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2 octobre 2016



Les conséquences de la crise alimentaire de 2007-2008 : le coût social et économique non comptabilisé de la résilience


Au maximum de la récente crise de sécurité alimentaire, en 2008, alors que les prix des produits alimentaires avaient augmenté en termes ‘réels’ (ajustés pour l’inflation) de plus de 50%, environ 75% en prix courants observés (prix nominaux), selon la FAO, l’alimentation et l’agriculture firent leur retour parmi les préoccupations internationales, plusieurs réunions de haut niveau furent organisées et des initiatives furent lancées pour faire face à la crise alimentaire. La FAO estima alors que le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire avait augmenté, du fait de la crise, de près de 200 millions pour atteindre un total de plus d’un milliard de personnes. Au même moment, la Banque mondiale estima que le nombre de pauvres dans le monde avait augmenté de plusieurs centaines de millions de personnes.





Maintenant que la situation est presque redevenue ‘normale’ et que l’indice des prix alimentaires réels établi par la FAO se trouve à environ 15% au-dessus de ce qu’il était avant la crise (40% au-dessus pour les prix courant nominaux observés), l’impression général donnée par les indicateurs internationaux est que tout est rentré dans l’ordre : les estimations du nombre de personnes sous-alimentées, produites par la FAO, suivent une tendance régulière à la diminution où l’on a peine à voir l’augmentation observée au moment de la crise [lire]. La même chose peut être dite pour ce qui est des estimations du nombre de pauvres faites par la Banque mondiale [lire].


Cette impression générale correspond-elle vraiment à la réalité ?


Un project collaboratif entre l’Institute of Development Studies de Brighton au Royaume Uni et de Oxfam Great Britain « a analysé les aspects quotidiens de la vie des gens, au moment où il réagissaient à ce changement des prix » dans 23 sites situés dans 10 pays, pour se rendre compte que la crise avait eu un impact profond et durable et qu’elle avait contribué à accélérer le processus déjà en cours de globalisation et d’intégration de la population mondiale au marché, rendant ainsi la vie plus précaire et transformant fondamentalement les habitudes alimentaires, tout en minant de ce fait certains des mécanismes essentiels sur lesquels reposaient jusqu’alors les sociétés traditionnelles. Alors que les personnes durent faire face à « des revenus bas et incertains », elles firent « des ajustements drastiques » dans leur vie : ces ajustements et ces changements sont « des coûts de résilience face à la crise alimentaire… non comptabilisés ».


Le résultat principal de l’étude Precarious Lives: Food, Work and Care after the Global Food Crisis (Vies précaires : alimentation, travail et soins après la crise alimentaire mondiale - disponible en anglais uniquement), est que « l’augmentation soudaine et durable du prix des besoins de base quotidiens a introduit une modification des schémas de vie de tous les jours grâce à deux mécanismes universels : (1) une pression immédiate et durable sur la nécessité de gagner plus d’argent pour faire face au coût croissant de besoins relativement inélastiques, et (2) des pressions d’une magnitude équivalente d’extraire plus de valeur [nutritive] de ce qui était consommé ». Les personnes sont entrées dans « une période de changement social et économique particulièrement rapide et perturbateur alors que davantage de domaines de la vie et des efforts humains étaient intégrés au marché, s’ajustant à de nouveaux schémas de travail, de vie et d’alimentation ».


Pour survivre cette période particulière, les individus ont dû trouver du travail qui rapportait davantage d’argent, même s’ils n’avaient jamais eu ce type d’occupation et si elle était « dangereuse et précaire, ou même illégale » et une partie croissante de leur travail se trouva échangé contre de l’argent liquide, principalement pour acheter de la nourriture.  Mais comme il y avait un décalage dans le temps entre l’augmentation des prix et celle des salaires, et comme les emplois étaient largement incertains et temporaires, les personnes ont dû « éliminer les produits plus coûteux et les remplacer par des nourritures qui remplissent l’estomac, tout en sacrifiant la sécurité, le goût et l’habitude au profit du volume et du prix ». Beaucoup de personnes se sont tournées vers « des produits alimentaires achetés diversifiés, plus transformés et emballés », car, dans la mesure où elles travaillaient davantage, elles n’avaient plus suffisamment de temps ni pour acheter ni pour préparer de la nourriture fraiche ou encore pour nourrir et prendre soin de leurs enfants. La consommation de ce type de nourriture était aussi ressentie comme source de « statut et d’identité ». Ce changement aura été rendu plus facile par le fait que les produits alimentaires transformés achetés étaient souvent des produits industriels à forte teneur de sucre, graisse et sel que l’on sait avoir un « caractère addictif (particulièrement pour les jeunes) ». Bien entendu, ce changement dans le mode de s’alimenter a également des implications considérables sur la façon d’organiser la vie, des implications que l’on a déjà eu l’occasion d’analyser pendant des décennies dans les pays riches. Par conséquent, les produits alimentaires locaux ont vu leur demande chuter (tel le sorgho, le mil, le teff ou le quinoa), alors que la demande des ‘commodités’ alimentaires (maïs, riz et blé) augmentait. Aussi, le changement des habitudes de consommation alimentaire a fait que l’on prend moins de repas en commun, ce qui, avec le temps, peut relâcher les liens familiaux et peux signifier la perte du contrôle des enfants par les parents. Un autre effet est que l’on donne davantage de valeur à un travail bien payé, plutôt qu’à un travail bien considéré traditionnellement à cause des savoir-faire qu’il demande. Par suite, le travail non rémunéré (comme par exemple l’agriculture de subsistance, le soin apporté aux enfants, aux malades ou aux personnes âgées, et les services environnementaux) est de moins en moins considéré, et cela a des implications potentielles considérables sur la cohésion sociale.


