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18 mai 2017


L’agriculture et l’alimentation aux États-Unis : situation actuelle et  (peut-être) future


En 2013, selon les dernières données mondiales disponibles, l’agriculture états-unienne était deuxième au monde en valeur du PIB courant (311 milliards de dollars), juste après la Chine et devant l’Inde, le Brésil et l’Indonésie, la France se rangeant en 9e position. La même année, les États-Unis étaient les premiers pour l’exportation de produits végétaux et animaux (148 milliards de dollars), devant les Pays-Bas, le Brésil, l’Allemagne et la France. (FAOSTAT)


Au-delà de son poids économique, le secteur agricole et alimentaire américain a, de différentes façons, été à l’avant-garde. Par exemple, il fut le premier à innover dans le domaine technologique par la mécanisation et l’utilisation massive des intrants chimiques. D’un point de vue économique, le secteur a vu une capitalisation considérable et une concentration de la propriété : la taille moyenne des unités de production est passée d’environ 200 acres (80 hectares) dans les années 1930 à près de 500 acres (200 hectares) après 1970. A titre de comparaison, la taille moyenne des unités de production agricole en France était de 135 acres (55 hectares) en 2010.


Il est donc utile d’analyser la situation présente du secteur états-unien de l’alimentation et de l’agriculture et d’imaginer des changements qui pourraient (ou ne pourrait pas) avoir lieu dans un avenir proche.


La situation présente


Une bonne image de l’alimentation et de l’agriculture aux États-Unis nous est donnée par

Ag and Food Statistics - Charting the Essentials, 2017” (en anglais uniquement) publié par l’Economic Research Service (Service de recherche économique - ERS) du département américain de l’agriculture (US Department of Agriculture - USDA).


Une des caractéristiques les plus frappantes qui émergent des données et de l’infographie présentées dans la publication de l’ERS, c’est l’importance impressionnante des services alimentaires dans la nourriture consommée par les États-uniens : plus du tiers de l’argent payé pour leur alimentation par les consommateurs aux États-Unis va à la fabrication, au transport et à la distribution de plats préparés. Il en résulte que sur un total de 21 millions d’emplois proposés par le secteur (11% des emplois totaux tous secteurs confondus), 11,9 millions d’emplois sont dans les services alimentaires et les lieux de restauration et de boisson, et seulement 2,6 millions dans la production agricole. Ces emplois se caractérisent par une sous-rémunération du travail, particulièrement dans les services alimentaires, les forêts et les pêches où le PIB moyen par emploi est très bas (moins de 3000 dollars par mois) comparé à ce qui est observé dans la production agricole (environ 4000 dollars par mois) ou dans les industries agroalimentaires et la production de boissons et de produits à base de tabac (plus de 12000 dollars par mois)*.


Avec le temps, la part des plats préparés dans la consommation alimentaire a augmenté en parallèle à une réduction de la quantité d’aliments cuisinés à domicile - et du temps qui est consacré à cette activité. Aux États-Unis, les dépenses pour la nourriture préparée hors du domicile ont plus que doublé entre 1990 et 2014, année où, pour la première fois, elles ont dépassé la valeur de la nourriture achetée en vue d’une préparation et consommation à domicile. Ce modèle de consommation alimentaire a également fait de rapides progrès dans d’autres pays riches où les consommateurs ont augmenté leur dépendance envers la nourriture transformée et prête à être consommée. Au cours de ces dernières années, et particulièrement depuis la crise alimentaire de 2007-2008, il semble que ce modèle se soit aussi étendu aux pays pauvres où il est de plus en plus adopté par les consommateurs, y compris les pauvres. [lire]


On sait que ce modèle a des conséquences négatives sur l’environnement et sur la santé des consommateurs, dans la mesure où la nourriture transformée est riche en sel, en sucre et en nombreux additifs et graisses saturées [lire]. Il a également un impact sur la portion du prix final payé par le consommateur qui va au producteur agricole. En moyenne, aux États-Unis, cette proportion est de seulement 8,6%. En Europe, elle était de 21% en 2011, en diminution par rapport aux 31% observés en 1995 [lire (en anglais uniquement)], et cette tendance à la diminution se poursuit à l’heure actuelle. La pression exercée sur les prix à la ferme est certainement aussi un facteur de la crise qui frappe l’agriculture européenne et provoque un violent mouvement de restructuration du secteur et de nombreux suicides d’agriculteurs. Ce modèle a de même un effet sur l’évolution du style de vie familiale, les repas en commun étant de plus en plus remplacés par des collations individuelles, souvent prises devant un écran. Tout récemment, aux États-Unis, les prix perçus par les producteurs agricoles ont diminué en 2015 et 2016, et le revenu net de ces producteurs est en diminution constante depuis 2013, malgré une poursuite de l’augmentation de la production et de la productivité.


