assimilé directement sous cette forme moléculaire par la plupart des plantes, en particulier les céréales. Les légumineuses, elles, du fait de leur association symbiotique avec la bactérie Rhizobium, ont cependant cette capacité.


D’un point de vue historique et surtout depuis la fin de la Second guerre mondiale, la priorité a été, au niveau mondial, à l’apport aux plantes d’azote sous une forme assimilable, par l’intermédiaire de l’application de divers types d’engrais azotés. Selon la FAO, le monde a utilisé 109 millions de tonnes d’azote élément fertilisant en 2014, 22% de plus qu’en 2004. Les autres sources importantes en éléments azotés sont les déjections animales, les résidus des cultures et les cultures associées (l’association avec des légumineuses - y compris de légumineuses arborées - comme c’est le cas traditionnellement en Afrique de l’Ouest entre le mil, le haricot niebe et l’acacia albida/gao).




Les engrais azotés posent cependant plusieurs problèmes.


Premièrement, seule une fraction des nutriments apportés à la terre sont véritablement absorbés et utilisés par les plantes. On estime ainsi que seul 30 à 50% de l’engrais répandu sur les cultures est effectivement utilisé par les plantes, le reste étant lessivé et contaminant les nappes phréatiques, les rivières, les lacs et la mer, avec des conséquences dramatiques sur la santé, l’eutrophisation des plans d’eau, le pullulement d’algues, etc…


Deuxièmement, l’engrais azoté a un fort contenu énergétique puisque la réaction chimique requise pour transformer N2 en une forme chimique assimilable par les plantes (la réaction de Haber) demande de grandes quantités d’énergie. Certaines estimations place à 1% la part de la consommation mondiale d’énergie utilisée pour la fabrication d’engrais azotés.


Troisièmement, le prix de l’engrais azoté a fortement augmenté. Par exemple, aux États-Unis, le prix à la ferme du populaire nitrate d’ammonium a plus que doublé entre 2003 et 2013, passant de 243 dollars à 544 dollars la tonne. Des augmentations semblables ont été constatées  pour d’autres engrais azotés aux E.U (USDA/ERS), au Royaume Uni (AHDB) et en France (INRA).


En réaction à ces questions, les industriels des engrais, dont le chiffre d’affaires annuel est bien au-dessus de 150 milliards de dollars, et leur association (l'IFA dont le siège est à Paris) ont, dès l’époque de la crise de 2007/08, souligné dans leurs messages la nécessité d’utiliser les engrais de façon plus efficace, en dirigeant mieux leur application (agriculture de précision, engrais à libération lente et contrôlée, etc.) ce qui permet de réduire les quantités épandues et les coûts.


En parallèle à cette évolution, l’industrie semencière a recherché à améliorer l’efficacité de l’utilisation des engrais par les cultures. Certains média on appelé cette tendance la « course à la création de super cultures » (Nature).


Une façon de procéder a été de rechercher, au niveau cellulaire, d’éventuels facteurs physiologiques limitant la métabolisation de l’azote et de les dépasser en créant des «super cultures OGM». C’est l’approche adoptée par des compagnies privées telles que Arcadia Biosciences et plus récemment FuturaGrene qui travaillent sur la création de peupliers efficaces du point de vue de l’azote, en vue de la production d’agrocarburants qui demanderaient jusqu’à 50% de moins d’azote que les variétés existantes. Des prototypes de maïs, blé, orge, soja, riz, coton, luzerne, colza et de quelques arbres ont également été créés et ont fait l’objet de patentes. Mais pour le moment, aucune de ces variétés améliorées n’ont encore été commercialisées par les partenaires d’Arcadia, tels que Monsanto et DuPont, pour la simple raison que les variétés créées ne sont pas suffisamment stables, que leur performances sont très variables selon les conditions agro-écologiques et que le métabolisme d’une plante est un phénomène très complexe qui ne dépend pas simplement d’un gène ou d’un paquet de gènes. Mais les scientifiques annoncent que l’on peut s’attendre à ce que de telles variétés améliorées seront mises sur le marché prochainement.


Une autre approche a été de chercher des moyens d’améliorer l’efficacité de l’interface entre les plantes et le sol en stimulant l’activité biologique autour des racines. Sur lafaimexpliquee.org, nous avons déjà eu l’occasion de parler des efforts faits par Adaptive Symbiotic Technologies et Indigo Agriculture en vue de créer et renforcer les relations symbiotiques entre les plantes et les microorganismes notamment pour augmenter la capacité d’absorption des nutriments par les plantes [lire ici].


Pour les légumineuses qui, comme nous l’avons déjà rappelé, ont la capacité de fixer l’azote grâce au Rhizobium, le facteur limitant est le phosphore. Dans ce cas, la recherche s’est concentrée sur l’identification de variétés efficaces sur la base de la taille de leur système radiculaire qui constitue l’interface entre la plante et le sol. Ainsi, par exemple, des chercheurs ont pu trouver des variétés de haricot avec de grands systèmes radiculaires qui arrivent à atteindre jusqu’à trois fois le rendement des haricots moyens. Ces efforts, qui reposent sur des techniques traditionnelles de sélection des variétés, semblent donner des résultats meilleurs que les techniques de génie génétiques produisant des OGM. Des recherches du même ordre sur des céréales (maïs, mais aussi riz par l’IRRI) ont aussi démontré que des variétés avec des systèmes radiculaires plus importants produisent davantage.


Notre réaction, à lafaimexpliquee.org, face à ces développements, est que nous sommes convaincus que la réduction de l’utilisation d’engrais chimiques, et tout particulièrement d’engrais azotés, est une nécessité absolue à cause de l’effet délétère qu’ils ont sur notre environnement, le climat et la santé. Cette réduction devrait cependant respecter deux principes indispensables :


  1. les solutions proposées devraient s’appuyer sur des processus qui existent à l’état naturel et non sur des processus créés artificiellement

  2. les solutions proposées devraient être accessibles à tous les producteurs, particulièrement ceux qui sont pauvres et souffrent de sous-alimentation.


Le non respect de ces deux principes fondamentaux s’accompagnerait du risque de création d’impacts négatifs inattendus qui pourraient avoir des effets dramatiques et d’exclure des avancées faites ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire les paysans pauvres et sous-alimentés.




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Pour en savoir davantage :



  1. -Gilbert, N., The race to create super-crops, Nature, 2016 (en anglais)

  2. -Vezina, K., Nitrogen-efficient crops: The holy grail of agricultural biotech? Genetic Literacy Project (Science, not ideology), 2013 (en anglais)

  3. -MaxiScience Riziculture : un gène pour améliorer le rendement, 2012

  4. -Arcadia Bioscience, Nitrogen Use Efficiency, Website



Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org et liés à ce sujet :


  1. -Pour produire davantage: s’allier à la nature au lieu de la combattre, 2016

  2. -Alimentation, environnement et santé, 2014

  3. -Nouvelle variété de riz développée par l’IRRI adaptée aux sols pauvres en phosphore, 2012

 

Pour vos commentaires et réactions: lafaimexpl@gmail.com

Dernière actualisation:    novembre 2016