Les auteurs du rapport ne pensent pas que « la crise alimentaire ou la période de prix plus élevés et volatiles qui l’a suivi, sont la cause de tout ces changements ». Plutôt, ils pensent que «  ces événements et le changement des prix relatifs ont eu un rôle d’accélérateurs et de catalyseurs, poussant les personnes plus rapidement vers une évolution qui existait déjà et qui, rapidement, devint un cheminement familier et répandu vers le développement et une vie moderne et marchande ».


Alors que les zones rurales ont vu « une croissance et une diversification économique rapides et significatives au fur et à mesure qu’elles s’adaptaient aux prix plus élevés », dans les zones urbaines, « les citadins semblent avoir mené une vie assez semblable à celle qu’ils menaient avant la crise alimentaire, mais à présent ils doivent simplement en faire davantage », alors que le travail devient plus intermittent et plus imprévisible. Parmi les autres changements observés, les auteurs notent que dans tous les sites étudiés, « les migrations saisonnières et temporaires ont augmenté » et dans beaucoup de localités, les impayés ont fortement augmenté dans les associations de micro-crédit.


Parmi les recommandations sur comment réagir face aux changements observés, les auteurs demandent « une approche large et éclairée de protection sociale qui protège le travail contre l’exploitation et les risques élevés, et qui sauvegarde l’existence de façon à ce que la mauvaise nourriture, les occupations dangereuses et humiliantes ainsi que le manque de soins ne soient plus les éléments obligés de la résilience face au développement économique global ».

Derrière l’image idyllique...


De notre point de vue, à lafaimexpliquee.org, ce rapport sera certainement pour beaucoup un révélateur des transformations fondamentales que la crise alimentaire à contribué à accélérer et IDS/Oxfam doivent être félicités d’avoir entrepris cette recherche de quatre ans. Il offre une nouvelle perspective sur l’impact de la crise alimentaire dont les implications, en terme de politique économique et sociale, de santé et de cohésion sociale doivent encore être analysées plus avant. Il montre aussi, que derrière l’image idyllique que distillent les indicateurs globaux publiés par les organisations internationales, des transformations structurelles ont lieu qui produisent plus de vulnérabilité économique, créent des risques de santé et, au fur et à mesure que les structures des sociétés changent, les conditions -pouvant donner naissance à des possibles bombes à retardement sociales et politiques.


On peut cependant regretter que les résultats présentés ne s’appuient pas suffisamment sur des données quantitatives mais reposent essentiellement sur des petites études de cas, et parfois même des histoires individuelles. On ose espérer que IDS et Oxfam trouveront les ressources pour poursuivre ce travail essentiel et que ses résultats influenceront les décideurs tant au niveau national qu’international.


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Pour en savoir davantage :


  1. -Scott-Villiers, P.; Chisholm, N.; Wanjiku Kelbert, A. and Hossain, N. Precarious Lives: Food, Work and Care after the Global Food Crisis, Brighton: IDS and Oxfam International, 2016 (disponible en anglais uniquement)


Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org et liés à ce sujet :


  1. -Des chiffres et des faits sur la faim dans le monde, 2015

  2. -Le dernier rapport sur L’État de l’insécurité alimentaire dans le monde admet que le premier Objectif du millénaire pour le développement sur la réduction de la faim ne sera pas atteint, 2015

  3. -La vérité sur les crises alimentaires : la responsabilité accablante de politiques économiques désastreuses, 2013

 

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Dernière actualisation:    octobre 2016