Le ‘dollar alimentaire’ 2015


            Source: ERS/USDA


En considérant la situation d’insécurité alimentaire aux États-Unis, la publication de l’ERS souligne le fait que les dépenses alimentaires constituent jusqu’au tiers des dépenses totales effectuées par les 20% des ménages les plus pauvres et seulement 8% pour les 20% les plus riches. Près de 40% des ménages ayant un revenu inférieur au seuil de pauvreté souffrent d’insécurité alimentaire. Les ménages les plus concernés sont les mères célibataires (31% de cette catégorie), les pères célibataires (23%) et les Afro-Américains non hispaniques (22%). Le budget du Département de l’agriculture américain pour les programmes d’aide alimentaire et nutritionnelle a explosé pendant la crise de 2008-2009 et a dépassé 110 milliards de dollars par an au cours des premières années de la deuxième décennie de ce siècle.


D’un point de vue nutritionnel, les consommateurs états-uniens mangent plus de viande, d’oeufs, de noix et de céréales que ce qui est recommandé, et la tendance est à l’augmentation, alors que la consommation de légumes, de produits laitiers et de fruits est en dessous des recommandations.


Un futur possible…


Malgré ce tableau plutôt déprimant d’un point de vue social, économique et sanitaire, le secteur agricole et alimentaire des États-Unis a vu une explosion d’initiatives et de projets d’alimentation locale et de production bio dont certains ont bénéficié d’un appui public. Il y avait un sérieux espoir de voir le chiffre d’affaires de l’alimentation locale atteindre les 20 milliards de dollars dans les années à venir. Mais il se pourrait que cette projection ait été trop optimiste, maintenant que le budget pour l’USDA proposé par la nouvelle administration indique que l’appui à ce secteur pourrait subir d’importantes  coupes. En effet, cette proposition envisage des coupes dans l’appui du Département  aux programmes communautaires et dans les programmes faisant partie du Service des coopératives et des entreprises rurales. Elle envisage aussi l’élimination de l’Administration de développement économique qui est un partenaire financier majeur des principaux projets d’infrastructures pour l’alimentation locale, et d’autres coupes encore qui affecteront les activités d’alimentation locale. [lire (en anglais uniquement)]


Cette orientation de politique devrait malheureusement conforter les tendances de fond du système alimentaire états-unien observées dans le passé et qui sont bien décrites dans la publication de l’ERS.



  1. estimé par l’auteur à partir des graphes proposés par USDA.


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Pour en savoir davantage :


  1. United States Department of Agriculture, “Ag and Food Statistics - Charting the Essentials, 2017”, Economic Research Service (ERS) of the US Department of Agriculture, 2017 (en anglais)

  2. E. Starmer, What will the USDA budget mean for local food?, The Food & Environment Reporting Network (FERN) AG insider, 2017 (en anglais)

  3. Matthews, A., Farmers’ share of food chain value added, capreform.eu, 2015 (en anglais)


Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org et liés à ce sujet :


  1. Quels sont les défis à relever pour assurer un futur durable à notre alimentation ?, 2017

  2. Les conséquences de la crise alimentaire de 2007-2008 : le coût social et économique non comptabilisé de la résilience, 2016

  3. Des chiffres et des faits sur la faim dans le monde, 2015

  4. Alimentation, environnement et santé, 2014 (actualisé en 2017)

  5. La faim progresse dans les pays riches, 2014

  6. Nouveau «Farm Bill» des Etats-Unis: intérêts des lobbys agricoles préservés, aide alimentaire aux américains pauvres amputée, petite amélioration dans l’aide alimentaire américaine aux pays pauvres, 2014

 

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Dernière actualisation:    mai 2017