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30 mars 2021


Entreprises responsables ou verdissement affiché ?

L’industrie de la certification au service des multinationales


Profits immédiats ou durabilité ? Quelle est la priorité ?


Au cours de ce mois de mars, l’affaire Danone a défrayé la chronique en France. Après avoir été démis de ses fonctions de directeur général, le 1er mars dernier, Emmanuel Faber, PDG de la multinationale de l’alimentaire depuis 2017, a été pur et simplement débarqué de l’entreprise le 14 mars, victime d’une fronde organisée par trois fonds d’investissement activistes, actionnaires minoritaires, détenant chacun à peine quelques pour cent du capital de Danone. Il s’agit du Californien Causeway Capital Management, du londonien Bluebell Capital et de l’investisseur du Wisconsin Milwaukee Artisan Partners.


Les commentateurs ont généralement expliqué le départ d’E. Faber par son caractère atypique. En effet, il a démontré un réel engagement social et environnemental [lire], a renoncé, en avril 2019, à une retraite chapeau estimée à approximativement 28 millions d’euros et est à l’initiative de la décision par 99 % des actionnaires de Danone, en juin 2020, de faire de la multinationale la première société du CAC40 à être une « entreprise à mission » préoccupée des aspects environnementaux et sociaux de ses activités.




Les trois actionnaires, pour leur part, affirment que c’est la mauvaise performance boursière du groupe agroalimentaire (moins 25 % en un an) qui est à l’origine de la chute du PDG. Elle s’expliquerait par un net recul des ventes lié à la pandémie (eaux minérales et alimentation pour bébé, notamment) et par des acquisitions contestables (au rang desquelles celle du géant américain du bio, WhiteWave, en 2017, qui a permis à Danone de devenir le numéro un du bio aux États-Unis) [lire]. En cela, les actionnaires activistes ont repris à leur compte l’affirmation de Milton Friedman dans le New York Times, en 1970, que « La responsabilité sociale des entreprises est d’augmenter ses profits » [lire en anglais]. L’ironie du sort veut que deux parmi ces trois actionnaires rebelles aient signé les principes pour l’investissement responsable des Nations Unies qui visent, depuis 2006, à favoriser les investissements bénéfiques pour l’environnement, le climat et le social !


Promouvoir des entreprises responsables : le cas de la loi PACTE en France


La qualité d’entreprise à mission, introduite en France par la Loi PACTE* de 2019, permet aux compagnies qui le souhaitent de se doter d’une raison d’être prenant en compte les impacts sociaux, sociétaux et environnementaux de leurs activités. L’idée sous-tendant cette qualité est qu’il est possible de concilier la recherche de la performance économique avec une contribution à l’intérêt général. L’intention du législateur était de créer un nouveau ressort capable de remobiliser une entreprise (actionnaires, gestionnaires et personnel) et ses partenaires autour d’une ambition commune, d’améliorer son image de marque, d’innover et de se protéger contre les rachats hostiles.


D’après la loi, la compagnie doit s’engager sur des objectifs précis dont la réalisation sera vérifiée tous les deux ans par un organisme tiers indépendant agréé par le Comité français d’accréditation (COFRAC). En cas d’échec, la qualité d’entreprise à mission lui est retirée [lire].


Ce concept s’apparente à celui de la Certification B Corp aux États-Unis, mondialement reconnue. Il comporte encore beaucoup de faiblesses tant au niveau de la définition des objectifs et du niveau d’engagement nécessaire pour bénéficier de cette dénomination, que des avantages obtenus par les entreprises [lire]. Par exemple, la loi reste très vague sur la manière de laquelle le fait d’être une entreprise à mission la protégerait de rachats hostiles. En conséquence de quoi, une partie de l’opinion publique considère qu’il s’agit d’« une vaste plaisanterie » [lire].


La loi PACTE n’est pas la seule initiative du gouvernement français visant à développer la préoccupation du secteur privé en matière éthique, sociale et de gouvernance (ESG). En 2017, par exemple, le Parlement français a voté une loi sur le devoir de vigilance, qui oblige les grandes entreprises françaises (au moins 5 000 employés en France ou 10 000 employés dans le monde entier) à concevoir et mettre en œuvre un plan qui « comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle » [lire]. Plusieurs autres pays ont pris des dispositions légales similaires.


Une transition par contrat ?


Il faut reconnaître que ces initiatives ne constituent, pour l’instant, qu’une ébauche de ce qui pourrait devenir un puissant moyen d’orienter l’économie sur la voie d’une réelle transition vers plus de durabilité.


Pour rendre la loi PACTE plus effective, il serait nécessaire de définir de façon plus concrète ce qu’on entend par durabilité en lui associant des objectifs précis auxquels les entreprises pourraient se référer au moment de se choisir une mission. Dans le domaine de l’alimentation, on peut délimiter les contours d’un système alimentaire durable [lire] et en déduire les objectifs sur lesquels les entreprises à mission pourraient s’engager et ainsi s’inscrire pleinement dans l’effort général de la société.


Selon le niveau d’engagement des entreprises qu’il faut mesurer de façon objective, on pourrait alors imaginer des incitations, sous forme de subventions ou d’exonérations fiscales, afin de compenser le désavantage compétitif éventuel qui pourrait résulter de l’effort fait pour réaliser leurs objectifs sociaux et environnementaux, ou, présenté différemment, de les rémunérer pour les externalités positives que leurs activités généreraient [lire]. Il est probable que cette approche par contrat est plus souhaitable et plus facile à mettre en œuvre que celle consistant à taxer ou subventionner les produits en fonction de leur processus de fabrication. Elle nécessiterait néanmoins de développer des capacités de certification ou d’audit à la fois très pointues et totalement indépendantes.


La prolifération des organismes de certification


On observe depuis quelques années, une prolifération d’organismes privés de certification payés par les entreprises pour cautionner leur verdissement (avéré ou affiché) et leur fournir des éléments apparemment objectifs pour améliorer leur image de marque et communiquer avec leurs clients et partenaires.


La communication des entreprises sur l’environnement, la protection de la planète ou la santé est désormais omniprésente, tellement présente qu’elle en arriverait à faire croire que l’on a affaire à des institutions philanthropiques dont la motivation première serait l’altruisme et l’objectif le bien du monde. Pour s’en convaincre, il suffit de visiter les sites des principales multinationales de l’agroalimentaire (voir annexe en fin d’article). On est là bien loin de ce qui s’est déroulé récemment chez Danone !


L’indépendance et l’objectivité des organismes de certification sont souvent mises en doute. Dans un rapport datant de 2017, Danone présente ses performances telles qu’elles sont évaluées par cinq de ces organismes dont on peut estimer la crédibilité, l’objectivité et l’indépendance à partir de leurs liens ou de leurs caractéristiques :


  1. Indice de durabilité Dow Jones (Dow Jones Sustainability Index) lié au Dow Jones, l’indice boursier de New York ;

  2. Vigeo Eiris (Filiale de l’agence de notation Moody’s, spécialisée dans la notation financière des entreprises et des pays) ;

  3. MSCI (anciennement Morgan Stanley Capital International, entreprise de services financiers) est aussi fournisseur de services et d’outils d’aide à la prise de décision aux milieux mondiaux de l’investissement ;

  4. CDP (anciennement Carbon Disclosure Project, financé par des États et des fondations philanthropiques) produit des notations en relation avec le changement climatique, l’eau et les forêts ;

  5. Forest 500, spécialisé dans la notation des entreprises les plus importantes dans le domaine du risque forestier. Forest 500 est un projet de Global Canopy.




Mais il en existe une multiplicité d’autres, dont lafaimexpliquee.org a déjà parlé à plusieurs reprises dans ses articles. Ces organismes sont plus ou moins crédibles, indépendants et transparents. Parmi eux, on trouve des agences spécialisées (Rainforest Alliance, UTZ Certified et Fairtrade International) ainsi que plusieurs associations ou fondations financées par les grandes multinationales de l’agroalimentaire (4C Association pour le café, la World Cocoa Foundation pour le cacao, la Sugar Association pour le sucre [lire], Round table of sustainable palm oil - RSPO pour l’huile de palme, l’ISEAL, et bien d’autres encore) [lire]…


Il est évident que la prolifération de ces organismes privés de certification appelle une plus grande réglementation et une surveillance par une autorité indépendante pour éviter les dérives que l’on observe (opacité, refus de recevoir experts ou journalistes pour discuter des pratiques, dépendance envers les clients, scandales mettant en évidence de fausses certifications et autres abus, etc.) et faire le ménage dans une nébuleuse qui semble largement là pour créer un écran de fumée devant les consommateurs et permettre aux entreprises de poursuivre leurs pratiques nuisibles à l’environnement, aux conditions de vie des producteurs et autres travailleurs, et à la santé de leurs clients.


Conclusion


Depuis quelques années, la prise de conscience croissante par la population des enjeux environnementaux, climatiques et sociaux, pousse le secteur privé à chercher des moyens d’améliorer son image, car celle-ci a fortement souffert des révélations sur les pratiques écologiques et sociales néfastes de certaines entreprises.


Elle a également poussé certains États à apporter une réponse politique aux préoccupations des citoyens en accompagnant ce mouvement par le vote de lois établissant des règles permettant de distinguer les entreprises faisant des efforts pour adopter de meilleures pratiques. D’autres se sont alliés aux multinationales dans le but affiché de mieux gérer les ressources naturelles [lire]. Aucune de ces deux approches n’est convaincante et elles paraissent, pour l’instant, davantage relever de la communication que d’encouragements authentiques de comportement pouvant mener à des résultats concrets.


La multiplication d’officines de certification douteuses dont les études et labels servent aux entreprises pour communiquer à l’intention de leurs clients, crée l’exigence d’une réglementation rigoureuse qui permette aux consommateurs de reconnaître les sociétés sérieuses et les produits respectant les normes sociales, environnementales et sanitaires.


Une approche par contrat entre les autorités publiques et les entreprises pourrait offrir une solution pour accélérer la transition vers une plus grande durabilité et la fin des avantages compétitifs dont bénéficient les compagnies les moins regardantes du point de vue social et environnemental.



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Annexe : Quelques exemples de communication des multinationales sur Internet


Alimentation

Danone : Ensemble pour une alimentation durable

Nestlé : Bonne nourriture, Bonne vie. Aider les enfants à mieux manger.

Mars : Re-imaginer nos emballages grâce à l’innovation. Notre plan pour la durabilité.

PepsiCo: PepsiCo va plus loin. La nouvelle ambition de PepsiCo. Rapport 2019 sur la durabilité.

Unilever : Nos actions en faveur de la santé de notre planète.

Mondelez : Mondelez offre la possibilité aux gens de grignoter sainement. Instaurer un futur durable.


Intrants agricoles

Syngenta : Aider les paysans. Combattre le changement climatique.

BASF : Les résultats du groupe 2020 - BASF crée de la chimie pour un avenir durable. Nous associons succès économique, protection de l’environnement et responsabilité sociale.

Bayer : La science au service d’une vie meilleure. Nous existons pour aider les gens à prospérer.

Yara : Partenariat pour une transition énergétique verte.


Commerce agricole

Cargill : Cargill est engagé pour aider le monde à prospérer. Cargill œuvre pour nourrir le monde.

Louis Dreyfus : But - En tant que transformateur et marchand de produits agricoles, nous aidons à la subsistance d’une population croissante et travaillons pour créer une valeur équitable et durable au bénéfice des générations actuelles et futures.

ADM : Utiliser la Nature. Enrichir la Vie.


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Note:


* PACTE : Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises.


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Pour en savoir davantage :


  1. Greenpeace, Destruction: Certified, 2021 (en anglais).

  2. P. d’Humières, Raison d'être ou entreprise à mission, le faux débat, Opinions, La Tribune, 2020.

  3. Ministère de l’Économie et des finances, Loi PACTE : Redéfinir la raison d'être des entreprises, France, 2019.

  4. Nations Unies, Principes pour l’investissement responsable des Nations Unies, Programme des Nations Unies pour l’environnement et Pacte mondial des Nations Unies 2019.

  5. Danone, Responsabilité sociale, sociétale et environnementale, Danone, Document de référence, 2017.

  6. Certification B Corp, États-Unis, site web.



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Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. Le vrai coût de notre nourriture - Le marché seul peut-il guider notre système alimentaire vers plus de durabilité ? 2020.

  2. La Côte d’Ivoire s’allie aux multinationales du chocolat en vue d’une gestion durable des forêts tropicales : doit-on s’en inquiéter ? 2019.

  3. Politiques pour une transition vers des systèmes alimentaires plus durables et plus respectueux du climat, 2018.

  4. Ces grandes compagnies qui veulent notre bien... : comment elles essayent de se créer une image d’agent du développement respectant l’éthique, 2015.

 

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Dernière actualisation :    mars 2021